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Chaleurs funestes - 22/28

Publié le 06 octobre 2009 par Cathgenin

-   Qu’as-tu à me regarder de la sorte ? demanda Sophie à Inès qui enfournait un rôti piqué d’ail.

-   Tu m’étonnes, tu me consternes, tout en toi m’abasourdi !

-   Pourquoi ?

-   Tu as beau être démasquée, déjouée, tu ne t’avoues jamais vaincue. Tu te dis humiliée par des futilités et tu n’hésites pas à tromper ton entourage ; tu brouilles les pistes, tu déconcertes, tu déroutes.

-   Nous en avons déjà parlé Inès, être virée à mon âge n’a rien de bien glorieux, alors oui, j’ai un peu triché !

-   Un peu ? Tombe le masque pour une fois, dessaisis-toi de ton orgueil, pleure, crie, hurle, je ne sais pas moi !

-   Mais je te l’ai dit, Paul ne sait pas encore, alors pas de vague avant l’Espagne.

-   Toujours sous contrôle n’est-ce pas ? Aïe, je me suis brûlée s’écria Inès en passant sa main sous l’eau froide.

-   On s’énerve, on s’énerve et voilà dit Sophie pour clore une conversation qui la dérangeait. Ca va ou tu veux que j’appelle Michel ?

-   Pas besoin de médecin pour un simple bobo ! Et je te conseille de laisser Michel où il est, si tu veux mon avis !

-   Que veux-tu dire ?

-   Que tu es confondue, ma vieille, alors profil bas, ok ?

Inès surprit chez son amie un regard qu’elle ne lui connaissait pas. Il exprimait une réelle anxiété, une angoisse, voire une détresse, un désarroi. L’épouvante se lisait dans ses yeux. Que craignait-elle le plus ? Avoir été percée à jour ou renvoyer d’elle une image bien éloignée de celle qu’elle s’était fabriquée depuis des années ? Inès opta pour la deuxième solution.

-   Maman, on peut regarder le film de Virginie ? demanda Léo à sa mère.

-   Pourquoi pas ? répondit Sophie.

-   Je ne pense pas que ce soit une bonne idée dit Paul qui ouvrait les bocaux de champignons.

-   Oh, mais si, le temps de passer à table ! renchérit Caro.

-   Je préfère faire un montage et vous en envoyer un CD, déclara Virginie.

-   Tu nous fais languir, répliqua Sophie, les enfants auraient été amusés de voir Inès souffler ses bougies !

-   Depuis quand penses-tu aux enfants ? s’aventura Inès.

Sophie prit son amie par la main, l’entraîna hors de la cuisine et la somma de bien vouloir lui expliquer ses sous-entendus.

Inès l’observa et décida de lui imposer un silence qui, une fois n’était pas coutume, maintint Sophie sous son emprise, la pétrifia, la laissa suspendue à ses lèvres, à l’affût de la moindre explication.

Inès s’amusa de la situation, elle en joua, cela la divertit, la réjouit presque, mais finit pas l’ennuyer, l’assommer.

Une telle tactique ne lui ressemblait pas. Elle ne manoeuvrait pas de la sorte, n’éprouvait aucune jubilation à savoir son amie en difficulté, c’était juste un instant de divertissement qu’elle assimilait à un semblant de revanche. Elle ne pouvait prétendre à aucune réparation à dix ans de mensonges, alors elle se dédommageait à sa façon, s’octroyait une indemnité furtive, une compensation clandestine.

Elle tourna les talons, laissa Sophie à ses questions sans réponse et vint s’assoir auprès de Jeanne et de Michel interdits face à la métamorphose de Chloé.

-   Elle rayonne ! dit Michel, je n’en reviens pas, ce n’est plus la même !

-   Tout comme toi, songea Inès.

-   Je ne l’ai pas vue comme ça depuis des mois, ajouta Jeanne. Qu’avons-nous raté ?

La jeune fille aux formes généreuses et sensuelles partageait les fous rires de Caro et Marie et exhibait un grain de peau lisse et ferme sur lequel s’accrochaient les rayons du soleil.

Lascive, elle vint s’étendre sur un drap de bains bariolé ; son image tranchait singulièrement avec celle de la veille, d’austère, elle devenait voluptueuse, presque sulfureuse.

-   Elle doit tellement s’ennuyer avec nous, dit Jeanne, qu’elle ne doit plus savoir comment capter notre attention.

-   Il lui faut peut-être un peu de temps. On ne naît pas femme, on le devient. Elle va approcher prudemment les tailles ceinturées, apprendre les talons hauts sur les pavés bordelais, apprivoiser le rouge carmin, ce n’est pas à toi que je vais enseigner cela !

-   J’espère seulement qu’elle aura plus de chance que moi, soupira Jeanne.

Inès ne parvenait pas à plaindre totalement Jeanne, mais force était de constater que la vie ne l’avait pas épargnée. Le statut d’impotente, ne semblait pas suffire, il fallait en plus qu’elle soit cocue ! Cela aurait pu être drôle, si cela n’avait pas été aussi tragique aurait pensé Monsieur de la Palisse, qui « Un quart d’heure avant sa mort, était encore en vie » !

Le frôlement d’une main caressante dans son cou, fit relever la tête d’Inès. Marc se tenait debout derrière elle, le visage reposé, détendu.

-   J’ai faim ! dit-il en entraînant son amie dans la piscine. Mettez le couvert, femmes !

-   Merci les filles, merci Virginie ! parvint à prononcer Inès entre deux tasses que Marc semblait vouloir lui faire avaler en lui enfonçant la tête dans l’eau.

-   Toujours aussi bonne nageuse qu’il y a dix ans ? lui demanda-t-il.

-   On fait la course, tu vas voir … un, deux, trois … partez, mais que fais-tu Lulu, pose cette caméra tout de suite !

-   Je ne t’ai pas encore filmée dans la piscine, dit la petite fille.

-   Pose ça tout de suite, s’écria Inès en sortant de l’eau précipitamment et en écrasant au passage le thermomètre à tête de dauphin.

-   Mais, maman m’a toujours laissé …

-   C’est moi qui ne veux pas, pose ça !

A l’exception de Paul qui avait assisté à la scène, personne ne comprit le comportement d’Inès et encore moins la violence qu’elle mettait dans ses propos.

-   Que se passe-t-il ? demanda Virginie qui sortait de la cuisine un torchon sur l’épaule. C’est Lulu que j’entends pleurer ?

-   C’est Marraine qui ne veut pas que je me serve du caméscope pleurnicha l’enfant.

-   Elle a raison répondit sa mère en prenant un air penaud devant l’œil accusateur d’Inès.

-   C’est dommage, renchérit Jeanne, j’aurais aimé faire passer mes progrès à la postérité : descente et remontée de fauteuil seule, j’y suis arrivée tout à l’heure, je suis entrée dans le bassin sans l’aide de personne, n’est-ce pas Sophie ?

-   Oui, bravo Jeanne, répondit cette dernière. Mais moi non plus tout à l’heure, je n’ai pas eu le droit de visionner les films d’hier, alors !

-   Foutez-moi la paix avec vos films, mais foutez-moi la paix ! Et le dauphin qui est cassé, c’est malin ! Il n’y a plus de thermomètre maintenant ! bredouilla Inès. A table !

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