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Chaleurs funestes - 21/28

Publié le 06 octobre 2009 par Cathgenin

- Les sales bêtes, je me suis encore fait piquer ! Vociféra Marc en inspectant sa main gonflée.

- Mon pauvre chéri dit Christine, donne moi ce balai et vas te baigner.

- Mais que faites- vous Christine ? demanda Inès. Pas le ménage au moins …

- Je débarrasse les planches des graines de vigne vierge pour le fauteuil de Jeanne, les abeilles ne s’approchent pas de moi !

- A croire qu’elles ont leurs têtes assura Inès, mais allez rejoindre Marc, on a tout le temps. Jeanne et Michel sont au bord de la piscine.

- Je n’ai encore vu personne ce matin, j’ai dormi comme un loir !

- Tout le monde est là, venez.

Inès redoutait le moment des retrouvailles avec tous ses amis de la veille. Elle craignait une ambiance tendue, ankylosée par les non-dits.

Les cris de joie lancés par les enfants et les rires des adultes la rassurèrent. Paul et Patrick s’ébattaient dans l’eau, Michel commentait la presse à Jeanne, Sophie et ses enfants jouaient aux cartes, Marc avalait une bière sous le regard réprobateur de sa fiancée et Virginie décida de ne plus filmer.

Sous l’influence des autres jeunes filles, Chloé avait accepté d’enfiler un maillot de bains et quelques couleurs commençaient à brunir ses joues pâles.

-   Regarde Marraine, voilà Jeannot qui vient chercher son tracteur, s’écria Lulu.

-   Salut la compagnie dit Jeannot en s’approchant du bassin. Voyez un peu ce que Pierrette m’a chargé de vous donner !

Le petit groupe fit un cercle autour de lui et il sortit deux bocaux de derrière son dos. Il exhibait les pots et leur contenu, faisait admirer la couleur des girolles, la chair des cèpes, vantait les talents de cuisinière de sa femme, se désolait que la sécheresse de l’été n’autorise pas la cueillette des champignons, et faisait remarquer que, Dieu merci, il y avait les conserves de Pierrette !

-   Voilà les légumes pour midi, formidable ! s’enthousiasma Inès, venez les partager avec nous !

-   Pas question, petite. Pas deux jours de suite avec cette chaleur ! Tu veux notre mort ? Ah ces parisiens, allez, bonne journée la compagnie, on vous verra au Marché des Producteurs ce soir ?

-   Bien entendu répondit Inès, à tout à l’heure. Va ouvrir la barrière, Lulu.

Jeannot fit une sortie cabotine, bien conscient d’être contemplé par les hôtes de la Grangerie et sans le vouloir entraîna sur son passage un des vantaux du portail.

Un verre à la main, Marc vantait la beauté de la Nouvelle-Calédonie, son plus grand lagon du monde, ses plages infinies, sa culture mélanésienne qui avait encore bien des mystères à dévoiler, mais aussi ses forêts sèches qui ne représentaient plus qu’une toute petite surface morcelée, les feux de brousse, l’urbanisation. Il parlait écosystème, menace de la faune et de la flore.

Son auditoire était essentiellement composé des jeunes filles attentives, les adultes connaissant parfaitement son discours éculé d’écolo.

-   On sait, on sait dit Michel, cela ne t’empêche pas de rouler en 4X4 et de moraliser sur les vertus du vélo … hollandais de préférence !

-   Ce n’est pas pire que toi ! répondit Marc. Tu manges bio, tu t’habilles bio, mais tu pollues l’atmosphère avec ton arrogance de petit nanti !

-   Arrête Marc, ordonna Jeanne.

-   Tiens, elle m’adresse la parole la belle-sœur. La belle Jeanne qui adôôôre la mixité et met sa fille unique dans une école privée, laissez-moi rire !

-   Je t’en prie, supplia Christine en s’approchant de Marc, donne- moi ton verre !

-   Et Paul et Sophie dans le 9ème  arrondissement! Ca fait monter les prix de l’immobilier dans les quartiers populaires et ça chasse les bistrotiers pour attirer les bars tendance !

-   Bars tendance où l’on refuserait certainement de te servir répondit Sophie agacée par la véhémence alcoolisée de son ami.

-   Splendide Sophie marmonna Marc, toujours la grande classe, pas vrai ? Aussi à l’aise dans les palaces que dans les granges !

Il tenta de se relever, bredouilla quelques mots incompréhensibles, tituba, heurta une paire de sandales, jura et s’éloigna du groupe.

Inès le suivit et le trouva assis sur les gravillons de la terrasse périgourdine, une nouvelle bouteille de bière à la main.

-   Quel malin plaisir trouves-tu à vouloir gâcher cette journée ? demanda-t-elle sèchement.

-   Tu ne vois pas qu’ils sont ignobles avec leurs petites manies, leurs secrets, leurs manigances ?

-   Personne n’est parfait… s’entendit dire Inès, de là à provoquer un tel cataclysme ! Pense à Christine, au bébé, à moi aussi si tu veux bien.

-   Dix ans que je pense à toi Inès ! Dix ans que je pleure Antoine et que je me tais, alors parfois, les vieux démons resurgissent !

-   Tu n’as plus besoin de te taire à présent, je sais pour Jeanne et Antoine, depuis hier seulement, mais je sais murmura Inès en posant une main sur le genou de Marc.

-   Tout est de ma faute, jamais je n’aurais dû accepter cette sortie en mer, surtout le jour de ton anniversaire.

-   Personne ne pouvait prévoir, répondit Inès.

-   Je savais moi, je savais que je me rendais complice d’une liaison que j’étais loin de cautionner, mais j’aimais Antoine, tu comprends ?

-   Comment cela complice ?

-   Jeanne était sur le bateau, je suis le seul à le savoir, c’est lourd à porter !

-   Il rejoignait Jeanne quand il m’a dit au revoir pour la dernière fois ?

-   Oui Inès affirma Marc d’une voix cotonneuse.

-   C’est un petit coup de poignard en plus, mais même pas mal, déclara Inès qui affichait un pauvre sourire sur un visage soudain défait par trop de révélations.

-   Désolé Inès.

-   Ne le sois pas, j’ai décidé de ne plus avoir mal, la bête est solide tu sais !

-   Comment fais-tu pour traverser la vie ainsi ?demanda Marc.

-   C’est le temps que je traverse Marc, pas la vie ; je m’arrête à quelques endroits, bavarde avec quelques personnes, pose quelques questions plus ou moins significatives et je disparais pour aller je ne sais où. Mais je ne fuis pas Marc, je m’éloigne d’un passé qui m’a meurtri pour rejoindre un présent plus doux et je le souhaite, un avenir harmonieux.

-   Je te le souhaite, je te le souhaite Inès dit Marc en tentant de se mettre debout.

-   Tu devrais aller t’allonger avant le déjeuner, proposa Inès, mais une dernière question s’il te plaît : comment sais-tu pour ton frère et Sophie ?

-   Il m’avait fait quelques confidences, alors quand je les ai vus se diriger vers la grange, hier, je n’ai pas été surpris.

-   C’est effrayant, remarqua Inès. Pas un couple ici ne tient la route, à l’exception du tien peut-être, mais il est encore si jeune ! Méfie-toi de ne pas faire de ta bouteille ta maîtresse !

Marc fit mine de ne pas avoir entendu la dernière réflexion d’Inès, regagna sa chambre en passant par la porte de la cuisine et lâcha un « salope » tapageur qui, l’espace d’un instant, recouvrit le bourdonnement des abeilles venues une fois encore s’acharner contre lui.

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