Reliques du Curé d'Ars Samedi 20 mars 2010 Paroisse Saint Jean-Marie Vianney de Nanterre Lectures de la fête du Curé d'Ars
Homélie de Monseigneur Nicolas Brouwet Evêque auxiliaire de Nanterre
Je fais de toi un guetteur (Ez. 3, 16-21). Les paroles d'Ezéchiel, ou plutôt de l'Esprit Saint à travers Ezéchiel, nous aident à comprendre plus en profondeur ce qu'est le ministère des prêtres.
1. Le guetteur est celui qui prend de la hauteur pour scruter l'horizon.
C'est la première chose que nous dit cette Parole du Seigneur sur le cœur d'un prêtre. = le cœur d'un prêtre, c'est-à-dire le centre de son être, est dans le Seigneur. Il prend de la distance par rapport aux choses de la terre. Non pas en les abandonnant ou en les méprisant. Un prêtre a les pieds sur terre et, parfois plus souvent qu'il ne faudrait, les mains dans la chaudière, dans les poubelles pour les sortir et dans les comptes de la paroisse. Mais il ne s'y laisse pas enfermer.Ex : Il ne se laisse pas enfermer dans une vision comptable, chiffrée de son apostolat comme si la baisse du nombre d'inscrits à l'aumônerie ou la hausse du nombre des catéchumènes disaient tout du dynamisme de son ministère.
Ex : Il ne se laisse pas enfermer dans la misère qu'il peut rencontrer, ou dans les injustices qu'il peut toucher du doigt, comme s'il ne parvenait pas à être témoin d'une espérance qui dépasse les situations les plus tragiques.
Ex : Il ne se laisse pas enfermer dans le train-train, dans la grisaille du quotidien avec ce qu'elle peut avoir de déprimant, parce que chaque jour, il boit à la source de la Parole et de l'Eucharistie.
Le prêtre prend de la distance ; il prend du recul et de la hauteur. Il regarde son existence et les événements qui la traversent de manière théologale, dans la foi, l'espérance et la charité, c'est-à-dire avec le regard que Dieu pose sur le monde. Il lit cela dans la lumière de l'Esprit Saint.
Et c'est pourquoi il est un veilleur :
dans la nuit du monde, il fait monter sa prière vers le Seigneur. Il présente à Dieu ceux qu'il rencontre. Il est là présent, accompagnant ceux qui se débattent dans la nuit et dans la solitude.
Ex : Il est très significatif qu'une partie des ministères du Curé d'Ars se déroulait dans la nuit. Il se levait entre minuit et 2h et allait à l'église. Evidemment, c'était parce qu'il y avait beaucoup de monde. Mais pas seulement. En entrant au confessionnal de nuit, c'est comme s'il entrait dans les ténèbres pour affronter l'angoisse du monde ; la nuit du péché, mais aussi la nuit de la foi, du doute, de l'incompréhension.
Le prêtre est confronté à la nuit.
Nuit de la colère, nuit de la révolte contre Dieu et contre l'Eglise, nuit du dégoût de Dieu, nuit des faiblesses, nuit de la tiédeur, nuit de la foi fragilisée et même tournée en dérision. Une partie de son ministère se situe là : marchant avec ces hommes et ces femmes qui sont aux prises avec la nuit ; ce qui est parfois très déroutant. Et il est là présent avec les seules lumières de la foi. Le Curé d'Ars avait choisi d'être souvent dans son église. On disait qu'il y habitait. Dans cette église, il était comme un veilleur. C'était ainsi qu'il puisait à la source pour pouvoir être présent et fort dans la nuit.
Le prêtre qui n'arrive plus à se laisser illuminer de la lumière du Christ ne peut plus accompagner et conduire ceux qui sont dans la nuit.
2. Mais il y a un autre aspect : le guetteur est celui qui avertit. Il avertit le pécheur afin qu'il vive.
La première fonction d'un prêtre est de prêcher (P.O. 4 ; "Fides ex auditu" ; Rm 10) A la suite du Christ, il annonce le Royaume des cieux. Mais il ne peut annoncer la Parole que parce qu'il l'a reçue intimement, personnellement, dans le tréfonds de son âme. Il ne peut prendre la parole que parce qu'il s'est mis à l'écoute de la Parole, de l'unique Parole du Père. Et cette Parole, nous le savons, est comme un glaive qui pénètre jusqu'aux divisions du cœur pour opérer un discernement.
Cette Parole est parfois exigeante ; elle remet en cause nos conforts psychologiques et spirituels. Mais c'est toujours pour conduire à la vie.
Le prêtre a reçu un ministère de vie. S'il avertit, c'est parce qu'il sait que, même si la Parole de Dieu dérange, elle conduit à la vie.
Le Curé d'Ars avait compris l'importance de la prédication. Il prêchait non seulement pendant la messe, mais aussi au cours de ses catéchèses qui étaient extrêmement suivies.
Ces catéchèses, il a commencé à les faire pour les filles abandonnées qu'il avait regroupées à la Providence. Tous les jours, pendant dix ans, il vient s'asseoir avec ces filles et les enseigne. En livrant son âme et pas de manière notionnelle. Au bout de dix ans, le catéchisme se fera à l'église à 11h.
Pourtant, saint Jean-Marie Vianney a eu du mal à comprendre l'importance de cette prédication et surtout comment cette prédication doit conduire à la vie en encourageant.
Au départ, il ne fait qu'imiter le curé qui l'a formé, l'Abbé Charles Balley. Il prépare ses homélies avec difficulté, la nuit, car il est peu doué pour cela. Il recopie des passages d'auteurs marqués par le jansénisme. Il a, au départ, une vision très pessimiste de Dieu. Il s'appuie sur le recours à la peur, à l'enfer. Du coup, ses premières prédications sont difficiles à comprendre. Sa sœur dira qu'il prêchait mal.
Il arrive à Ars en 1818. Catherine Lassagne a 12 ans. Elle prie le Seigneur d'éloigner ce prêtre car ses prédications lui font peur. Elle sera, par la suite, son assistante la plus dévouée.
C'est au contact des filles de la Providence qu'il va apprendre à parler et à s'humaniser. A comprendre comment la prédication est un avertissement, mais un avertissement du Père qui veut faire grandir son enfant dans la douceur et la miséricorde.
3. C'est justement cela qu'il faut souligner également et que l'Evangile met en relief : "Jésus appelle ses douze disciples et leur donna le pouvoir d'expulser les esprits mauvais et de guérir toute maladie et toute infirmité."
Le cœur d'un prêtre est un cœur qui se laisse toucher,et son ministère, est un ministère de compassion.
Il encourage, il console. Il guérit par la force des sacrements, par la grâce du Christ. Le ministère du prêtre est un ministère de guérison.
Guérison des blessures de l'âme, des blessures de l'être.
Dans la vie du Curé d'Ars, cela s'est opéré par son ministère de réconciliation au confessionnal.
Il se levait donc entre minuit et 2h. Et confessait jusqu'à 7h. Il disait la messe et prenait son petit-déjeuner puis confessait jusqu'à 11h. Il reprenait les confessions à 13h jusqu'à la tombée de la nuit (18h en hiver, 20h30 en été). C'est certainement là, en confessant, qu'il comprend lui-même la miséricorde de Dieu, la profondeur de l'amour de Dieu pour tous les hommes. C'est là qu'il a été guéri lui-même d'une vision tragique de Dieu. Mais il se laisse emporter par l'Esprit Saint pour être le témoin de la manière dont Dieu pardonne inlassablement. "Le Bon Dieu est si bon que son cœur transpire de miséricorde." (Nodet, p.66) Le cœur d'un prêtre est un cœur qui se fait transparent à l'amour du Père. C'est un cœur qui se laisse conformer au cœur de Jésus pour dire par sa vie et par son ministère l'amour démesuré qui anime le cœur de Dieu.Un prêtre n'est pas au milieu de l'assemblée d'abord pour "faire des choses", avec l'efficacité du monde ; Il est là pour être témoin de la tendresse du Père pour chacun de nous.
L'année du sacerdoce peut nous faire comprendre cela.