La crise de la liturgie : entretiens avec Mgr Piero Marini (5 - fin)

Publié le 12 mars 2010 par Hermas


CONCLUSION


La débâcle en liturgie, comme j’ai intitulé un article publié dans « Hermas ». La crise en liturgie comme dont parle Mgr Piero Marini, avec les questions judicieuses et très justes qu’il pose dans les paragraphes précédents sont une réalité qui interroge les prêtres, et surtout leurs Pasteurs, Successeurs des Apôtres, et chargés comme eux d’accomplir son commandement « faites ceci en mémoire de moi ». Nous devons constater que nous nous éloignons de plus en plus des principes exposés par celui qui été Maître des Cérémonies des Papes.
Aussi, pour terminer, et pour montrer si besoin est au point où nous en sommes, et combien nous sommes loin des principes énoncés avec autorité et compétence par ce Prélat, je me permets de reprendre les quelques exemples que j’ai cités, à propos des célébration liturgiques, de la Sainte Messe en particulier, et qui montrent à l’évidence qu’il est temps que les Pasteurs interviennent avec bonté, compréhension et fermeté, pour redonner à la Sainte Liturgie la présence du Christ au milieu de nous, et aider chaque prêtre à comprendre « si vraiment les rites et les gestes que nous accomplissons sont vraiment les gestes du Christ », « … car ils sont les gestes de Jésus. Dans la célébration liturgique et les gestes concrets qu’elle requiert, l’Eglise ne fait rien d’autre que de prolonger et d’actualiser les gestes du Seigneur Jésus » (cf. Mgr Piero Marini, cité ci-dessus). Ne pas le faire, est-ce encore « faire ce que veut l’Eglise ? Il est permis d’en douter et de se demander si ceux qui se livrent à ces manipulations de la liturgie font encore partie pleinement de l’Eglise.
J’écrivais :
C’est là aussi un problème grave et répandu : le prêtre « manipule » la Liturgie, des textes proposés par l’Eglise, comme s’il pouvait en disposer. De quel droit ? Au nom de quelle autorité ? De la sienne ? N’est-il pas un Ministre, un Intendant, un Serviteur, tout simplement ? L’aurait-il oublié ?
Il est de plus en plus fréquent, notamment, mais pas seulement, pour les Messes de Mariage, ou les enterrements célébrés avec Messe, que le prêtre introduise des lectures, des prières de son choix : les cas abondent, et ne sont pas isolés :
-.remplacer la première Lecture par un texte profane qui n’a rien à voir avec la Bible. Ce qui est formellement interdit. J’ai assisté dernièrement à un enterrement en Belgique. Le prêtre, que j’avais déjà rencontré auparavant, et que je connaissais ( !), m’a demandé au dernier moment de concélébrer. Je men suis bien gardé, sachant à quoi je risquais de m’exposer. Il avait demandé à la petite fille du défunt, une Maman Catéchiste, de choisir les lectures. Ce qu’elle a très bien fait. Il n’en a pas tenu compte. Et on nous a lu un texte profane.
-.Les prières de l’Offertoire n’avaient rien à voir avec le texte liturgique officiel.
-.Pas de « Lavabo », le lavement des mains.
-.Je n’ai jamais entendu la Prière Eucharistique utilisée. Seules les paroles de la Consécration « étaient les bonnes ».
-.La Messe était-elle valide ? On peut se poser la question en de nombreux endroits, car, pour qu’elle soit valide, il faut que le prêtre fasse ce que veut l’Eglise !
-.Et que dire de « la paix » ? Un signe de paix ? Un geste de paix : une « distraction », un « geste mondain », une « procession », une « débandade » qui n’en finit plus, et qui fait passer inaperçue une prière importante : « AGNEAU DE DIEU QUI ENLEVES LE PECHE DU MONDE PRENDS PITIE DE NOUS ».
-.Bien sûr, il était en aube froissée avec une étole, et se promenait d’un bout à l’autre de l’autel, les bras ballants.
-.Un cas isolé ? PAS DU TOUT ! Un cas parmi tant d’autres ! Parmi beaucoup d’autres !
Pourquoi le choix systématique des prières les plus brèves ?
Pour donner un plus grand choix de prières au Prêtre qui célèbre la Sainte Messe, le Nouvel Ordo a introduit de nouvelles prières « ad libitum », « au choix ».
-.Au début, pour la « liturgie pénitentielle »,
-.De nouvelles Prières Eucharistiques, trois tout d’abord, ajoutées au Canon Romain pluriséculaire, puis d’autres qui se sont ajoutées pour être utilisées en des circonstances particulières.
-.La possibilité aussi de choisir, pour les Lectures et l’Evangile ou la lecture du jour, ou « sa forme brève »
-.La possibilité de choisir entre les deux prières (déjà abrégées par rapport à celle de l’Ordo Tridentin) prévues avant la Communion du prêtre
-.La distribution de la Sainte Communion : c’est à savoir qui ira le plus vite, pour ne pas la faire durer trop longtemps : les prêtres sont devenus des « distributeurs automatiques ! « le-Corps-du-Christ-le-Corps-du-Christ »…
Mais que s’est-il passé ? C’est simple : être bref, faire CE QUI EST BREF ! (La Messe, c’est fatiguant », me disait un confrère de séminaire !) :
-.La « Deuxième Prière Eucharistique » (on l’appelait le « Canon RANDAL ») est « récitée » par la presque totalité des prêtres. (Je l’ai appelée « le Canon Randal », en relation avec l’acteur de cinéma de l’époque, qui portait un fusil au « canon scié »).
-.La Troisième Prière Eucharistique vient en deuxième place ;
-.La Première Prière Eucharistique, le « Canon Romain » ? De mémoire de prêtre, depuis 40 ans, je ne l’ai pas entendue une seule fois ! Et c’est pourquoi, pour réparer cet « oubli », je la choisis chaque jour.
-.Une seule prière suffit à présent au prêtre avant de communier au Corps et au Sang du Christ, parmi les deux qui lui sont proposées (dans la Messe Tridentine, il y avait trois prières obligatoires)
Les Messes « TGV » (« A Très Grande Vitesse »)
Mais il y a plus, il y a plus grave encore ! La rapidité avec laquelle sont récitées les prières, et « célébrées » les Messes
On en est arrivé à ce que j’appelle « les Messes TGV », les Messes dites « à très grande vitesse ». Car la réalité est bien ainsi : 20 minutes une Messe en semaine, 40 minutes le dimanche, tout compris
Je dois dire honnêtement que ce n’est pas un problème qui date d’hier, ni de la Réforme Liturgique. Cela dépend seulement et uniquement du prêtre, de sa foi, de la conscience qu’il a du Mystère qui se réalise par lui, quel que soit le rite qu’il célèbre, la Messe Tridentine, ou le Nouvel Ordo.
Quand la Messe Tridentine était alors en usage, je me souviens très bien que les prières de l’Offertoire et du Canon étaient « dites » à voix basse. La liturgie prévoyait des gestes qui se répétaient, comme les signes de Croix par exemple sur l’Hostie et sur le Calice : « Hostiam puram, + Hostiam Sanctam, + Hostiam Immaculatam, + Panem Sanctum, +  Vitae aeternae, + et Calicem Salutis perpetuae »
Entre chaque expression, les rubriques prévoyaient un signe de croix ( + ) tracé par le célébrant, sur l’Hostie et sur le Calice. Ces signes de Croix, au lieu de permettre au prêtre de marquer un temps d’arrêt, une courte pause pour lui permettre de bien se pénétrer du mystère qu’il célébrait, se transformaient en une « course contre la montre » : des signes de croix tracés à toute vitesse, faisant penser que le prêtre était en train de « chasser les mouches ».
D’où la réflexion de nombreux prêtres de l’époque (ils avaient déjà perdu le sens du sacré !) : « pourquoi tous ces signes de croix mal faits ? Il vaut mieux en faire un bien, que cinq mal faits ».

Les pauvres (déjà à cette époque !) : et s’ils avaient songé à « bien faire » ces cinq signes de Croix ? Qui les empêchaient de bien les faire, avec recueillement avec piété ?
On comprend que, avec la possibilité de prières plus « courtes », le choix soit allé au plus pressé.
Car, dans la Messe Tridentine, le fidèle ne pouvait se rendre compte de la manière avec laquelle les prières étaient « récitées » par le célébrant.
Mais, avec le Nouvel Ordo, tout est dit à voix haute : rien n’échappe aux fidèles. Ou plutôt : tout échappe aux fidèles, car les prières sont dites, récitées, avec une telle vitesse, que, bien souvent, il n’a pas le temps de prêter attention à ce que « récite » le prêtre », de mémoire souvent, en regardant les assistants. Le Sanctus à peine terminé, il se retrouve déjà après la Consécration, sans s’en être rendu compte.
Et, ce qui se « faisait » à voix basse dans la Messe Tridentine, se fait à voix haute dans le Nouvel Ordo. Mais ne peut passer inaperçu !
Quelle mouche pique donc les prêtres, pour qu’ils récitent les textes de la Messe avec une telle rapidité ? Comment peuvent-ils se pénétrer des paroles qu’ils prononcent ! Ils sont pressés ? Qu’ont-ils à faire d’autre, si ce n’est CELEBRER LES SAINTS MYSTERES ?
« Père infiniment bon, toi vers qui montent nos louanges…Nous t’en supplions Dieu tout-puissant… Il prit le pain-le-donna-à-ses-disciples-en-disant-ceci-est-mon-corps-livré-pourvous-faites-ceci-en-mémoire-moi-il-est-grand-le-mystère-de-la-foi »
Le tout, dit, récité, de manière monotone, monocorde, neutre, sans pause, d’un seul trait, à peine le temps de reprendre son souffle. « Ouf, « Ite Missa est ». ça y est j’ai dit la Messe : j’ai été brave ce dimanche ; 40 minutes avec l’homélie ! » (Sic !)
Et les fidèles ?: « Tiens, c’était la Consécration !!! Tiens la Messe est terminée : « allez dans la paix du Christ! ».
Le prêtre se rend-il bien compte qu’il ne récite pas un texte, une prière : IL EST EN TRAIN DE PARLER A DIEU AU NOM DU PEUPLE QUI LUI EST CONFIE ET QUI DOIT POUVOIR S’UNIR A SA PRIERE !
Non, beaucoup ne s’en rendent plus compte. Ils ne parleraient pas ainsi aux gens qu’ils rencontrent, à leurs amis : personne ne les comprendrait. Ce serait même d’une grande incorrection. Et pourtant ils parlent au Dieu Trois Fois Saint : « Sanctus, Sanctus, Sanctus ».
Pas même une pause, un petit arrêt au moment de prononcer les Paroles Sacrées, quand intervient le Seigneur, au moment de la Consécration pour dire « CECI EST MON CORPS, CECI EST MON SANG »
Parler à Dieu ? Agir « in persona Christi » ? Qui le dirait ? Tourné vers le peuple, le prêtre, l’hostie, dans les mains, puis le calice, tout en prononçant les paroles sacrées de la Consécration, regarde les gens, leur monte l’Hostie, tourne la tête de droite à gauche, s’essuie les joues s’il fait chaud, récite les « formules » de la Consécration de mémoire (ce qui est formellement interdit, pour éviter de se tromper) comme si, à ce moment là, c’étaient les fidèles qui intervenaient !
Ne devrait-il pas être incliné, recueilli, marquer un léger temps de silence, pour manifester que ce n’est plus lui qui agit, qu’il laisse la place au Seigneur qui va se rendre présent dans l’accomplissement de son Sacrifice ? Et laisser ainsi le temps aux fidèles de s’unir à lui, dans sa prière, dans son adoration, en ce moment solennel où s’accomplit notre salut ?
Il faut reconnaître aussi que le texte de la Consécration, tel qu’il est rédigé actuellement, fait plus penser à un « récit » pur et simple, où se mêlent sans distinction la partie de récit de l’Institution de l’Eucharistie à la Dernière Cène, et la partie qui est la Consécration de l’Hostie et du Vin : en raison de la ponctuation tout d’abord ( : - deux points -, qui indiquent une continuité -  au lieu de . –point - qui marquait une pause ; et en raison de la mise en lettres majuscules de paroles concernant le simple récit de la cène, et les paroles mêmes de l’Institution de l’Eucharistie .Une confusion est facile à faire, surtout quand on n’a pas reçu une formation suffisante pour éviter une interprétation et une attitude erronées à ce moment grandiose et sacré !
Et cela, il faut le dire et le répéter, n’aide certes pas le prêtre qui n’a pas reçu une formation suffisante, à se rendre compte de qui se passe, de ce qu’il réalise, de ce que le Christ réalise par son Ministre.
Mgr Marini soulignait l’insuffisance de la formation des prêtres. Certains d’entre eux sont devenus Evêques. Comment s’étonner alors de leur apathie ?
Pasteurs, quand vous déciderez-vous à intervenir pour mettre fin à cette crise de la Liturgie, à cette débâcle galopante dans la liturgie, jusqu’à voir, comme dernièrement à Liège (cf. article Hermas), un prêtre célébrer le « mariage » de deux personnes du même sexe ?
Oh ! Oui, Saint Curé d’Ars, priez pour nous, vous qui êtes devenu ou allez devenir le « Patron des prêtres ».
Une dernière question pourrait se poser, devant la reprise de certains geste ou ornements, faits par Notre Saint-Père le Pape Benoît XVI. Elle a été posée à Mgr Piero Marini, en ces termes :
« Avez-vous trouvé en Benoît XVI un Pape particulièrement attentif à la liturgie ? »
« Oui, comme chacun sait. Pour moi, Benoît XVI est non seulement un expert en liturgie, mais quelqu’un vivant cette liturgie, sachant ce que c’est. J’en ai eu l’expérience dès le début de son Pontificat quand je me suis déplacé avec lui plusieurs fois. J’ai alors vu son sens de la liturgie, son intelligence de la liturgie. Il est le fils de ces grands maîtres qu’ont été Romano Guardini, et quelques autres. Il est difficile de trouver dans l’histoire, excepté au premier millénaire, un autre Pape qui se place à l’intérieur de la question du Mystère » (op. cit. p. 134).
Merci Excellence pour ce témoignage fondé sur votre expérience. Que votre témoignage puisse faire taire ces critiques destructrices et nocives, en France, en Allemagne, en Belgique, en Suisse, en Italie et même à Rome, chaque fois que le Saint-Père intervient discrètement dans le domaine de la liturgie, pour lui redonner son caractère sacré, et inviter les Pasteurs à imiter le Vicaire du Christ : « Qui vous écoute, m’écoute » !. Qu’il puisse amener les prêtres à suivre le Vicaire du Christ, au lieu d’entendre des prêtres dire, comme je l’ai rapporté ci-dessus, par ignorance et par parti pris : « « Si le Pape veut nous imposer toutes ses réformes et revenir en arrière, avec la Croix sur l’autel, la communion à genoux et dans la bouche, les ornements du passé, la Messe de Saint Pie V, que je ne connais même pas, la Messe le dos au peuple, etc. Moi, je ne le suivrai pas, ni beaucoup d’autres confrères. L’Eglise ne peut être l’Eglise du passé ».
« Parce Domine, parce populo tuo, ne in aeternum irascaris nobis » : cette prière s’impose plus que jamais en ce temps de Carême, qui nous invite tous, prêtres d’abord, et fidèles, à une conversion au Christ, et donc à une adhésion à son Eglise, et à Son Vicaire : n’a-t-il pas promis d’être présent avec Elle, avec Lui jusqu’à la fin des siècles ?

Mgr Jacques Masson