« Salus publica suprema lex. »Le troisième des quatre premiers premiers tracts de la Rose Blanche a aussi été écrit à l'été 1942 par deux étudiants allemands de Munich : Alexander Schmorell et Hans Scholl. Il s'agit toujours de la réaction spontanée de deux jeunes, essentiellement intellectuelle, face à la politique criminelle du gouvernement de leur temps, à une époque où tant d'Allemands se voilaient la face, mais ce tract appelle plus concrètement à la « résistance passive ».
Toute conception
idéale de l'État est utopie. Un État ne peut pas être édifié d'une façon
purement théorique ; il doit se développer et arriver à maturité comme un
individu. Il ne faut cependant pas oublier qu'à la naissance de chaque
civilisation préexiste une forme de l'État. La famille est aussi vieille que
l'humanité, et c'est en partant de cette première forme d'existence
communautaire que l'homme raisonnable s'est constitué un État devant avoir pour
base la justice, et considérer le bien de tous comme une loi primordiale.
L'ordre politique doit présenter une analogie avec l'ordre divin, et la
civitas dei est le modèle absolu dont il lui faut, en définitive, se
rapprocher. Nous ne voulons émettre ici aucun jugement sur les différentes
constitutions possibles : démocratie, monarchie constitutionnelle, royauté,
etc. Ceci seulement sera mis en relief : chaque homme a le droit de vivre dans
une société juste, qui assure la liberté des individus comme le bien de la
communauté. Car Dieu désire que l'homme tende à son but naturel, libre et
indépendant à l'intérieur d'une existence et d'un développement communautaires
; qu'il cherche à atteindre son bonheur terrestre par ses propres forces, ses
aptitudes originales.
Notre « État » actuel
est la dictature du mal. On me répondra peut-être : « Nous le savons depuis
longtemps, que sert-il d'en reparler ? » Mais alors, pourquoi ne vous
soulevez-vous pas, et comment tolérez-vous que ces dictateurs, peu à peu,
suppriment tous vos droits, jusqu'au jour où il ne restera rien qu'une
organisation étatique mécanisée dirigée par des criminels et des salopards ?
Êtes-vous à ce point abrutis pour oublier que ce n'est pas seulement votre
droit, mais aussi votre devoir social, de renverser ce système
politique ? Qui n'a plus la force de faire respecter son droit, doit, en toute
nécessité, succomber. Nous mériterons de nous voir dispersés sur la terre,
comme la poussière l'est par le vent, si nous ne rassemblons pas nos forces et
ne retrouvons, en cette douzième heure, le courage qui nous a manqué jusqu'ici.
Ne cachez pas votre lâcheté sous le couvert de l'intelligence. Votre faute
s'aggrave chaque jour si vous tergiversez et cherchez des prétextes pour éviter
la lutte.
Beaucoup, peut-être la
plupart des lecteurs de ces feuilles, se demandent de quelle façon rendre
effective une résistance. Ils n'envisagent pas de possibilités. Nous allons
vous montrer que chacun est en mesure de coopérer à l'abolition de ce régime.
Ne préparons pas la chute de ce «gouvernement» par une opposition individuelle,
comme des ermites déçus. Il faut au contraire que des hommes convaincus et
énergiques s'unissent, parfaitement d'accord sur les moyens à employer pour
atteindre notre but. Nous n'avons guère à choisir entre ces moyens, un seul
nous est donné : la résistance passive.
Cette résistance n'a
qu'un impératif : abattre le National-Socialisme. Ne négligeons rien pour y
tendre. Il faut atteindre le nazisme partout où cela est possible.
Cette caricature d'État recevra bientôt le coup de grâce ; une victoire de
l'Allemagne fasciste aurait des conséquences imprévisibles, atroces. L'objectif
premier des Allemands doit être la défaite des nazis, et non pas la victoire
militaire contre le bolchevisme. La lutte contre le nazisme doit
absolument venir au premier plan. Dans un de nos prochains tracts,
nous démontrerons l'extrême nécessité de cette exigence.
Chaque ennemi du nazisme
doit se poser la question : comment peut-il combattre le plus efficacement cet
«État» actuel, et lui porter les coups les plus durs ? Sans aucun doute par la
résistance passive. Il est bien évident que nous ne saurions dicter à chacun sa
ligne de conduite; nous ne donnons ici que des indications générales. A chacun
de trouver la façon de les mettre en pratique.
Sabotage dans
les fabriques d'armements, les services travaillant pour la guerre, sabotage
dans tous les rassemblements, manifestations, fêtes, organisations, contrôlés
par le parti national-socialiste. Il faut empêcher le fonctionnement de cette
machine de guerre, qui n'œuvre que pour le maintien et le succès du
parti nazi et de sa dictature. Sabotage dans tous les domaines
économiques et culturels, les Universités, les Écoles Supérieures, les
laboratoires, les instituts de recherches, les services techniques.
Sabotage dans toutes les organisations de propagande qui prétendent
nous imposer la «façon de voir» des fascistes. Sabotage dans toutes
les branches des arts appliqués, qui dépendent du National-Socialisme et
servent sa cause. Sabotage dans la presse et la littérature, contre
tous les journaux à la solde du «gouvernement», qui combattent pour ses idées
et tentent de répandre ses mensonges. Ne donnez pas un sou aux collectes (même
faites à des fins charitables), car elles ne sont qu'un camouflage. Le produit
de ces quêtes ne va ni aux miséreux ni à la Croix-Rouge. Le gouvernement n'a
pas besoin d'argent, la planche à billets tourne sans cesse et fabrique autant
de papier-monnaie qu'il désire. Il veut seulement ne jamais relâcher
l'oppression du peuple, et lui ôter toute liberté. Cherchez à convaincre vos
amis et connaissances de l'absurdité d'une continuation de la guerre;
montrez-leur qu'elle n'offre aucune issue; faites comprendre quel esclavage
intellectuel et économique nous subissons par le nazime, et de quel
renversement de toutes les valeurs religieuses et morales cela s'accompagne;
incitez, enfin, à une résistance passive !
On lit dans la Politique d'Aristote :
« Une tyrannie s'arrange pour que rien ne demeure caché, de ce que les sujets
disent ou font; elle place des espions partout... elle dresse les hommes du
monde entier les uns contre les autres, et rend ennemis les amis. Il entre dans
les habitudes d'une telle administration tyrannique d'appauvrir les sujets pour
payer la solde des gardes du corps afin que, préoccupés seulement de toucher
leur paye, ils n'aient ni le temps, ni le loisir de fomenter des
conjurations... d'établir des impôts très élevés comme ceux réclamés à Syracuse
sous Dionysios, où les citoyens avaient perdu en cinq ans toute leur fortune, à
payer des redevances... Enfin le tyran désire faire de la guerre un état
permanent... »
Reproduisez et répandez ce tract!!!