Sixième et dernier tract de la Rose Blanche. Rédigé, comme le précédent, par le prof. Kurt Huber, Hans Scholl et Alexander Schmorell, début février 1943 juste après la capitulation allemande à Stalingrad, il s'adresse aux étudiants et sera imprimé à plus de 2 000 exemplaires. Mais quelques jours plus tard, le 18 février 1943, trois membres de la Rose Blanche sont arrêtés par la Gestapo et condamnés à mort ; deux mois plus tard, la Gestapo arrête trois autres membres. L'activité de la Rose Blanche aura duré moins d'un an, mais le sacrifice de ces jeunes a sauvé la réputation de l'Allemagne.
La défaite de
Stalingrad a jeté notre peuple dans la stupeur. La vie de trois cent mille
Allemands, voilà ce qu'a coûté la stratégie géniale de ce soldat de deuxième
classe promu général des armées. Führer, nous te remercions !
Le peuple allemand
s'inquiète : allons-nous continuer de confier le sort de nos troupes à un
dilettante ? Allons-nous sacrifier les dernières forces vives du pays aux plus
bas instincts d'hégémonie d'une clique d'hommes de parti ? Jamais plus !
Le jour est venu de
demander des comptes à la plus exécrable tyrannie que ce peuple ait jamais
endurée. Au nom de la jeunesse allemande, nous exigeons de l'État d'Adolf
Hitler le retour à la liberté personnelle; nous voulons reprendre possession de
ce qui est à nous; notre pays, prétexte pour nous tromper si honteusement, nous
appartient.
Nous avons grandi dans
un État où toute expression de ses opinions personnelles était impossible. On a
essayé, dans ces années si importantes pour notre formation, de nous ôter toute
personnalité, de nous troubler, de nous empoisonner. Dans un brouillard de
phrases vides, on voulait étouffer en nous la pensée individuelle, et on
appelait cette méthode : «formation pour une conception saine du monde». Par le
choix du Führer, un choix comme on n'en pouvait faire de plus diabolique et de
plus borné à la fois, des hommes sont devenus des criminels sans dieu, sans
honte, sans conscience; il en a fait sa suite aveugle, stupide. Ce serait à
nous, «travailleurs intellectuels» de régler son compte à cette nouvelle clique
de Seigneurs. Des combattants du front sont traités comme des écoliers par des
Chefs de groupe, ou des aspirants Gauleiter.
Il n'est pour nous qu'un
impératif : lutter contre la dictature ! Quittons les rangs de ce parti nazi,
où l'on veut empêcher toute expression de notre pensée politique. Désertons les
amphithéâtres où paradent les chefs et les sous-chefs S.S., les flagorneurs et
les arrivistes. Nous réclamons une science non truquée, et la liberté
authentique de l'esprit. Aucune menace ne peut nous faire peur, et certes pas
la fermeture de nos Écoles Supérieures. Le combat de chacun d'entre nous a pour
enjeu notre liberté, et notre honneur de citoyen conscient de sa responsabilité
sociale.
Liberté et Honneur !
Pendant dix longues années, Hitler et ses partisans nous ont rebattu les
oreilles de ces deux mots, comme seuls savent le faire les dilettantes, qui
jettent aux cochons les valeurs les plus hautes d'une nation. Ce qu'ils
entendent par ces mots, ils l'ont montré suffisamment au cours de ces années où
toute liberté, matérielle aussi bien qu'intellectuelle, toute valeur morale
furent bafouées. L'effusion de sang qu'ils ont répandue dans l'Europe, au nom
de l'honneur allemand, a ouvert les yeux même au plus sot. La honte pèsera pour
toujours sur l'Allemagne, si la jeunesse ne s'insurge pas enfin pour écraser
ses bourreaux et bâtir une nouvelle Europe spirituelle.
Etudiantes ! Etudiants !
Le peuple allemand a les yeux fixés sur nous ! Il attend de nous, comme en
1813, le renversement de Napoléon, en 1943, celui de la terreur nazie.
Bérésina et Stalingrad
flambent à l'Est, les morts de Stalingrad nous implorent !
Nous nous dressons
contre l'asservissement de l'Europe par le National-Socialisme, dans une
affirmation nouvelle de liberté et d'honneur.