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Chaleurs funestes - 23/28

Publié le 07 octobre 2009 par Cathgenin

Les murs épais de la salle-à-manger apportaient une fraîcheur exquise après la chaleur emmagasinée au bord de la piscine.

Il s’y dégageait une odeur de cuisine, mêlée à celle des crèmes solaires et des parfums vanille ou patchouli dont raffolaient les adolescentes.

-   C’est moi, entendit Inès à l’autre bout du fil. Comment vas-tu, mon chou ?

-   Bien, bien et toi ?

-   Très chaud, comme tout le monde, tu dois être heureuse d’avoir la piscine !

-   Oui, mais j’ai cassé le dauphin !

-   Hein ?

-   Ce n’est rien, je te raconterai, nous allons passer à table.

-   Belle journée hier ? Je t’ai manqué ?

-   Belle journée, oui, étonnante …, tout comme aujourd’hui…

-   Veux-tu que je te rappelle plus tard ?

-   Non, c’est moi qui te rappellerai, ce sera plus facile.

-   Mais …

-   C’est vrai, Madame-ta-femme ! A plus tard.

-   Ton amoureux ? questionna Virginie

-   J’ai l’air amoureux ? demanda Inès.

-   Pas vraiment … répondit son amie, je t’ai connue plus éprise !

-   Il ne passera pas l’hiver …

-   Ah ?

-   Même pas ému par la mort du dauphin !

-   Evidemment, c’est un argument.

La conversation allait bon train. Chloé semblait toujours aussi enjouée et faisait la plus grande joie de ses parents, Patrick, malgré le jour de fermeture de son magasin, continuait à avoir l’œil rivé sur son portable, Marc et Christine roucoulaient, Michel lançait à Sophie des regards énamourés qui n’échappèrent pas à ceux qui connaissaient la situation, mais Paul le Magnifique affichait un détachement total malgré les interventions diverses de son épouse.

Ilona apprit à l’assemblée qu’elle cherchait une chambre à Paris pour la rentrée de septembre. Elle était inscrite dans une école de commerce, mais les loyers parisiens l’effrayaient.

-   Je pourrais peut-être te trouver du travail au journal dit Inès.

-   Et pourquoi ne pas venir chez nous à Versailles ? proposa Caro, il y a de la place.

-   C’est tout de même incroyable de ne pas trouver à se loger actuellement dit Inès ! très fière de cette banalité à pleurer. Derrière la spéculation sur le prix de la pierre, subsiste tout de même la volonté et le désir d’avoir un toit sur notre tête et sur celles de nos enfants !

-   Triste réalité ! affirma Christine, bien loin de ces préoccupations.

-   La réalité, c’est la réalité économique, osa Ilona, toute empreinte de ses jeunes notions commerciales.

-   Le premier qui prononce le mot « crise », je le colle à la plonge, dit Inès en désignant le chemin de la cuisine.

Il y a des sujets de conversation qui plombent.

C’est fou ce que les gens sont bien informés de nos jours : chiffres du chômage annoncés d’une voix gourmande au potage, courbe de la chute de la bourse tracée à la fourchette dans la purée de céleri, perspectives d’avenir des entreprises matraquées sur le reblochon, tout est réuni pour pourrir un dîner de l’entrée au dessert. Et il y a l’invité flippant ; il est banquier ! Imaginer sa vie, c’est avoir envie de se pendre avec la ficelle du filet de bœuf ! Les artistes aussi sont devenus archi rasoirs avec leur lamento sur le statut des intermittents !

-   Nous aussi, nous pourrions peut-être te loger. La chambre de service vient d’être refaite, n’est-ce pas Paul ? proposa Sophie.

-   Certainement, certainement …

-   Nous te tiendrons informée à notre retour d’Espagne.

-   Nous ne partons plus en Espagne dit Paul sans lâcher le plat de girolles des yeux. Des affaires urgentes à régler à Paris. Les jumeaux partiront avec mes parents et Ilona les rejoindra.

-   Mais, nous devions arriver après-demain répliqua Sophie.

-   Nous devions, en effet, répondit Paul. Qui reprendra des champignons ?

D’autres sujets de conversation plombent aussi …

« Du jour au lendemain, un plat de champignons me laissa seul au monde », écrivait Sacha Guitry dans « Le Journal d’un tricheur ».

Pour des raisons différentes, et à cet instant précis, Sophie dut ressentir ce sentiment de grande solitude qui ne l’avait jamais effleurée. Paul le Magnifique n’était plus là pour la hisser en haut du piédestal qu’elle affectionnait, plus là pour la complimenter, ni même la rassurer.

D’un seul coup, Paul ne chantait plus ses louanges, ne l’encensait plus, ne l’élevait plus au rang de la perfection. Elle considéra la réflexion de son mari comme un désaveu. Pourquoi une telle sanction, pourquoi ce renoncement à des vacances planifiées et désirées depuis si longtemps ?

Elle aurait aimé crier grâce, demander l’amnistie et recevoir l’absolution, au lieu de cela, elle était au banc des accusés, elle se sentait jugée, abandonnée.

Que Paul venait-il de découvrir et comment ? Etait-ce sa tromperie professionnelle ou bien sa liaison avec Michel ? Et s’il s’était agi des deux ? Qui en avait parlé ? Elle pensa à Virginie pour le premier cas et à Marc dont elle avait cru apercevoir l’ombre dans la grange.

Elle était loin d’imaginer que son mari procédât de la sorte. Elle pensait qu’il aurait privilégié la flagornerie au blâme, opté pour l’hypocrisie afin de ne pas écailler un vernis qu’elle avait pris grand soin d’appliquer au fil des années.

Et pourquoi ne lui avait-il parlé de rien ? Pourquoi, depuis sa nuit passée en solitaire dans le pool-house, n’avait-il pas exprimé ses doutes, ses tourments ? Etait-il parfaitement insensible à ce qui la préoccupait ?

Elle songea qu’Inès aurait rejoint le Café du Commerce pour déclarer que c’était « L’hôpital qui se foutait de la charité », mais elle ne put se résoudre à s’avouer vaincue, rattrapée par ses mensonges. Elle ne se sentait ni effondrée, ni dépitée, ni renversée et encore moins terrassée ; plus que jamais elle décida de faire de la résistance pour triompher. Elle ferait de sa supposée défaite une victoire, dompterait ses détracteurs pour maintenir une image qu’elle voulait immuable. Elle ne vit aucun orgueil à sa pensée, elle ne réalisait pas que c’était cette même suffisance, ce mépris, cette morgue qui éloignait d’elle les êtres qu’elle se croyait attachée. Elle avait peur, simplement peur d’être abandonnée, pire, négligée.

Pour une fois, elle ne maîtrisait pas la situation, c’était là le plus malaisé, mais elle se jura qu’une bimbo oxygénée ou qu’un ilien alcoolique n’aurait pas raison de son devenir.

Pour Inès, le sentiment de solitude était à prendre comme un signe. Elle le vivait au travers de sa relation avec Monsieur-son-amant, même si elle ne partageait pas son quotidien. Plus d’une fois, elle avait désiré profiter de moments heureux avec lui, se réjouir ensemble d’une bonne nouvelle, d’un projet, d’une rencontre, mais il ne se passait jamais rien, elle ne recevait aucun écho.

Beaucoup d’attentes erronées font porter aux amants un poids qu’ils ne peuvent pas assumer. Parfois, c’est la conception du couple trop exigeante qui en est la cause. L’autre peut être décevant, mais parfois, on est responsable du niveau de son attente. En terminant son assiette de girolles, Inès se demanda si elle n’avait pas trop attendu d’Antoine, si son espoir de fidélité n’était pas une perspective de midinette et estima que tout un chacun se créait sa propre solitude, se la fabriquait. La seule, la véritable solitude, celle qui isole, qui sépare, c’est la mort, le définitif, l’irrévocable, l’irréversible.

Pourquoi personne ne vous prévient, le matin, d’une horreur pareille ? Pourquoi ne se doute-t-on de rien tandis qu’on se lave sous la douche, qu’on fait ses courses, qu’on prépare son anniversaire dans un bungalow ensoleillé au bout du monde ? Pourquoi ne reçoit-on pas de signe, pourquoi ne ressent-on rien de particulier alors que le ciel va nous tomber sur la tête ? Pourquoi est-on si mal préparé ? Mais comment pourrait-il en être autrement ? Fallait-il se répéter chaque matin en se brossant les dents : c’est peut-être aujourd’hui, ou ce sera demain ? Fallait-il se blinder et se dire qu’à tout moment, on peut perdre un parent, un ami, un mari? Etre prêt ? Prêt au pire ? Mais comment vivre, alors ?

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