On ne peut pas discuter du nazisme, ni s'opposer à lui par une démarche de l'esprit, car il n'a rien d'une doctrine spirituelle. Il est faux de parler d'une conception du monde national-socialiste parce que, si une telle conception existait, on devrait essayer de l'établir ou de la combattre par des moyens d'ordre intellectuel. La réalité est différente. Cette doctrine, et le mouvement qu'elle suscita, étaitent, dès leurs prémices, basés avant tout sur la duperie collective, et donc pourris de l'intérieur ; seul le mensonge permanent en assurait la durée. C'est ainsi que Hitler, dans une ancienne édition de «son» livre, — un ouvrage écrit dans l'allemand le plus laid qu'on puisse lire, et qu'un peuple dit de poètes et de penseurs a pris pour bible ! — définit en ces termes sa règle de conduite : «On ne peut pas s'imaginer à quel point il faut tromper un peuple pour le gouverner.» Cette gangrène, qui allait atteindre toute la nation, n'a pas été totalement décelée dès son apparition, les meilleures forces du pays s'employant alors à la limiter. Mais bientôt elle s'amplifia et finalement, par l'effet d'une corruption générale, triompha. L'abcès creva, empuantissant le corps entier. Les anciens opposants se cachèrent, l'élite allemande se tint dans l'ombre.Après le 1er tract, voici le deuxième des quatre premiers premiers tracts de la Rose Blanche. Il a été écrit à l'été 1942 par deux étudiants allemands de Munich : Alexander Schmorell et Hans Scholl (les procès-verbaux de la Gestapo en témoignent depuis que les archives sont devenues disponibles après 1990). Pour les quatre premiers tracts (sur six), on ne peut parler de résistance organisée au nazisme, il s'agit seulement de la réaction de deux jeunes, essentiellement intellectuelle, face à la politique criminelle du gouvernement de leur temps, à une époque où tant d'Allemands se voilaient la face. Celui-ci mentionne l'extermination des Juifs de Pologne.
Et maintenant, la fin est proche. Il s'agit de se reconnaître les uns les autres, de s'expliquer clairement d'hommes à hommes ; d'avoir ce seul impératif sans cesse présent à l'esprit ; de ne s'accorder aucun repos avant que tout Allemand ne soit persuadé de l'absolue nécessité de la lutte contre ce régime. Si une telle vague de soulèvement traverse le pays, si quelque chose est enfin «dans l'air», alors et alors seulement, ce système peut s'écrouler. Le dernier sursaut exigera toutes nos forces. La fin sera atroce, mais si terrible qu'elle doive être, elle est moins redoutable qu'une atrocité sans fin.
ll ne nous est pas donné de porter un jugement définitif sur le sens de
notre histoire. Si nous sommes capables de nous purifier par la souffrance, de
redécouvrir la lumière après une nuit insondable, de rassembler nos énergies
pour coopérer enfin à l'œuvre de tous, de rejeter le joug qui oppresse le
monde, cette catastrophe nous aidera à trouver notre salut.
Notre dessein n'est pas
d'étudier ici la question juive. Nous ne voulons présenter aucun plaidoyer.
Qu'on nous permette seulement de rapporter un fait : depuis la mainmise sur la
Pologne, 300 000 Juifs de ce pays ont été abattus comme des bêtes. C'est là le
crime le plus abominable perpétré contre la dignité humaine, et aucun autre
dans l'histoire ne saurait lui être comparé. Qu'on ait sur la question juive
l'opinion que l'on veut : les Juifs sont des hommes et ce crime fut commis
contre les hommes. Quelque imbécile oserait-il dire qu'ils ont mérité leur sort
? — Ce serait une idée abominable ; mais cet imbécile, que pense-t-il du fait
que toute la jeunesse polonaise ait été anéantie ? De quelle façon cela
s'est-il passé ? Tous les fils de famille entre 15 et 20 ans furent envoyés au
travail obligatoire et dans les camps de concentration en Allemagne, toutes les
filles du même âge furent expédiées dans les bordels des S.S. Nous vous
racontons cette suite de crimes parce que cela touche à une question qui nous
concerne tous, et qui doit tous nous faire réfléchir. Pourquoi tant de
citoyens, en face de ces crimes abominables, restent-ils indifférents ? On
préfère ne pas y penser. Le fait est accepté comme tel, et classé. Notre peuple
continue de dormir, d'un sommeil épais, et il laisse à ces fascistes criminels
l'occasion de sévir.
Faut-il en conclure que les Allemands sont abrutis, qu'ils ont perdu les
sentiments humains élémentaires, que rien en eux ne s'insurge à l'énoncé de
tels méfaits, qu'ils sont enfoncés dans un sommeil mortel, sans réveil ? C'est
bien ce qu'il semble et même, si le peuple allemand ne se dégage pas enfin de
cette torpeur, s'il ne proteste pas partout où cela lui est possible, s'il ne
se range pas du côté des victimes, il en sera ainsi éternellement. Qu'il ne se
contente pas d'une vague pitié. Il doit avoir le sentiment d'une faute commune,
d'une complicité, ce qui est infiniment plus grave. Car, par son
immobilisme, notre peuple donne à ces odieux personnages l'occasion d'agir
comme ils le font. Il supporte ce prétendu gouvernement qui se charge d'une
faute immense : il est lui-même coupable de l'existence de ce gouvernement.
Chacun rejette sur les autres cette faute commune, chacun s'en affranchit et
continue à dormir, la conscience calme. Mais il ne faut pas se désolidariser
des autres, chacun est coupable, coupable, coupable !
Cependant, il n'est pas trop tard pour faire disparaître de la surface du globe
ce prétendu gouvernement ; nous pouvons encore nous délivrer de ce monstre que
nous avons nous-mêmes créé. Nos yeux ont été ouverts par les horreurs des
dernières années, il est grand temps d'en finir avec cette équipe de fantoches.
Jusqu'à la déclaration de guerre, beaucoup d'entre nous étaient encore abusés :
les nazis cachaient leur vrai visage. Maintenant ils se sont démasqués, et le
seul, le plus haut, le plus saint devoir de chaque Allemand doit être
l'extermination de ces brutes.« Tel administre son peuple sans faire sentir son
autorité, et le rend heureux ; tel, dont la gestion es opprimante, le
brise.
« La misère, voilà sur quoi se construit le bonheur. Le bonheur ne cache que la misère. Où cela mène-t-il ? La fin n'est pas concevable. Ce qui était ordre se transforme en désordre, le bien devient le mal. Le peuple se perd dans la confusion. N'est-ce pas ainsi, tous les jours, depuis
longtemps ?
« L'homme supérieur est rigide sans heurter ; il a ses armes, mais ne blesse pas ; il est sincère, sans rudesse. Il est clarté, et non éclat superficiel. »
(Lao-Tseu)
Nous vous demandons de recopier cette feuille, et de la diffuser.« Qui entreprend de dominer un pays en lui imposant la forme de son arbitraire, je ne pense pas qu'il atteigne jamais son but ; c'est tout. »
« Un État est un organisme vivant ; on ne peut, en vérité, le créer de toutes pièces. Qui veut s'en mêler, le corrompt, qui veut s'en rendre maître, le perd. »
« Certains d'entre les hommes montrent le chemin, d'autres les suivent. La vie des uns est ardente ; froide, celle des autres ; ici, la faiblesse, ailleurs la force ; à quelques-uns la plénitude, à d'autres, la défaite. »
« L'homme supérieur ne recherche pas les extrêmes, ni la domination, ni l'inaccessible. »
(Lao-Tseu)