C'est écrit...
Le voyageur est assis dans la forêt, un tas de notes sur les genoux, et il regarde l'humble demeure qui se dresse devant lui. Il se souvient d'y être déjà venu avec des amis. A l'époque, il avait simplement remarqué que le style de cette maison s'apparentait à celui d'un architecte catalan ayant vécu très longtemps auparavant, et qui n'avait probablement jamais mis les pieds dans cet endroit. La maison se trouve près de Cabo Frio, dans l'Etat de Rio de Janeiro, et elle est entièrement faite de débris de verre.
En 1899, son premier propriétaire, Gabriel, vit en rêve un ange qui lui suggéra : "Construis une maison au moyen de tessons." Gabriel se mit à collectionner les carreaux brisés, les assiettes, les bibelots et les bouteilles cassées. "Chaque morceau devient beauté", disait-il de son ouvrage. Pendant quarante ans, les habitants du voisinage affirmèrent que cet homme était fou, mais plus tard des touristes découvrirent sa maison et en parlèrent autour d'eux. Gabriel devint un génie. Puis la nouveauté passa, et il retourna à l'anonymat. Cependant, il continua de construire. A l'âge de quatre-vingt-treize ans, il posa son dernier débris de verre... et mourut.
Le voyageur allume une cigarette qu'il fume en silence. Il ne pense plus aujourd'hui à la ressemblance qu'il avait décelée entre la maison de Gabriel et l'architecture d'Antonio Gaudi. Il regarde les morceaux de verre et songe à sa propre vie. Comme toute existence, elle est faite des fragments de tout ce qui lui est arrivé. Cependant, à un certain moment, ces éléments ont commencé à prendre forme.
Et, le voyageur, voyant les papiers sur ses genoux, se rappelle son passé. Il y a là des morceaux de sa vie : les situations qu'il a vécues, des extraits de livres qu'il n'a pas oubliés, les enseignements de son maître, des histoires que lui ont contées un jour ses amis. Il y a aussi des réflexions sur son époque et sur les rêves de sa génération.
De même que Gabriel a vu en rêve un ange et a bâti la maison qui se dresse maintenant devant ses yeux, le voyageur s'efforce de mettre en ordre ses papiers pour comprendre sa propre construction spirituelle. Il se souvient que, lorsqu'il était enfant, il a lu un livre de Malba Tahan intitulé Maktub, et il pense : "Peut-être devrais-je faire la même chose."
Paulo Coelho - Maktub - Le Livre de Poche n° 30407