Magazine Nouvelles

Chaleurs funestes - 25/28

Publié le 09 octobre 2009 par Cathgenin

-   Mais où étais-tu passée ? demanda Virginie

-   Tu me cherchais ? questionna Inès.

-   Pas moi, Jeanne, elle voulait te parler, je crois.

-   Où est-elle ?

-   Assise sur la marche de la piscine, tu verrais cela, elle monte et descend de son fauteuil avec une aisance incroyable. Elle a fait beaucoup de progrès.

-   Tant mieux, tant mieux… marmonna Inès en allumant une cigarette. As-tu effacé les passages compromettants de tes films d’hier ?

-   Bien entendu !

-   Qu’as-tu fait de ta caméra ?

-   Rangée ! A l’abri !

-   Dommage, répondit Inès en aspirant longuement la fumée de sa cigarette blonde.

-   Pourquoi, dommage ?

-   Michel et Sophie, c’était du cinéma pour enfant de chœur comparé à ce qui vient de se passer dans la grange !

-   Que vient-il de se passer dans la grange ?

-   Paul et Inès … et c’était chaud, très chaud !

-   Tu plaisantes ? s’exclama Virginie.

-   Pas du tout !

-   Raconte …

-   Non, fais travailler ton imagination ma vieille, répondit Inès en se dirigeant vers la piscine.

Paul avait installé les parasols qui avaient aussitôt dégagé une odeur de renfermé à leur ouverture. Ils avaient triste mine placés à côté du nouveau salon de jardin en rotin tressé, mais il fallait parer à l’immédiat et se protéger des rayons nocifs du soleil.

Inès retira sa chemise en coton et descendit dans la piscine pour rejoindre Jeanne.

-   Qu’as-tu dans le dos, demanda cette dernière, tu es toute griffée ?

-   Rien, rien, je me suis éraflée en voulant dégager des vieilleries dans la grange. Virginie m’a dit que tu t’étais débrouillée toute seule pour te hisser hors de ton fauteuil et gagner le bassin.

-   C’est vrai, chaque jour qui passe, je gagne un peu en autonomie, mais ma condamnation reste la même malgré tout !

-   Tu n’es pas toute seule, Michel te seconde beaucoup, dit Inès.

-   Michel n’est plus heureux avec moi depuis longtemps, je ne peux pas lui en vouloir et Chloé partira faire sa vie, c’est normal, non ?

-   Bien sûr acquiesça Inès, tout à coup mal à l’aise face à la lucidité de son amie, that’s life !

-   Chère Inès qui ne voit jamais rien ! Parfois, il m’arrive de t’envier. Tu es dans ta bulle, ainsi tu n’es pas agressée…

-   Loin de moi la béatitude et le monde des Bisounours, Jeanne.

-   Désolée, c’est déplacé venant de moi…

-   Tu voulais me parler.

-   Oui, de Michel justement.

-   Et bien ?

-   Il a une maîtresse.

-   Je sais.

-   Tu sais ?

-   Eh oui ! Je ne vois peut-être jamais rien, mais je dois avoir un sixième sens ! Sophie n’est-ce pas ?

-   Oui, depuis six mois environ, je ne sais pas si c’est sérieux, mais c’est ainsi. Je supporte pour garder Michel, uniquement pour le garder.

-   Tu ne l’aimes plus, osa Inès.

-   Je suis pragmatique … bien obligée !

-   Sinistre ou machiavélique, plutôt ! De toutes les façons, Sophie ne quittera pas Paul, elle est bien trop attachée à l’image qu’elle tente de renvoyer.

-   C’est Paul qui partira, tu verras …

Cette dernière remarque laissa Inès perplexe et fit resurgir les moments incroyables passés dans la grange. Un grand frisson parcourut tout son corps, elle désirait Paul à nouveau. Y aurait-il une prochaine fois ? Devrait-elle à tout jamais ranger ces moments d’extase au rayon des souvenirs ? L’image de leurs deux corps en sueur l’obsédait, la transportait dans une euphorie toute nouvelle, inconnue.

Pourquoi en avait-elle parlé à Virginie, toujours avide de commérages, pourquoi cette envie irrésistible de dévoiler à Jeanne les délices charnels auxquels elle ne pouvait plus prétendre clouée dans son fauteuil et pourquoi tout à coup son amie paralytique désirait-elle lui parler de Michel ? Pour se soulager, évoquer à haute voix ce à quoi elle devait faire face, pour trouver une oreille compatissante, pour se faire plaindre ?

Inès n’avait pas l’intention de faire table rase du passé, de renier une époque révolue, ni même de faire payer à son entourage des mensonges qu’elle n’avait pas su détecter en temps voulu. Elle ne voulait rien briser, rien sanctionner seulement se dédommager un peu et pour cela, il fallait savoir tourner des pages, laisser de côté ce qui avait été souillé, stopper l’hémorragie de mensonges et autres facéties. Elle ne voulait plus rapiécer, raccommoder, remailler ce qui avait été détérioré. Ce qui avait été cassé n’était pas réparable.

-   Tu m’écoutes ? demanda Jeanne.

-   Oui, oui, répondit Inès sans grande conviction.

De spectatrice impuissante, en une heure de temps, Inès était devenue une actrice prête à bondir sur scène. La manière dont elle s’y prenait, par petites touches, l’air de rien, l’étonnait elle-même. Elle ressentait un besoin irrépressible de saisir son existence à bras-le-corps et de tenter de rayonner de détermination et de liberté.

D’aucuns, et Monsieur-son-amant en particulier, y auraient décelés une accumulation de lieux communs, un sursaut quadragénaire, un regain d’indépendance tardif, une désinvolture irrévérencieuse. Mais Inès en avait conscience, elle était banale, commune, ses choix l’étaient tout autant et elle avait passé l’âge de demander la permission pour les formuler. Peut-être Paul avait-il été le révélateur de cette évolution, à moins que ce ne fût l’ouverture de la boîte de Pandore qui avait jeté l’opprobre sur ceux qui se croyaient à l’abri de ses éclaboussures.

La boîte de Pandore… Belle et touchante légende qui, dans le malheur auquel Jupiter vouait les hommes, leur laissait l’Espérance, captive divine qui colore la vie d’une teinte d’arc-en-ciel. L’homme misérable peut dans sa misère se laisser prendre aux doux mensonges et aux illusions que lui chante de sa voix de berceuse, l’Espérance…

Inès devenait étrangère, éloignée des préoccupations de ses amis chez lesquels semblaient régner en maîtres, bassesse, affront, dégradation et repentance dont elle n’avait que faire. Elle-même avait franchi sans vergogne ni retenue les limites de l’honnêteté en répondant aux assauts de Paul, mais elle n’en éprouvait pas de remords et encore moins de regrets, juste un peu d’embarras et de confusion que lui conférait son nouveau statut de « Maîtresse de… » !

Elle trouvait Jeanne pathétique, Sophie caricaturale, seule Virginie l’émouvait, l’amusait, la touchait. Malgré tous ses artifices, c’était elle la plus sincère, la plus loyale. Fidèle parmi les fidèles, son amitié tonifiait, stimulait Inès qui, à ce moment précis, réclamait plus que jamais de l’authenticité. Elle se savait capable de pertinence qu’elle ne voulait plus faire rimer avec convenance.

-   Marc s’est encore fait piquer par les abeilles crièrent les jumeaux. Viens Inès, il gonfle et on ne trouve pas Christine !

Avant qu’Inès ait eu le temps de sortir de l’eau, Marc s’approchait du bassin en tonnant contre les insectes qui cette fois s’en étaient pris à son bras droit. Il tempêtait contre « ces bestioles de merde », s’époumonait à chercher sa compagne, clamait son horreur de la campagne.

-   Calme-toi ! intima Inès, je t’emmène à la pharmacie si tu veux…

-   J’y vais trancha Paul en enfilant son pantalon.

-   Mais où est Christine ? s’égosillait Marc.

-   Elle fait la sieste à l’intérieur, tais-toi et pose cette cannette mon vieux, rejoins moi à la voiture.

Marc parvint à prononcer un « ok » d’une voix pâteuse. Il s’effondra sur un transat et sa main molle et hésitante chercha à tâtons la bière qu’Inès avait pris soin de retirer. Inès et Paul décidèrent d’un commun accord de faire appel au médecin du village qui leur assura être à la Grangerie en moins d’une demi-heure.

-   C’est pitoyable soupira Jeanne qui, avec l’aide d’Inès, tentait de regagner son fauteuil.

-   Il doit être terriblement malheureux…

-   Mais non, Inès, ce mec est un vicieux, un sale type qui n’a pas hésité à me pousser du haut de l’escalator à Roissy !

-   Tu dis n’importe quoi !

-   Pourquoi crois-tu que je ne lui adresse plus la parole depuis dix ans ? Parce qu’il aurait découvert ma liaison avec ton mari ? Uniquement pour cette raison, cela n’aurait pas de sens ! Il m’a poussé, je le sais, je l’ai vu !

Orgueilleuses, imprudentes et malheureuses paroles !

-   Ta gueule la vieille grommela Marc, je ne t’ai jamais poussé, je le jure Inès !

-   Serment d’alcoolo murmura Jeanne.

-   Je vais te la dire la vérité, moi, ma petite Inès : ton mari, il baisait Jeanne et sans doute une précédente avant celle- là ! Tu aurais pu tout de même comprendre, te rendre compte ! Il les lui fallait toutes et tu ne voyais rien. Mais Jeanne, elle le voulait pour elle, pour elle seule…

-   Tais-toi Marc suppliait Jeanne en se bouchant les oreilles.

-   Il voulait la quitter sur le bateau, il avait déjà une nouvelle conquête calédonienne…

-   Ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai ! bredouilla Jeanne en s’éventant de la main.

-   C’est elle qui l’a poussé à l’eau pendant leur dispute ; c’est à cause d’elle s’il s’est tué !

-   C’était un accident hurla Jeanne, un malheureux accident !

Marc avait cédé à la boisson, à la chaleur, à la fureur. Il avait frappé, infligé des mots comme autant de blessures, de brûlures. Pour tenter d’en sortir, pour en finir et ensuite oublier.

Mais Inès ne répondit pas à ses coups et moins elle répondait et plus il frappait.

Il s’arrêta, elle ne bronchait toujours pas.

-0-


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Cathgenin 12 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines