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Chaleurs funestes -19/28

Publié le 03 octobre 2009 par Cathgenin

L’arrivée la plus épique et la plus remarquée de cette journée du 12 juillet, fut celle de Pierrette et Jeannot !

Pas de petite décapotable, pas d’Espace-bon-chic-bon-genre ni de 4X4 dernière génération, mais une charrette attelée à un tracteur. Jeannot manœuvra avec dextérité pour passer entre les deux battants du vieux portail et dirigea son engin le plus près possible de la piscine de façon à laisser apparaître son chargement agrémenté d’un énorme nœud rouge.

Les invités d’Inès applaudirent l’habilité de Jeannot à diriger sa machine et entonnèrent un « Happy Birthday » qui laissa Inès sans voix.

Pierrette s’approcha de la toute nouvelle quadragénaire qui sortait de l’eau et l’embrassa sur les deux joues.

-   Bon anniversaire, voisine dit-elle, tu avais raison, il se passe tout de même des choses à la Grangerie !

-   Mais qu’est-ce que c’est ? demanda Inès à Jeannot qui descendait de son tracteur.

-   Nous, on est les transporteurs, répondit Jeannot en désignant sa femme, ce sont ces messieurs-dames qui ont eu l’idée !

-   Ne soyez pas modeste, Jeannot, répliqua Paul. Inès voici notre cadeau et tes voisins ont tenu à y participer !

Les jeunes filles servaient le champagne, Pierrette avait enfilé sa plus belle robe, Jeannot ses habits du dimanche, les enfants trépignaient d’impatience, Virginie filmait la scène et Inès maudissait son maillot Jeff de Bruges immortalisé pour la postérité !

-   Cachottiers ! s’exclama Inès en avançant vers le plateau du tracteur.

-   Grimpe ma belle, si tu veux savoir ce que c’est, continua Virginie la caméra au poing.

Pendant un instant, Inès pensa que cela ne se passait pas tout à fait comme cela dans les films de Claude Sautet ! L’héroïne aurait été coiffée, maquillée, habillée avec goût. Au lieu de cela, elle avait le cheveu en bataille et exhibait son affreux maillot de bain.

Le scénariste aurait choisi une actrice souple et légère, voire même une doublure si cela avait été nécessaire, mais ce fut avec l’aide de Jeannot qu’Inès parvint à se hisser difficilement sur la charrette !

Le dialoguiste aurait trouvé des mots charmants   pour exprimer les sentiments de la comédienne à ce moment précis de la scène, au lieu de ça, Inès laissa échapper un « ho hisse » des moins glamours !

Aussitôt, les trois petits enfants enchaînèrent avec un grotesque « La saucisse » qu’ils reprirent en chœur ! On était bien loin des merveilleuses musiques de Philippe Sarde !

Seul l’éclairagiste aurait trouvé son bonheur, secondé par le splendide coucher de soleil qui diffusait sa lumière jusque dans les yeux d’Inès. Encore eût-il fallu que cette dernière ne grimaçât pas !

Inès défit le ruban qui entourait son présent, retira le grand drap blanc qui le recouvrait et poussa un cri d’admiration devant le splendide salon de jardin qui s’offrait à elle. Elle s’y affala, s’enfonça avec plaisir dans les coussins moelleux, s’allongea de tout son long sur le canapé qui lui tendait les bras.

Les hommes descendirent les fauteuils de la charrette, transportèrent Inès encore assise au bord de la piscine, les femmes s’enquirent de la qualité des textiles « tu comprends, commandés sur Internet, on ne sait jamais ! », les plus jeunes mirent de la musique et entraînèrent Jeannot dans une danse de  « sauvages » selon sa propre expression. La Rouquine observait la scène de loin et semblait s’interroger sur les parties du sofa les plus accessibles à ses griffes…

Embrassades, étreintes, remerciements firent suite à la grande scène du cadeau et le petit groupe se réunit autour de la table dressée par les jeunes filles.

Il n’en fallut pas plus pour qu’Inès se sente totalement heureuse, détendue, loin des tourments qui avaient marqués la journée. Elle s’éclipsa un moment pour changer de tenue et revint vers ses amis avec un plateau gourmand sur lequel avaient pris place figues au foie gras et petits pâtés régionaux.

Après les confits de canards accompagnés de pommes de terre sarladaises et les rocamadours, Inès prit le chemin de la cuisine, suivie de Virginie qui continuait à filmer les grands moments de la soirée.

-   Pose ta caméra et rends-toi utile dit la maîtresse de maison en tendant une pile d’assiettes à son amie.

-   Pas avant que je n’immortalise ce que tu sors du congélateur !

-   Ah, ah, dessert régional répondit Inès en prenant la pause, soufflé glacé aux noix !

-   Je vais installer les bougies dit Jeanne en rejoignant ses deux amies, vas t’assoir, on s’occupe de tout.

Avant de retrouver ses amis, Inès s’autorisa une cigarette sur l’une des marches de la terrasse périgourdine. Les rires fusaient côté piscine et sans le vouloir elle entendit ou plus exactement perçu quelques bribes de la conversation que tenaient Jeanne et Virginie. Il était à la fois question de l’annonce de l’infidélité d’Antoine, de celle de Patrick, du comportement pour le moins étrange de Sophie, mais aussi du sang-froid d’Inès face aux épreuves.

Cela la fit sourire. Avait-elle eu le choix il y a dix ans ? Et à présent ? Elle ne voulait plus regarder en arrière ; la vérité qu’elle venait d’apprendre l’autoriserait peut-être à moins souffrir à la simple évocation du nom d’Antoine, elle lui permettrait également de moins s’apitoyer sur le sort de Jeanne.

Elle se releva, retira quelques gravillons de sa tong turquoise, éteignit sa cigarette et se mêla avec délice à l’allégresse et la jovialité du petit groupe.

Pierrette et Jeannot s’étaient fait prier pour participer au dîner. Ils avaient décliné l’invitation, puis face à l’insistance d’Inès avaient cédé et s’étaient révélés être des convives exquis. Leur franc parlé, leur authenticité les rendaient foncièrement sympathiques.

-   Un peu d’alcool de noix ? proposa Inès après avoir soufflé ses bougies.

-   Doucement Marc, murmura Christine.

-   Toi aussi, fais attention dit Sophie en se tournant vers Michel, tu prends la route tout à l’heure.

-   Sers moi donc un peu, petite, demanda Jeannot, je crois que je vais laisser le tracteur où il est pour cette nuit !

-   Veux-tu goûter ? demanda Inès à Vampirella.

-   Faut voir, répondit le spectre en tendant une main gantée de noir.

-   Pas trop chaud avec tes mitaines ? se risqua son père.

Michel n’eut pour toute réponse qu’un haussement d’épaules de sa fille qui se drapa un peu plus dans ses voiles noirs avant de s’éloigner de la tablée.

-   Reste avec nous, on est bien, on est en famille dit Jeanne.

-   C’est plus à la mode les familles, plus personne n’en n’a, maugréa la forme qui était sensée ressembler à une jeune fille.

-   Cela passera, déclara Inès sans en être persuadée.

-   Je t’avais prévenue, répliqua la mère de la fiancée de Dracula et si tu les voyais en bandes ! A côté de leurs soirées, nos boums ressemblaient à de joyeux goûters Haribo ! Moi qui rêvais de rapports mère-fille « Comptoir des Cotonniers » fondés sur la complicité et l’échange de fringues, on est en plein « Comptoir des Chiffonnières » ! Et vous comment faites  vous ? demanda-t-elle à Virginie.

-   On fait comme tout le monde, on navigue à vue !

Heureusement, Sophie, la parfaite, n’avait pas assisté à la discussion. Il n’y aurait ainsi pas de disputes stériles avec Virginie au sujet de l’éducation de leurs enfants.

Mère, grande sœur, copine, les frontières sont parfois très poreuses et la bonne distance difficile à trouver. Plus que jamais, les mères d’ados sont pétries de lectures psy. Résultat, elles se sentent coupables quand elles sont trop proches, mais aussi quand elles sont trop lointaines.

Inès songeait qu’à force de tenir une place essentielle dans la vie de leurs enfants, ses amies avaient l’impression que c’était de leur faute s’ils faisaient des bêtises.

Le rire de Jeannot mit fin aux réflexions d’Inès. Il avait apparemment abusé des boissons servies depuis le début du dîner et Pierrette ne savait plus comment le lui faire remarquer.

Contre toute attente, Jeannot utilisait un vocabulaire alambiqué en parfait décalage avec son personnage et son humour parfois grivois, réjouissait Inès. L’homme était rustre, cru, trivial, mais jamais blessant. Il avait des expressions qui auraient fait bondir l’amant d’Inès, mais dont la quadra se délectait. Ainsi parlait-il d’un ancien élu de la région qui « avait tellement de casseroles au cul, qu’il pouvait dépanner chez Ducasse » ou bien déclarait-il que si quelqu’un lui cherchait des poux, il le saurait quand il se gratterait !

Virginie continuait à filmer l’hilarité du petit groupe, seule Sophie semblait se tenir un peu à l’écart. Michel s’approcha d’elle, lui servit à boire et entama une conversation qui fut rapidement écourtée par l’intrusion inopinée de Marc.

-   Alors frérot, il y a bien longtemps qu’on n’a pas discuté tous les deux, c’est l’occasion, non ?

-   Bien entendu, viens te joindre à nous.

-   Comment va Jeanne ? C’est à peine si je l’ai reconnue tout à l’heure.

-   Demande-le-lui, ce sera plus simple.

-   Ce n’est pas faute d’avoir essayé, mais en vain.

-   Ecoute, Marc, si c’est pour lui souffler ton haleine chargée d’alcool …

-   La belle Jeanne, elle ne refusait pas un petit verre il y a dix ans, elle était moins farouche !

-   Que veux-tu dire ?

-   Je me comprends, Sophie aussi d’ailleurs.

-   Arrête Marc, intima Sophie.

-   De quoi parles-tu ? demanda Michel.

-   Tu vois bien qu’il a trop bu déclara Sophie en désignant Marc qui titubait plus qu’il ne marchait, toi aussi Michel, lâche ce verre !

La superbe blonde se leva et rejoignit Christine qui s’approchait du trio.

-   Je crois qu’il vaut mieux les laisser tous les deux dit-elle, allons voir ce que font les autres.

Les adolescentes avaient mis de la musique dans le pool-house, tout comme la veille Patrick faisait griller des Chamallows dans la cheminée, les enfants s’en régalaient et Inès proposa une « vieille prune de Souillac ». Sa couleur magique aux reflets ambrés, son parfum de fruits et de soleil enchantèrent Paul qui fut le premier à se servir et entraîna ses amis malgré les protestations répétées de Pierrette.

-   Les enfants, cessez de jouer avec ce tisonnier ordonna Patrick aux jumeaux et toi Lulu, tu as assez mangé, où est ta mère ?

-   Je ne sais pas répondit la petite fille, elle filmait tout à l’heure. Tiens, la voilà, elle arrive avec Marraine.

Les deux amies se tenaient debout dans le noir. Seul le bout incandescent de la cigarette d’Inès les éclairait. Elles visionnaient des prises qui semblaient les laisser perplexes et commentaient des situations équivoques.

-   Méfie toi de ne pas tout projeter, conseilla Inès à son amie.

-   Il va falloir faire des coupures, on regardera le film demain.

-   Qui l’eut cru ? questionna Inès. Mais enfin quelle idée as-tu eue d’aller filmer dans la grange ?

-   J’ai voulu faire un reportage sur la Grangerie, c’est tout.

Les deux femmes rejoignirent l’espace piscine, Inès ferma le bassin en donnant les instructions de sécurité aux nouveaux arrivants, Virginie déposa son caméscope sur l’une des étagères du pool-house qui faisaient la fierté de Jeannot, les hommes se resservirent de vieille prune, les plus jeunes partirent se coucher, Michel et Jeanne prirent la route pour Brive.

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