Mon cher Victor,
D'abord, spéciale dédicace à ma marraine, qui vient de s'apercevoir (il était temps !), suite à une inspection
tout à fait réussie, qu'elle était une bonne maîtresse. Alleluïa ! Bravo Mademoiselle Eddie ! Je suis, bien évidemment, ravie pour elle, et
n'ai à aucun moment douté de ses talents d'enseignante.
Bon. A mon échelle, pas d'inspection. Je ne suis qu'en T1 et l'avantage de la première année d'enseignement (parce qu'il faut bien qu'il y en ait, vues les larmes
que l'on verse et les heures passées à suer sur les fiches de prep'...), c'est qu'on nous fout la paix. Bon. Pendant la PE2, nous sommes très très suivis et c'est vrai que cela fait
drôle d'être largué dans une classe, avec en tête ce doute insupportable : "Est ce que ce que je fais est bien ?". C'est pourquoi des conseillers pédagogiques nous visitent autant que
possible pendant cette année charnière. Et crois-moi, Victor, ce n'est pas de trop ! Parce qu'une petite partie de moi est encore maîtresse stagiaire, même si une autre partie s'affirme,
prend sa place, et rentre le soir chez elle en se disant qu'elle est heureuse du boulot accompli. Cette part parvient même, maintenant, à mettre des mots dans le cahier de liaison pour demander à
rencontrer les parents d'un gamin insupportable. Ce qui est un sacré progrès quand on se remémore la PE2 peureuse et stressée que j'étais à l'époque de mon troisième stage.
Bref. Ce matin, donc, à 9 h, on toque à ma porte. C'est ma conseillère pédagogique. Réputée douce et sympa. Je sais, en théorie, que je n'ai rien à craindre : j'ai
mis des choses en place avec les gosses, je bosse jusque tard le soir, je fais des fiches de séquences, j'ai des programmations, des progressions, j'aime les gamins. En résumé, je suis
une maîtresse concernée. Malgré tous les moments de doute, de panique, de fatigue, je le sais : j'aime mon métier. Je me donne, à fond. Au grand damn de mon Mystérieux Inconnu.
Tiens, cela faisait longtemps que l'on en avait pas entendu parler de celui-là... Bref. Vas-tu m'écouter ? On toque à ma porte. Elle apparaît, blonde
et délicieuse, et je me dis que j'aurais bien aimé lui ressembler. Je lui fais part de mon état d'esprit, de mes difficultés, aussi, avant même de commencer ma journée, histoire de la
préparer à l'immense cataclysme qu'est la prise de classe selon Mirabelle. Pfff...
Alors... Je ne vais pas te raconter ma matinée en détails, ce serait trop long... En résumé : il me semble que j'ai produit la matinée la plus FOIREUSE depuis le début de
l'année. Je ne me suis jamais sentie aussi angoissée. Aussi stressée. Peut être parce que je n'ai plus l'habitude d'être observée. Peut être parce que je n'ai plus la pression
des validations. Peut être parce que je sais que maintenant, je suis vraiment maîtresse, et qu'on ne rigole pas avec ça. Enfin bon. Je n'avais plus de salive. J'avais l'impression d'enchaîner
connerie sur connerie. Conscience de faire exactement ce qu'il ne faut pas faire. Correction d'évaluations de conjugaison pas brillantes. Se remettre en question. Quasiment sous les yeux de la
conseillère. La voir froncer les sourcils sur mes prep'. Me dire : "Oh mon dieu, mes prep' sont tellement merdiques, ça ne m'étonne pas...".
Enfin, 10 h 30. Récréation. Je souffle, parce que les élèves ne me posent plus de questions pièges ("Maîîîîîtresse, je comprends pas la consiiiiiigne !!!!"), mais j'appréhende, parce que
c'est le moment des conseils, du "ce que je pense de ta pratique de maîtresse". Bon. Je me prête au jeu volontiers. Parce que même si ça fait mal, j'ai besoin d'un oeil extérieur pour me
dire ce qui pêche. Et ce qui pêche...
"Ce que j'ai vu, globalement, Mirabelle... C'est que c'était trop transmissif. Je te rassure tout de suite : c'est souvent ce qu'on peut constater, chez beaucoup de T1."
Je ne suis pas surprise. En pleine correction des exercices sur les types de phrases, je me suis vue, moi, en tant que spectatrice. Je dirige tout. Je dis tout. Parce que je veux que ça avance.
Alors qu'en fait, plus on en dit, moins ça avance, et moins il y a de réel apprentissage dans leur petite caboche. Nous décortiquons la séance. Elle me donne des idées. Dans un total
respect. Quand on dit que les visites de conseillers péda' sont des "conseils", je t'assure, Victor, que ce n'est pas un vain mot. C'est vrai. Il y a du respect, je le répète, et de la
diplômatie. Du positif. De l'accompagnement. Et de la compréhension. Ses critiques, je les prends bien, parce qu'à aucun moment je ne perçois ce côté donneur-de-leçon, cette
condescendance que j'avais discernée chez certains IMF.
"Bon. Il faut vraiment que tu te concentres là-dessus. Pour que les enfants soient plus actifs. Parce que tu as de gros acquis. Les enfants sont bien, en confiance. Tu les cadres. Ils
savent ce qu'ils ont à faire. C'est très bien. Ce que j'ai beaucoup aimé, aussi, dans ta pratique, c'est que tu les fais lire. Vraiment. En insistant sur le sens. C'est important. Et
bizarrement, cela se voit de moins en moins dans les classes, parce qu'inconsciemment, on a tendance à considérer que la lecture c'est cycle 2. Alors que cela se prolonge tout au long du cycle 3.
Ca, c'était très bien."
Les "gros acquis" clignotent dans ma tête. Le poids qui écrasait mes épaules s'évanouit soudain. Je me dis que je vaux quelque chose. Bien sûr, ce n'est pas une inspection. Mais tout de
même, cela fait tellement de bien ! Nous discutons, discutons, discutons, et convenons d'une date pour nous revoir en janvier. Elle m'aidera à monter des séances où les mômes seront plus actifs.
Elle s'en va. Je vais acheter ma bouffe au C********t, j'ai des ailes et j'adore mon métier.