Tout ça, c’était encore une idée de ses enfants. Sourires en cœur et panier branlant au bout des bras, Anastasia et Luis-Salvadore avaient débarqué chez lui un soir avec leur grande idée et la petite merveille. « Papa, regarde ce que nous apportons ! Tu ne devineras jamais : un chien ! »
Non, Francis n’aurait jamais deviné que ses propres enfants soient aussi crétins. Voilà ce que c’est de s’attarder trop longtemps dans les bras de la même femme. Cela vous donne une progéniture pleine de vie et de bonne volonté qui ne vous comprend en rien.
Que diable allait-il faire d’un chien, lui qui, au fil des années, supportait de plus en plus mal la compagnie des hommes ; lui qui vivait quasi reclus dans son atelier depuis la mort de sa femme et dont le seul dialogue avec ses toiles suffisait ?
Il n’eut pas le temps de répondre qu’une petite tête de fox-terrier dépassait déjà du panier et le fixait de ses noires prunelles enamourées. « Regarde, Papa, il t’a déjà adopté ! Il s’appelle Lardon, tu vas l’adorer !»
Francis aurait bien voulu demander à sa fille depuis quand les animaux adoptaient leur maître et non l’inverse. Mais il préféra se taire. Mieux valait que ses enfants dégageassent fissa du plancher pour qu’il pût se débarrasser du clébard au plus vite. Il contracta donc ses zygomatiques pour esquisser un sourire et dit : « Merci pour le lardon. Je suis désolé, je ne peux vous recevoir plus longtemps, j’ai une peinture qui m’attend. »
Devant ce sacro-saint argument, les enfants, bien sûr, acquiescèrent. Depuis toujours, ils connaissaient l’ordre des choses – feu leur mère leur avait appris- et ils savaient que sur terre la création du père venait en premier.
Honteux d’avoir grillé la priorité à l’art, Anastasia et Luis-Salvadore se confondirent donc en excuses. Avant de partir, ils déposèrent un immense sac : « Tiens, tu trouveras dedans tout ce qu’il faut pour Lardon: gamelle, croquettes, etc. Bon, on ne veut pas te déranger plus. On te laisse travailler. »
Soulagé, Francis les entendit claquer la porte. Le petit chien clapit, inquiet de savoir à quelle sauce il allait, lui, être mangé.