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Saisi par le Christ Jésus

Publié le 27 mars 2010 par Fbruno

5° dimanche de l'année C Homélie de Mgr Nicolas Brouwet Reliques du Curé d'Ars Bois-Colombes - Sainte Cécile de Boulogne

« J'ai moi-même été saisi par le Christ Jésus » écrit Saint Paul aux Philippiens (1° lecture).

1/ Le jour de son ordination, Un homme devient prêtre objectivement par l'imposition des mains de l'évêque et par la prière consécratoire. A la fin de la célébration : il est prêtre. Mais on peut dire aussi qu'à partir de ce moment-là il doit commencer à le devenir : A le devenir en vérité, subjectivement, dans le fond de son être. Il a à se laisser saisir par le Christ. Et se laisser saisir dans toute son humanité o avec ses forces et ses faiblesses, o avec son caractère et sa santé physique, o avec ses richesses intérieures et ses pauvretés, o avec ses compétences et avec ce qu'il ne sait pas faire, o avec ses qualités relationnelles, intellectuelles, o mais aussi avec ses défauts et même avec ses péchés. Saint Paul est témoin de cela et il donne dans l'épître une formidable leçon de vie spirituelle, en disant deux choses : a- J'ai tenté de saisir le Christ mais, au fond, c'est lui qui m'a saisi.

Dans la vie chrétienne, il y a un moment où on accepte de ne plus tout maîtriser, tout conduire, tout décider. Il y a un moment où il faut accepter de ne plus être celui qui modèle sa relation à Dieu, qui la travaille, qui la peaufine. Mais accepter d'être celui qui se laisse modeler, de telle sorte que sa vie ne soit plus au format de ses rêves, de ses projections personnelles, mais au format que Dieu aura choisi.

En se laissant saisir, en acceptant que Dieu nous saisisse, On passe du rêve à l'abandon ; On passe d'une vie mesurée par l'image que l'on se fait de sa propre sainteté, par l'image que l'on se fait de la réussite d'une vie chrétienne, à une vie qui est mesurée par Dieu, qui entre dans la mesure de Dieu, ou, pour être plus précis, dans la démesure de Dieu.

b- C'est pourquoi Saint Paul nous dit une deuxième chose importante :

Pour se laisser saisir, il a fallu qu'il renonce à ce à quoi il tenait et qu'il le considère comme des balayures. Pour lui, cela voulait dire : abandonner ce qu'il considérait avant sa conversion comme un avantage devant Dieu : d'avoir été hébreu, fils d'Hébreux, circoncis le 8° jour, pharisien et zélé persécuteur de l'Eglise. Pour un prêtre de Jésus Christ, c'est de renoncer à ce qui pourrait le justifier aux yeux des hommes, aux yeux du monde, mais qui ne le justifiera pas aux yeux de Dieu. • C'est, par exemple, le renoncement : • à faire carrière, • à connaître un succès pastoral chiffré et quantifié, • à être à tout prix aimé, applaudi, admiré ; • mais c'est aussi – et peut-être surtout – le renoncement à une sorte de confort spirituel, • où l'on confond sainteté et perfectionnisme, • où l'on recherche avant tout l'image de sa propre sainteté.

2/ Or le lieu, par excellence, de ce dessaisissement de soi-même pour se laisser saisir par le Christ, c'est l'Eucharistie. Tout simplement parce que l'activité intérieure de celui qui va à la messe, de celui qui participe à l'Eucharistie, c'est une attitude de dessaisissement.

Il ne commence pas par parler mais par faire silence pour écouter la Parole de Dieu, pour laisser Dieu parler.

Il s'arrête de faire, de produire, il cesse son activité quotidienne ; il cesse de tout contrôler pour laisser Dieu faire.

Il cesse de prendre l'initiative pour laisser Dieu prendre l'initiative.

Il cesse, au fond, de conduire, pour laisser Dieu conduire.

→ Je crois que c'est la raison pour laquelle la messe peut sembler insupportable à beaucoup :

Parce qu'il faut y accepter l'initiative de Dieu avec ce qu'elle a de déroutant.

Comme il est difficile – en particulier dans notre société si éprise de liberté et d'action – de s'arrêter pour laisser Dieu entrer dans nos vies avec toute sa liberté à lui et de se laisser faire, de le laisser saisir !

→ En célébrant la messe, le prêtre est au service de ce mystère-là ; De ce mystère par lequel Dieu vient dans la puissance de sa Parole et dans l'humilité de l'hostie habiter nos vies et y faire sa demeure. → Et le prêtre ne peut être au service de ce mystère-là, que s'il accepte aussi de se laisser saisir par le Christ dans sa propre vie, que s'il est entré dans cette logique du dessaisissement, que s'il a accepté que le Christ bouleverse sa vie, et le conduise là où il ne pensait pas devoir aller. Que s'il accepte que le Christ informe sculpte, modèle toute son existence, de sorte qu'il puisse dire avec Saint Paul : « Ce n'est plus moi qui vis mais le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20).

→ Evidemment un prêtre, parce qu'il a reçu l'ordination, célébrera validement le sacrement de l'eucharistie. mais, ce qu'on attend de lui, c'est que tout ce qu'il fait soit habité par ce qu'il célèbre. Ce qu'on attend de lui, c'est que l'Eucharistie ait tellement pris corps en lui, que sa vie soit entièrement donnée, offerte, livrée au Christ ; Et que son ministère, que les actes de son ministère, en soient rayonnants, rayonnants de son offrande à Dieu le Père à la suite du Seigneur Jésus.

3/ Nous savons combien le Curé d'Ars avait compris cela. « Oh ! Qu'un prêtre fait donc bien de s'offrir à Dieu en sacrifice tous les matins ! », disait-il un jour.

→ Saint jean-Marie Vianney a saisi et vécu cela d'une manière toute particulière. Comme une grâce qui lui a été faite à lui, mais qui nous est faite à nous aussi pour comprendre cet aspect du sacerdoce, ce lien intime entre le prêtre et la messe qu'il célèbre.

→ Le curé d'Ars avait une dévotion, une véritable fascination, même, pour le sacrement de l'Eucharistie. De telle sorte qu'en arrivant à Ars, il s'est mis à habiter pratiquement dans l'Eglise, il y passait une grande partie de ses journées. C'était sa manière à lui de prêcher, de montrer Jésus vivant : en habitant dans l'église paroissiale. Et dans l'église, il adorait le Seigneur présent dans l'Eucharistie. Il se laissait saisir par le Christ dans une extrême sensibilité à la présence réelle, comme s'il mendiait la conversion de ses fidèles dans l'adoration.

→ Et pourtant sa relation à l'Eucharistie a certainement été aussi un combat : Car il était à la fois fasciné par la grandeur de ce mystère, dans lequel le Christ se livre dans l'hostie entre les mains du prêtre, Et à la fois conscient jusqu'à l'angoisse de sa petitesse, de son inadéquation personnelle à une telle mission.

« Quand j'ai vu ce que j'étais, j'ai été désespéré ». Et cette forme de désespérance le tentera longtemps, tellement il se sentait indigne de son ministère de prêtre.

→ Mais il a pourtant accepté de se laisser saisir :

Saisir d'abord par l'humilité et la bonté de Dieu présent dans l'hostie. Saisir également par la miséricorde du Seigneur offerte dans le sacrement de la confession dont il a été le ministre infatigable. Son angoisse d'être prêtre a été comme absorbée par l'amour de Dieu qu'il a pratiquement vu à l'œuvre dans les sacrements de l'Eucharistie et de la réconciliation.

4/ La question de la vocation au sacerdoce se pose en ces termes :

→ Dans le cœur de nombreux garçons monte un moment le désir d'être prêtre. Que ce soit au cours de leur enfance, de leur adolescence ou de leurs années d'études.

Est-ce que ce désir est un appel de Dieu ou un désir seulement humain ? C'est à chacun de discerner avec un prêtre.

Mais il se trouve que, parfois, face au désir d'être prêtre, de nombreux obstacles peuvent surgir : • ce peut être l'opposition des parents, de la famille, du milieu ; • ce peut être aussi la peur de l'échec, la peur de ne pas être heureux ; • ce peut être l'angoisse de ne pas être bien formé, un manque de confiance dans l'Eglise ; • ce peut être la perspective d'abandonner un certain confort ou un certain prestige.

Pourtant la question n'est pas celle-là. Elle est celle de savoir si, au-delà des peurs, des calculs, des stratégies à la manière du monde, on a envie de se laisser saisir par le Christ. Pour quoi ? Pour se mettre au service, comme prêtre, de la vocation de tout chrétien à se laisser saisir. Pour aider les hommes à connaître le Christ et à connaître la joie de se laisser emporter dans l'élan de son amour.

→ Mais un garçon ne pourra pas répondre, je crois, à cet appel, s'il n'a pas rencontré des chrétiens qui se sont, eux aussi, laissés saisir par le Christ, qui se sont offerts totalement et sans rémission au Seigneur. S'il n'a pas, sur sa route, des hommes et des femmes qui, dans leur vie la plus quotidienne, dans leur vie conjugale, professionnelle, associative, relationnelles, ont mis le Christ à la première place.

Il ne pourra pas répondre à cet appel s'il n'a pas rencontré des hommes et des femmes, vrais fils et filles de l'Eglise, qui lui ont dit comment un prêtre, ou des prêtres, ont su les accompagner dans cette voie d'offrande ; et combien ils ont eu besoin du ministère des prêtres.

Les vocations ne peuvent naître que dans une Eglise qui aime les prêtres tels qu'ils lui sont donnés. Elles ne peuvent naître que dans des communautés de chrétiens qui savent dire comment le ministère des prêtres les a fait grandir dans la foi parce qu'ils y ont reconnu la douce sollicitude du Christ Bon Pasteur.

Le cœur du Curé d'Ars, son cœur de chair dont nous avons ici la relique, nous parle du cœur d'un prêtre qui s'est laissé tout entier habiter par l'amour du Christ, le Bon Berger. Au cœur, au centre de son être, il a dit oui à Dieu. Et du coup, ses actes les plus quotidiens ont rayonné de la bonté de Dieu.

Que cette année sacerdotale soit une année d'action de grâce pour le ministère des prêtres, de tous les prêtres que nous connaissons et aimons.

Qu'elle soit aussi, pour notre diocèse, une année féconde en vocations de prêtres diocésains qui se seront laissé saisir par le Christ ! Amen.


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