Dans le précédent article que nous lui avons consacré, nous avons vu que Mgr Piero Marini déclarait : « … Avant, les fidèles ne comprenaient pas n ne voyaient pas en somme. Désormais ils peuvent tout de suite se rendre compte si le prêtre célèbre avec foi ou non ». Dans l’article de Hermas, « La débâcle en Liturgie », j’écrivais : « Montre-moi comment tu célèbres la Messe, je te dirai quel prêtre tu es » ! Et Mgr Marini de conclure : « S’il y a aujourd’hui une crise de l’Eglise, elle dépend de la crise de la Liturgie, c’est-à-dire de notre identité ». Si je comprends bien : Cela dépend donc de l’identité du prêtre, du sens qu’il a d’être Ministre de Jésus-Christ, avec toutes les conséquences que cette consécration implique dans sa vie tout entière. Si le prêtre perd le sens de son Sacerdoce, et s’il reste « sur place », il devient un simple « fonctionnaire », un mauvais fonctionnaire qui ne peut donner ce qu’il n’a pas, ou ce qu’il n’a plus : « Nemo dat quod non habet » : on ne donne pas ce qu’on n’a pas.
On aborde là une question importante, celle de la formation des séminaristes, les futurs prêtres, les prêtres de demain, et leur formation permanente tout au long de leur Ministère sacerdotal. Un curé se plaignait à Mgr Piero Marini de ce que les jeunes ne savaient même pas faire un signe de Croix, ne savaient rien sur Jésus et Marie. Je me suis aperçu en 43 ans de sacerdoce que les jeunes ne connaissent pas les prières habituelles, qu’il est difficile de trouver dans un livre, et que l’on ne récite jamais dans les paroisses. Mais mon expérience me montre aussi que des adultes ont « oublié » leurs prières, la récitation du chapelet, et même l’acte de contrition. Ceci vaut aussi et surtout pour les prêtres plus âgés, ceux de mon âge qui ont reçu une formation normale au séminaire, et qui sont les premiers à envoyer tout « par-dessus bord ». Ils rayonnaient de joie lors de la prise de soutane, lors du sous-diaconat. Ils ont « jeté », comme on disait alors « la soutane aux orties », et le sous-diaconat, qui comprenait le vœu de chasteté parfaite, qu’en ont-ils fait ? Combien de prêtres se sont mariés ? Combien de prêtres prônent le mariage des prêtres, ou… Mais tirons un voile pudique sur ce qui regarde la conscience de chacun. Il reste toutefois un problème grave. Les jeunes prêtres sont-ils en mesure d’y pourvoir, et d’apporter un sang nouveau ?
Je me suis aperçu hélas, de la grande ignorance des jeunes prêtres qui sortent actuellement (depuis plusieurs années !) du séminaire, en matière de liturgie surtout et de morale, de formation biblique, théologique et même humaine. Après son Ordination, un jeune prêtre a eu le courage d’écrire à son ancien Supérieur de Séminaire pour se plaindre amèrement que personne ne leur avait enseigné à célébrer la Sainte Messe, et à administrer les Sacrements, selon les rubriques prescrites par l’Eglise. Et ce n’était pas n’importe quel Séminaire.
D’où cette question posée à Mgr Piero Marini, face à ses critiques sur les manquements en liturgie, et à la crise en liturgie, et je me permets d’ajouter, « qui n’est pas sans liens avec une formation dogmatique, théologique et spirituelle défaillante et plus qu’insuffisante ».
« Vous critiquez les défaillances dans la formation. Que prônez-vous-vous dans les séminaires ? ».
« Je pense en effet que la solution de nombreux problèmes passe par l’enseignement dans les séminaires. Prenons deux pistes. Tout d’abord l’enseignement des prémisses des livres liturgiques. Il suffirait d’étudier ce que disent les prémisses des Missels et de la Liturgie des Heures. Ensuite, les célébrations dans les séminaires, parce que la liturgie n’est pas l’étude mais l’action. Je me demande quelle formation ont eue les jeunes prêtres qui sortent des séminaires… Qu’ont-ils fait au séminaire ? S’ils y ont appris le contenu, s’ils ont célébré, ils le font peu en général dans leur vie en paroisse.
« …La réalité au cœur de la liturgie, c’est l’amour. Les gestes de Jésus que Jésus a accomplis étaient beaux parce qu’ils provenaient de ce contenu d’amour. Le visage de Jésus sur la Croix était défiguré, mais restait toujours plus beau, parce qu’il était l’expression d’un amour pour nous. J’aimerais que la recherche de cet esthétisme que nos constatons ne soit pas le signe d’un vide, mais traduise plutôt la réalité profonde de la liturgie » (op. cit. p. 141-142).
Mgr Piero Marini pose à juste titre deux questions : « Qu’ont-ils fait au séminaire ? » et j’aimerais que la recherche de cet esthétisme… ne soit pas le signe d’un vide… ».
Hélas, la réponse est facile, aux deux questions. Déjà de mon temps, en 1965, à Saint Sulpice, il n’y avait aucune formation liturgique (la seule formation valable était la formation biblique avec le Père Trinquet).Et il en était ainsi dans la majorité des séminaires. On en voit le résultat, par les prêtres de ma génération dont j’ai cité les aberrations auxquelles ils en sont arrivés, dans le domaine de la liturgie, allant même jusqu’à professer des hérésies, et à ne plus croire à l’ensemble du Dogme de l’Eglise, dont celui concernant la Présence du Christ dans l’Eucharistie.
La situation n’est pas plus brillante à présent. J’ai eu l’occasion de m’en rendre compte en paroisse. Les jeunes prêtres néophytes ne savent rien. Tout fraichement ordonnés, ils ont encore la foi de l’Eglise, du moins ce qu’on leur a enseigné au séminaire. Dans le domaine de la liturgie, de la célébration de la Messe et de l’administration des Sacrements, ils s’efforcent, de bonne foi, d’exprimer ces embryons de foi qu’on leur a enseignés au Séminaire. Chacun célèbre donc la Messe selon sa propre sensibilité spirituelle, selon sa propre créativité, en s’efforçant par des gestes qui leur sont propres, d’exprimer le Mystère qu’ils célèbrent… et qui reste souvent un Mystère purement et simplement. On verra par exemple le prêtre élever l’Hostie et le Calice pendant plusieurs minutes, et rester à genoux plusieurs minutes après avoir reposé Hostie et Calice sur l’autel. C’est leur sentiment, leur sentimentalisme qui règle leur célébration, et non plus les règles liturgiques. Mais ils le font de bonne foi. Que les « responsables fassent « leur « mea culpa »
Ils célèbrent aussi, la Sainte Messe, et les Sacrements, en suivant la« mode » des « anciens », curés ou confrères plus âgés, pour ne pas « détonner » et être considérés comme « retardataires, préconciliaires», faire ce que leur Curé leur impose (célébrer la Messe du dimanche en 40 minutes, homélie et Communion comprise, pas de Canon romain)… En suivant aussi leurs choix, leurs options personnelles, en célébrant la Messe avec aube et étole simplement, ce qui est interdit. Car ils ne connaissent pas la signification des ornements requis pour la liturgie. Il en est de même pour la célébration des autres Sacrements. Ils n’ont certainement pas lu, ou entendu, les paroles du Pape Benoît XVI, lors de la Messe Chrismale de 2007. Ils revêtent les ornements à la sacristie, devenue un « hall de gare », en bavardant, sans penser à ce qu’ils font. Ils montent à l’autel et baisent l’autel machinalement sans se rendre compte de l’importance du geste qu’ils accomplissent. Souvent, ils «baisent » l’autel qui n’est qu’une simple table, du bois… Baise-t-on la table de la salle-à-manger avant de se mettre à table ?
D’où la question posée à Mgr Piero Marini :
« Mais les vêtements liturgiques ne peuvent-ils pas eux aussi illustrer les diversités culturelles ? »
« Pour les pays chauds, le Saint-Siège a prévu depuis bien des année l’usage de la « chasuble sans aube ». Mais je crois qu’il est nécessaire de préserver, en ce qui concerne les vêtements sacrés, un souci d’ordre et de spécificité. Nous avons aujourd’hui beaucoup de possibilités. Celles d’être en clergyman pour des situations ordinaires (Note : pas en vêtements civils !), de sortir pour une promenade en s’habillant plus librement (Note : mais pas de manière habituelle !).
« Mais quand ils exercent leur ministère, les prêtres doivent avoir une tenue particulière… Quand j’en vois certains qui vont confesser en pantalon et clergyman… Si c’est aux Journées Mondiales de la jeunesse ou dans des situations particulières, cela se comprend. Mais, dans une église on doit se vêtir en fonction du ministère que l’on exerce.
« Cette question de l’habit liturgique ne concerne donc pas seulement la Messe, mais aussi l’administration des autres Sacrements. Sinon, ce laisser-aller révèle une négligence qui porte atteinte à la dignité de la célébration.
« Prenons l’exemple concret d’un mariage, ce dont j’ai été témoin plusieurs fois. Tout le monde est habillé pour la fête, en robe, costume et cravate. L’épouse, vêtue de long, accompagnée de son père, entre au son de l’orgue et parmi les fleurs, etc. Et puis, quand tout le monde est là, entre le prêtre. Il sonne la cloche et arrive tout seul, parfois avec son aube courte et sale. Ne montre-t-il pas ainsi de la désinvolture pour cette liturgie ? N’avons-nous pas perdu le sens de la dignité de la célébration ?
« C’est un peu la même situation dans les sacristies où nous préparons. Je me souviens par exemple de celle de cathédrale de Tolède, en Espagne, avec tous ses tableaux du Greco. C’est là qu’on s’habille, dans un cadre impressionnant, où il est écrit « SILENCE ». Il s’agit d’un lieu de formation et de catéchèse. Et l’on peut dire : <<Si telle est la Sacristie pour nous habiller, quelle sera l’importance de la célébration que je vais faire dans l’Eglise !>> En réalité, il m’est arrivé plusieurs fois de pénétrer dans la sacristie d’une église moderne pour revêtir les ornements sacrés. Dans cette sacristie j’ai trouvé un grand désordre de vieux chandeliers, des vases avec des fleurs passées et fanées ; puis on a trouvé des habits liturgiques qui n’avaient pas été lavés depuis longtemps. Ce n’est naturellement pas toujours ainsi, mais les conditions de préparation n’ont-elles pas une influence sur celles de la célébration ? » (op. cit. p. 103-104).
Vous avez raison Excellence. On est loin du temps où le prêtre se lavait les mains avant de revêtir ce que vous appelez à juste titre les « vêtements sacrés », et ils le sont, et pas des vêtements de travail ! Puis le prêtre s’agenouillait et récitait les prières de préparation pour célébrer dignement le Saint Sacrifice de la Messe. Puis il revêtait les ornements sacrés, en récitant les prières adaptées à chacun d’entre eux, et que le Pape Benoît XVI a rappelés ce Jeudi Saint de 2007. Et tout cela dans le plus grand silence, en présence des seuls clercs, aucun laïc n’étant admis ans la Sacristie, appelée souvent « l’antichambre du Sanctuaire ».
Que voit-on à présent, ou plutôt, qu’entend-on ? Un brouhaha : des enfants de chœur qui ne se rendent pas compte de ce qu’est le service de l’Autel ; des laïcs qui envahissent la sacristie pour parler avec l’un ou avec l’autre, ou avec le célébrant ; le célébrant qui, tout en leur répondant, s’habille machinalement, rapidement, comme s’il revêtait une salopette de mécanicien. Quand il n’arrive pas au dernier moment, ce qui l’amène à se vêtir avec plus de hâte encore. Sans parler des prêtres qui arrivent à la dernière minute, « pour concélébrer », en civil bien sûr, en sueur ! Puis le prêtre, les bras ballants, entre dans l’église, salue les fidèles comme le fait un chef d’Etat, monte à l’autel avec désinvolture, sans même penser que c’est l’Autel du Seigneur, l’Autel du Sacrifice, le Tombeau de Jésus-Christ, qu’il représente le Christ en personne. Il baise l’autel en hâte et se dirige, toujours les bras ballants, vers son siège pour commencer le Saint Sacrifice de la Messe. Auparavant, le prêtre récitait la prière suivante : « je monterai à l’Autel du Seigneur, du Dieu qui réjouit ma jeunesse ». Et de même, en montant à l’autel, le prêtre récitait déjà cette prière : « Enlevez nos fautes, Seigneur, afin que nous puissions pénétrer jusqu’au Saint des Saints avec une âme pure » ; puis en vénérant l’autel, par un baiser, il récitait la prière suivante : « Nous vous en prions, Seigneur, par les mérites de vos Saints dont nous conservons ici les Reliques, et de tous Vos Saints, de daigner me pardonner tous mes péchés ».
Mais il est vrai que, de propos délibéré, il a été rendu possible, avec la réforme liturgique, que l'on ne "monte" plus à l'autel, de fait souvent mis mis au même niveau que les fidèles.
Le Saint des Saint, Le Sanctuaire, où seuls pénétraient le Grand-Prêtre car c’était là que siégeai Dieu sur les chérubins ! Le Sanctuaire, le « chœur » comme on l’appelait alors, où seuls pénétraient le prêtre et les ministres de l’autel et les servants, est devenu un « lieu public ». Je le disais précédemment (« la débâcle en liturgie ») nous sommes en pleine désacralisation. Et cela commence par les Ministres ordonnés, par leur attitude désinvolte, par leur manière de célébrer, par les fantaisies liturgiques fruit de leur « créativité », et par bien d’autres choses encore qu’il serait trop long d’énumérer.-
Nous terminerons, dans le prochain article, par une note positive pleine d’espérance, en exposant le fondement et la beauté de liturgie, tels que les présente Mgr Piero Marini. Cela pourrait permettre un renouveau authentique de la Liturgique dont profiteraient fidèles et prêtres, et qui leur permettrait d’en vivre en nourrissant leur vie chrétienne. Espérons que, en cette « Année Sacerdotale », chacun, Evêque, prêtre, fidèle, fasse un examen de conscience et corrige ce qui doit être corrigé, tout simplement en se rappelant que « Ubi Petrus, ibi Ecclesia », « Là où est Pierre, là se trouve l’Eglise du Christ ». On ne doit pas hésiter à penser et à dire : La Parole de Dieu nous est donnée par son Vicaire. Est catholique, celui qui suit Pierre. Celui qui ne le suit pas ? Je ne puis m’empêcher toutefois d’être fort inquiet, après avoir entendu Curé influent de Rome déclarer à qui voulait l’entendre : « Si le Pape veut nous imposer toutes ses réformes et revenir en arrière, avec la Croix sur l’autel, la communion à genoux et dans la bouche, les ornements du passé, la Messe de Saint Pie V, que je ne connais même pas, la Messe le dos au peuple, etc. Moi, je ne le suivrai pas, ni beaucoup d’autres confrères. L’Eglise ne peut être l’Eglise du passé ». (Sic !)
Saint Curé d’Ars priez pour nous, les prêtres ! Les Pasteurs, Evêques et prêtres, en sont responsables en très grande partie. Convertissez-nous ! Il est grand temps.
Mgr Jacques Masson