Magazine Journal intime

Fausse science

Publié le 17 mars 2010 par Alainlecomte

jeudelamort.1268818286.jpg

Il y a différentes manières d’être un « scientifique », ou, simplement, d’avoir à faire quelque chose avec « la Science ». L’une consiste dans une attitude de modestie face à la quantité de savoir que nous n’avons pas et que nous n’aurons jamais. Cette attitude est informée de ce que les « vérités de la science » sont toujours relatives. Elles sont relatives à un cadre d’hypothèses donné, à des possibilités d’expérience limitées et au fait que le domaine du pensable ou du pensé n’est pas extensible indéfiniment. Après tout, notre aptitude à connaître fait elle-même partie de ce que nous avons à mieux connaître, elle est enracinée dans notre monde physique et biologique, dont elle est une composante. Noam Chomsky a dit des choses très originales sur ce sujet, qui tranchent avec « l’idéalisme » de la plupart des philosophes et scientifiques (je renvoie à son livre traduit en français sous le titre « Nouveaux horizons dans l’étude du langage et de l’esprit », éditions Stock, 2005). Une autre manière consiste à se draper dans l’orgueil du scientifique, le « supposé savoir » comme disait Lacan, bref, celui qui sait, et qui de ce « savoir » songe immédiatement à faire un « pouvoir ». Et quand, en plus, ce savoir porte sur les relations à l’intérieur des communautés humaines, donc… sur le pouvoir, alors là, l’effet est redoublé. Non seulement ces scientifiques « savent » donc ont le pouvoir conféré par un tel savoir, mais en plus… ils savent sur le pouvoir. Alors, là, dit vulgairement, vous n’avez plus qu’à fermer votre gueule.

Et ces gens, qui font de « la Science » ( ?) et à propos du pouvoir, font des « expériences », ce sont des expérimentalistes, fiers de l’être en plus car ils s’imaginent de ce fait rejoindre ceux qui sont supposés être les meilleurs fabricants du savoir que sont les physiciens et les biologistes. On les aura reconnus, ce sont les « socio-psychologues expérimentalistes ».

jean-leon-beauvois.1268818307.jpg

(J. L. Beauvois, psycho-sociologue expérimentaliste, conseiller de l’émission)

C’est leur jour de gloire aujourd’hui puisqu’ils nous proposent triomphalement leur dernier chef d’œuvre, l’émission de télé qui tue (littéralement !), afin de nous asséner cette vérité dure à entendre : les humains sont prêts à tous les asservissements dès qu’une relation de pouvoir s’installe, fût-elle par le biais… de la science (Stanley Milgram) ou bien par celui de la télé. Ils ne se posent évidemment pas la question de cette curieuse mise en abîme qui aura choqué plus d’un : l’expérience consistant dans ce faux jeu de télévision est elle-même un montage, légitimé par des impératifs scientifiques. Autrement dit, il y a double manipulation, celle, bien sûr, des pauvres candidats par une présentatrice télé, mais aussi bien entendu celle de la présentatrice télé elle-même par les metteurs en scène de l’expérience. On ne s’attarde pas assez sur le fait qu’elle aussi subit, accepte d’obéir. Or si elle sait que les tortures infligées par les candidats sont fausses, elle n’ignore pas, elle, que les tortures mentales qu’elle inflige aux candidats sont elles… bien vraies !

De la même manière que dans l’expérience initiale de Stanley Milgram où il s’agissait de montrer que les gens acceptaient d’obéir aux injonctions sous l’emprise d’une légitimité, celle de la science, c’était la science même qui réalisait un dispositif de manipulation pour prouver que… la science manipulait ! La structure de ce genre de montage ressemble beaucoup à la figure de raisonnement qu’on appelle « pétition de principe ».

Maintenant, que conclure, une fois que le montage a eu lieu ? Ne peut-on penser que les candidats, parce qu’ils se trouvaient sur un plateau de télé, imaginaient tout simplement dès le début, que tout cela était factice ? L’effet « télévision » ne serait-il pas plutôt de « déréalisation ». Il y aurait beaucoup d’hypothèses à faire qui ne sont pas nécessairement celles qui viennent les plus spontanément à l’esprit. On peut s’entendre sur le fait que dans toutes les situations de ce genre (voir par exemple « la rafle ») une attitude constante semble être manifestée par les individus pris au piège, c’est l’incrédulité. C’est si énorme que ça ne paut pas être vrai.

Une question que nos chers psycho-sociologues ne se posent pas au spectacle de ce soir : comment se fait-il qu’aucun candidat ne réagisse en disant : « une décharge de 460 volts est mortelle, cela est une vérité scientifique, or, vous me demandez d’infliger une telle décharge, évidemment je ne peux pas croire un seul instant que vous me demandiez de tuer quelqu’un, donc vous n’êtes pas sérieux, donc ceci est une mascarade, donc adieu… ». Personne ne réagit de cette façon ? Pourquoi ? A mon avis la réponse est simple : parce que les gens ne savent pas qu’une décharge de 460 volts est mortelle ! ce qui est à incriminer ici, ce n’est donc pas nécessairement la propension à l’asservissement des gens, mais en premier lieu leur ignorance . Ce que cette manipulation psycho-sociologique aura donc ainsi prouvé, par la bande, c’est qu’en fait de « science » (mais alors de vraie science, celle qui porte sur des réalités physiques tangibles)… celle-ci est bien mal partagée !


Retour à La Une de Logo Paperblog