S2e14 - LES FAMEUX PANCAKES DE M.GOODWILL

- OUUUIIIIICH!! hurlai-je en passant la tête hors de la salle de bain. CHEST QUIIIIICHHH?

- Mademoiselle BIRD!? C'est moi. M. Goodwill.

- M. GOODWIIILLL???

- Oui... Votre voisin du dessous...

- OUI OUI! JE SAAIIIICH...

(Je savais très bien qui il était...)

- Je vous dérange?

- NON NONCH... J'ARRRIIIIIVVEEEE!

(Zut. Merde.)

- ...

J'avais la bouche plein de dentifrice. Mon masque à l'argile recouvrait mon visage. Je jetai un oeil dans le miroir, j'étais méconnaissable. "Ouhlala... Mais je vais lui faire peur à ce pauvre M. Goodwill si je sors comme ça..."

- J'ARRRIIIIIIVVEEEE! répétai-je après avoir craché la mousse dans le lavabo. JUSTE UNE MINUTE!

- Je vous dérange.

- NOON. NOONN... criai-je en manquant le rebors de la chaise et en m'écroulant par terre, entrainant dans ma chute ma serviette accrochée au mur et le crochet qui la retenait...

BAM DAM BLAMMM

AÏE!

- Tout va bien? s'inquiéta mon petit voisin

(Ouch...)

- Oui oui... murmurai-je, pas assez fort pour que M. Goodwill m'entende...

- Miss Bird?

- OUI OUIII!!... J'ARRRIIIIVVEEE!

- Je peux repasser plus tard si vous voulez? tenta-t-il

- OK! NON! JE SAIS! JE DESCENDS VOUS VOIR DÈS QUE J'AI FINI!!!!

- D'accord. À tout de suite Mademoisellle Bird, dit-il en s'éloignant...

Bah ça alors... Qu'est ce qu'il me voulait? me demandai-je tout en reprenant mes esprits et en tentant de remboiter le crochet dans le carrelage. Peut être qu'il voulait m'offrir des pancakes...? Oh oui... Ça sentait tellement bon samedi dernier dans la cage d'escalier... M. Goodwill avait une sacrée réputation dans le building. Tout le monde avait eu la chance de goûter ses merveilleux pancakes, sauf moi. Même Billie avait débarqué un jour chez moi, le sirop d'érable lui dégoulinant le long du menton.

- Huuummmmm maich quech délichhheee... s'était-elle exclamée la bouche pleine. Les pancaches de Mosieuch GoochWillch sont déliceuches....

- Et tu ne m'en as pas ramené????? m'étais-je écriée.

- OUPCHH

Mais je n'avais jamais osé redescendre pour quémander... Et l'occasion ne s'était jamais représentée...

Grrrr....

Donc là, c'était sûr. Il allait me tendre une montagne de pancakes saupoudrés de sucre glace et empilés sur une large assiette en vieille porcelaine, avec un petit pot de sirop posé sur le côté et quelques fines lamelles d'orange. C'était sûr. Je m'en léchais les babines par avance. Hummm... Ça tombait à pic puisque mon frigo était toujours en guerre froide, si ce n'est que c'était désormais une bataille entre le pot de moutarde et lui même, ayant finalement jeté la demi pomme fripée deux jours auparavant... Mon estomac criait famine.

PARFAIT!

La gourmandise me fit passer en mode rafale. Je retirai mon masque à l'aide de larges cotons imbibés. Penchai ma tête dans le lavabo pour m'asperger d'eau froide. Sérum champignon de chez Origins (1). Crème hydratante. Un coup de brosse dans mes cheveux emmêlés. Parfum. Pchit. Pchit. Pchit. J'attrapai mon vieux 501, tee-shirt blanc, baskets en toile. J'avais l'air d'un épouvantail. ZUT. Vivement que l'été revienne... J'étais de plus en plus livide. Ok un petit coup d'anticerne et de rose à joues aussi. UNE MINUTE! Non. Je vais plutôt mettre une robe. Histoire qu'il ne change pas d'avis en me voyant habillée comme un petit gars. Collant noir opaque. Robe à fleurs. OK.

Ah! J'étais surexcitée. Je claquai la porte de mon appartement derrière moi et descendai au sixième à la hâte...

Toc Toc Toc

- M. Goodwill! C'est moi. Miss Bird! alertai-je, ne tenant plus...

(Bizarre... Ça sent pas les pancakes...)

- ...

- M. Goodwill!?

Et la porte s'ouvrit...

- Bonjour Mademoiselle Bird. Comment allez-vous? me demanda-t-il dans un sourire

- Bien bien! Très bien! chantai-je. Et vous ?

- Ça va mon petit. Dites moi... Je voulais juste vous demander si vous aviez l'intention de débarasser le couloir de cette commode qui traine maintenant depuis une semaine?? Elle est bien à vous puisque le post-it indique "BIRD, NE PAS TOUCHER. MERCI" dit-il en me tendant ledit morceau de papier jaune

- Euh oui... répondis-je, confuse et décontenancée... Oui.

- SALUT ELI!!!! lança Billie qui dévalait les escaliers en courant, passant derrière moi. Bonjour M. Goodwill!

- Oh. Bonjour Mademoiselle King! Comment allez-vous? Quelle belle journée n'est ce pas? Une journée de printemps à nouveau!

- Oui! Quelle chance! répondit-elle en ralentissant. Je file, j'ai rendez vous avec Jimi et le groupe pour enregistrer. A plus Eli!

- Humm Humm... répondis-je, pensive

- Mademoiselle King! interpella M. Goodwill alors que Billie disparaissait

- OUI!

- Passez me voir en rentrant ce soir. Je vous préparerai des pancakes!

(QUOIII!!!!????)

Je n'en revenais pas... Elle n'avait rien à faire et il lui proposait des pancakes... Mais pourquoi pas moi? J'étais dépitée... Pfff

- MERCIIII... Bonne journée!

M. Goodwill, tout sourire, se tourna vers moi et dans un air sérieux me fit promettre que j'aurais débarrasser le couloir de ma commode dans la journée.

- Oui oui... Pas de problème. Je m'en occupe... bougonnai-je en regagnant mes pénates

Bon. Me voilà bien. Il faut maintenant que je m'occupe de ce meuble! sonjai-je en regardant le ciel bleu par la fenêtre... En même temps, c'est une journée idéale pour faire du bricolage. Je vais me coller sur le toit, avec un pull et mes lunettes de soleil et je vais tranquillement décaper et poncer mon meuble! Voilà! Bon. Reste à monter le meuble là haut... Ça, c'est une autre affaire... ZUT)

JACK!

***

J'avais à nouveau troqué ma robe à fleurs contre mon jean teeshirt et je marchai dans le village, direction le magasin de bricolage pour acheter de la cire et des gants. J'en profitais pour appeler Jack...

- Morning Bird! dit-il de sa voix grave en décrochant

- Salut Jack! Ça va?

- Avec ce soleil! Comment ne pas aller?

- Je sais! On se croirait au printemps. Je marche sur l'avenue A et je suis en veste! Tu le crois!?

- Mais absolument. Je suis moi-même en train de dorer sur la terrasse du Pick me up (2) en teeshirt!

- Ah bah ça alors... Depuis quand? Je suis passée devant il y a cinq minutes...

- Je viens d'arriver. Mais rejoins moi alors!

- À vrai dire. Je vais chez Saifee (3) acheter deux ou trois trucs pour retaper la commode que j'ai trouvé l'autre soir, prêt du parc... Tu te souviens?

- Évidemment que je me souviens. Je te rappelle que tu nous l'as faite porter jusque chez toi!

- Je sais... dis-je, ennuyée. D'ailleurs!

- Oh non...

- Quoi?

- Tu as besoin que je t'aide à la monter chez toi?

- Euh... Ce serait gentil oui...

- Bon ok. plia-t-il. Tu as de la chance. J'ai la journée devant moi.

- Cool! Merci. Je vais la décaper. Je peux la mettre dans l'ascenceur mais ensuite, si tu pouvais la monter sur le toit...?

- BricoBird est de retour! plaisanta-t-il

- Oui. C'est un temps idéal pour bricoler et de toute façon, M. Goodwill m'a demandé de dégager le couloir... Donc... J'ai pas trop le choix...

- Ah!!! M. Goodwill!!! Il a fait des pancakes aujourd'hui?

- Toi aussi tu as goûté ses pancakes????? m'énervai-je

- Hummm... Un délice.

(Grrrr...)

- Bon. Jack. J'arrive chez Saifee. Je passe au Pick me up dans dix minutes et on va chez moi?

- Ok Bird!

J'attrapai le nécessaire et repartai en vitesse, avant de dépenser une fortune dans tout un tas de trucs dont je ne me servirais pas de sitôt. J'avais toujours eu un faible pour les magasins de bricolage. Ici, on les appelle les Hardware stores. Je craquais très facilement pour une cire à bois naturelle, une ponceuse éléctrique, des pinceaux, des pots pour planter du basilic, ou même des rouleaux de papier peint que j'achetais en prévision de l'achat, un jour, d'une grande maison. Et j'entassai tout mon barda chez moi... Ça me rappelait les expéditions chez Leroy Merlin (4) accrochée aux bras de papa et papy quand j'étais petite. Louis se moquait pas mal d'aller acheter des clous tandis que moi je répondais toujours présente... Allez savoir... En tout cas, cet intérêt pour le bricolage ne m'avait pas quitté...

Mes yeux à l'abri derrière mes lunettes de soleil, je remontai 1st Avenue et pris à droite sur la 9e pour retrouver Jack. Je l'aperçus, penché en arrière sur sa chaise en fer, prenant appui contre le mur du café, ses Rayban sur le nez, les manches de son teeshirt relevées jusqu'aux coudes. Il avait même enlevé son éternelle écharpe et l'avait abandonnée, en boule, sur la table en bois, à côté de son mug de thé. Le visage tourné vers le soleil, je crois qu'il espérait bronzer... Il était beau, ses boucles d'or reflétant la lumière...

J'arrivai à pas de loup et m'installai sur la chaise à côté de lui. Sans un bruit.

- Ça va Bird? me demanda-t-il alors qu'un rictus se formait au coin de ses lèvres

- Bah tu m'as entendu? demandai-je, déçue

- J'ai senti ton parfum... Petite filoute... me dit-il en m'attrapant par la taille et en m'attirant vers lui pour me déposer un baiser sur la joue

- Zut

- Reconnaissable parmi tous... confirma-t-il

- J'aurais dû y penser...

- Alors Bird? Prête à transformer cette trouvaille des rues en sublime commode?

- Oui! J'ai acheté cette cire au cèdre... Je pense que ça va être parfait pour nourrir le bois après l'avoir poncé!! déclarai-je, fière et enthousiaste

- Bon. Alors tu décapes et je ponce? proposa Jack

- Tu veux m'aider?

- Oui. Je veux t'aider, dit-il, dans un sourire, attrapant son écharpe et son journal et se levant pour m'indiquer qu'il était prêt à y aller...

J'étais trop contente! Non seulement j'adorai bricoler mais en plus, j'avais gagné de le faire avec Jack. Ouhh... Quelle belle journée qui s'annonçait! Arrivés en bas, nous entreprîmes de faire rentrer la commode dans l'ascenceur... Tourne. Attends. Non. Bird. Attends j'te dis. Lève. Repose. Attends. Tiens. Prends les tiroirs. Voilà. Grrr... Bird. Laisse moi faire tu vas te faire mal. Attends. Une seconde. Ok. Soulève. Repose. Ok... Monte avec le meuble. Je prends les escaliers.

Jack aussi adorait bricoler. Je le savais. Il avait toujours été très manuel. Avec ses photos, il faisait des collages magnifiques, tout seul, au milieu de son salon. Il découpait et collait sur des grandes toiles. C'était une des passions que l'on partageait et qui nous rapprochait. Nous avions tellement de points communs. Je me souvins la première fois que nous avions bricolé ensemble. Nous avions acheté ce magnifique buffet au Flea Market de Chelsea, un dimanche. Et, impatients comme nous étions, nous avions filé acheter de la peinture. Seulement, la logique aurait voulu que l'on attende le weekend suivant pour s'en occuper, puisqu'il était déjà tard et que la nuit allait bientôt tomber. Mais, nous étions si têtus que nous avions entrepris de poncer et repeindre le jour même. Évidemment, la nuit était tombée et nous avions dû finir dans le noir. Je tenais la lampe torche et Jack peignait. On ne voyait rien du tout et nous étions absolument hilares. La nuit était fraiche et nos doigts se tranformaient au fur et à mesure en glaçons, alors nous avions fini par peindre avec des mouffles. Un vrai carnage! Le lendemain matin, nous avions constaté les dégats. Il y avait de la peinture partout autour, dépassant largement de notre sol de protection papier journal. Le buffet était partiellement repeint. De grossières marques de pinceaux par endroit. Nous avions complètement oublié de peindre un côté... Nous étions alors partis dans un fou rire absolument mémorable...

- Bon. Va chercher les outils. Je monte le meuble sur le toit, ordonna Jack

- Ok

***

J'étais assise sur une chaise, penchée en avant, je décolai la peinture à l'aide de mon décapeur, prenant soin de ne pas me bruler. À chaque nouvelle bande enlevée, je trépignai de joie. Mon meuble était encore plus beau que je ne le pensais. Un vieux bois, usé par les années, marqué par le temps, était enfoui sous cette peinture verdâtre... Quelle idée de peindre sur un beau bois comme ça? Les gens n'avaient parfois aucun goût... À chaque tiroir achevé, Jack prenait le relai et ponçait rapidement, au papier de verre fin grain, afin de ne pas attaquer le bois en profondeur. Le pauvre se retrouvait progressivement recouvert de poussière... Le soleil chauffait tellement qu'il avait fini par enlever son tee-shirt et ponçait, torse nu, à côté de moi. Pendant un instant, je me surpris à rêver, le nez en l'air, savourant ce moment. On était tellement bien, là, tous les deux. Silencieux. Un silence agréable et apaisant, réconfortant. Parfois, nous n'avions pas besoin de parler mais juste de partager des instants de détente comme celui là. Manhattan s'étendait derrière Jack, le soleil se reflétant au loin sur les flancs de l'Empire State Building, laissant à penser que le plus haut building de Manhattan était fait de métal brulant. Un groupe d'oiseaux dansaient dans un ballet harmonieux, survolant les arbres... Bricoler sur mon toit était un luxe que je m'offrais souvent, depuis que j'avais emménagé ici. C'était un moment à moi, qui me rendait si heureuse... Et pouvoir partager ce plaisir avec Jack était fabuleux. Je souriais. Jack interrompit ma rêverie...

- Au fait, j'ai parlé à Jolie hier, m'informa-t-il

- Ah oui? Alors?

- Ils n'ont toujours pas de date... Il parle maintenant de shooter en avril...

- Ok... C'est toujours comme ça de toute façon. Ils ne font que repousser. Je suis habituée.

- Je sais.

- Dis donc! Ça sent bon! Ça sent pas les pancakes??? demandai-je, les yeux pétillants

Il était bientôt 4pm et nous avions passé la journé sur le toit à bricoler, ne faisant qu'un courte pause pour avaler un petit sandwich maison vers 12pm. Et je mourrais de faim... Bon ok. Non. Je n'avais pas faim mais cette odeur de pancakes... Miam. C'était irrésistible.

- Si. Je crois que tu as raison. Les pancakes de M. Goodwill? supposa Jack, se tournant vers moi

- Oui...

- Descend lui demander une assiette! supplia-t-il

- Non... Je n'ose pas... Il ne m'en a jamais offert, avouai-je, honteuse

- Mais comment ça?

- JA-MAIS, martelai-je, la larme à l'oeil. Je dois être la seule à ne pas les avoir goûtés. M. Goodwill ne m'aime pas.

- Mais enfin... Descends Bird. Tu dis n'importe quoi...

- Non... pleurai-je

Et c'est à ce moment là que l'on vit M.Goodwill enjamber péniblement la dernière marche menant au toit, tenant dans sa main une montagne de pancakes saupoudrés de sucre glace et empilés sur une large assiette en vieille porcelaine, avec un petit pot de sirop posé sur le côté et quelques fines lamelles d'orange. Comme je l'avais rêvé... NOooooonnnn!!!

- Jack! Comment allez-vous? demanda-t-il à ce dernier, qui avait abandonné la ponceuse pour l'aider à ne pas trébucher

- Très bien!!! Ohlalala M. Goodwill! Ce que vous nous amenez là!!!

- Mais oui. Quand j'ai compris que vous étiez sur le toit en train d'aider Miss Bird à poncer son meuble, je me suis dit que j'allais vous préparer des pancakes. Vous les aimez tellement...

- Ah ça c'est drôlement gentil! Je les adore!!! s'exclama Jack en se passant les mains sous le filet d'eau qu'il laissa couler de sa bouteille et en attrapant un pancake

- Ah... C'est rien. Ça me fait plaisir... répondit mon voisin en s'installant sur une chaise

(Non mais je rêve... Il ne va pas m'en proposer!!!)

- Il fait beau. C'est agréable, continua-t-il

(Je rêve...)

Jack avait posé l'assiette de pancakes sur le rebord du toit, un peu plus loin, à l'abri de la poussière

- Oh oui, confirma Jack. Et comment allez-vous M. Goodwill?

- Bien bien mon petit...

Pendant qu'ils discutaient je me rendis compte que mes pas m'avaient guidée devant l'assiette aux merveilles. Je m'apprêtai à attraper un pancake, tant attendu, quand j'entendis derrière moi...

- Oh mais vous aimez les pancakes Miss Bird? m'interrogea M.Goodwill l'air étonné...

- Mais oui! m'exclamai-je, surprise à mon tour.

- Ah... J'ai toujours cru que vous ne les aimiez pas puisque vous n'aviez jamais demandé à les goûter... Si j'avais su, je vous en aurais proposé depuis longtemps...

GRRRRR.....

(1) Origins, 175 5th Avenue, New York, (212) 677-9100 www.origins.com

(2) Cafe Pick me up, 145 Avenue A, New York, NY 10009, (212) 673-7231

(3) Saifee Hardware, 114 1st Avenue, New York, NY 10003, (212) 979-6396