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Une autre beauté

Publié le 26 mars 2010 par Jlk

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EXPOSITION Lucian Freud à Beaubourg


Dieu que la laideur est belle ! se dit-on en pénétrant dans L’Atelier de Lucian Freud, éclatante présentation de grands portraits d’une intense densité de présence, dont certains dérogent évidemment à l’idée conventionnelle qu’on se fait aujourd’hui encore d’une belle femme ou d’un bel homme dénudés. Un siècle et des poussières après L’origine du monde de Courbet, représentant un sexe féminin en gros plan et sans voile, certains des nus de Freud continuent de choquer d’aucuns, non tant pour la nudité de leurs sujets que pour la « laideur » présumée de ceux-ci et les poses abandonnées voire lascives que le peintre leur fait prendre. « La chair est là comme elle est avec ses moires violacées et ses vergetures », semble dire Lucian Freud en peignant l’énorme Benefits Supervisor endormie sur un divan à ramages, qui tend à accentuer l’aspect organique de son modèle.

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Un film où Benefits apparaît au naturel la montre d’ailleurs en réelle beauté, avec une sorte aura. De la même façon, Freud se sert du performer Leigh Bowery en poussant son exhibitionnisme naturel à l’extrême, comme pour désamorcer, précisément, son obscénité. Dans une critique virulente (parue dans Le Monde du 11 mars 2010), le critique Philippe Dagen stigmatise ainsi un «peintre académique de l’obscène», alors qu’il nous semble au contraire que Freud échappe à la double convention du « bien peindre » et de la «provocation».
Un autre soupçon de « fabrication » plane sur « le peintre vivant le plus cher du monde », mais là encore il nous semble que c’est ne rien dire de ce que montre vraiment Lucian Freud: la beauté de ce qui est. Beauté paradoxale, insolite mais plus-que-réelle, d’un minable lavabo à deux robinets filant une eau claire. Beauté de foisonnants feuillages détaillés avec la minutie anachronique d’un Dürer peignant sa fameuse touffe d’herbe, ou d’un terrain vague vu de la fenêtre, avec son fatras d’objets abandonnés. Beauté souvent étrange, voire inquiétante, soulignée par des cadrages inhabituels, comme dans ce grand autoportrait à la Bacon, en contre-plongée monumentale écrasant les figures minuscules des deux petits-enfants du peintre.
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Contre la beauté flatteuse d’un érotisme de pacotille, voici celle des corps rejetés mais vibrants encore de désir, des animaux toujours « évidents » et purs, des draps en désordre ou d’un plancher ingrat magnifiés par un rayon de lumière matinal.
Cette beauté « pure » de l’être vivant, le petit-fils de Sigmund Freud la capte enfin magistralement dans ses autoportraits lancinants, tantôt en grand plantigrade nu brandissant ses pinceaux, tantôt en profil de saurien vaguement menaçant, avec son air de s’étonner à jamais de l’émouvante beauté de ce monde tel qu’il est, moche comme il est, abandonné comme il est mais qui nous demande de le regarder.
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Peinture lourde comme la chair des hommes, à laquelle l’usage du blanc de Krems ajoute ses pesants et discordants grumeaux, peinture d’après toutes les guerres et les révolutions du terrible XXe siècle, peinture d’après tous les débats sur la représentation et l’abstraction : telle est le peinture de Lucian Freud qui prête à la reine d'Angleterre couronnée une trogne un peu navrée mais si vraie - toute « laideur » devenant beauté chez lui parce que vraie…


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