On le sait, les propos sur l’art peuvent prendre des formes diverses, dérangeantes, énervantes, enrichissantes, ridicules, difficiles, stupides, profondes, spirituelles, décalées, hermétiques, drôles, etc. J’ai retrouvé l’autre jour dans mes paperasses un “code universel du discours sur l’art” que je livre ici (je ne connais malheureusement pas l’origine de ce délectable amusement) accompagné de son mode d'emploi :
Commencez par la première case de la première colonne, puis choisissez n'importe quelle case de la colonne 2, puis 3, puis 4. Revenez ensuite à n'importe quelle case de la colonne 1 et continuez ainsi de colonne en colonne. Si vous êtes particulièrement résistant, vous pourrez ainsi tenir une conférence pendant quarante heures.
1
2
3
4
Notre pratique du monde de l'art nous a enseigné que
la réalisation des limites du procédé
nous oblige a l'analyse
des conditions financières et institutionnelles existantes
ainsi
le nouveau modèle opératoire des professionnels de la critique
garantit non seulement la réification mais encore la stagnation
de la crise d'audience de l'art actuel
d'autre part
la complexité et les lieux des études des acteurs de l'art
accomplit un rôle essentiel dans la formation
d'une uniformisation des pratiques et des modes de perception
il n'est pas indispensable d'épiloguer sur l'état du marché, car
l'augmentation constante de quantité et d'étendue de la production artistique
précipite la définition et la résolution
des lignes esthétiques de l'avenir
cependant n'oublions pas que
la structure actuelle du marché de l'art
aide à l'élaboration et à la reconnaissance
des attitudes spéculatives des collectionneurs
l'expérimentation quotidienne de l'étroitesse du milieu prouve que
l'inflation constante des propositions plastiques
comble des manques significatifs dans renonciation
des enjeux socio-politiques de l'art
de même
la mise en abîme du motif, le poids des radicalités tardives
permet davantage la création
d'un contexte de compromis adapté aux besoins
les expériences hasardeuses et diverses,
la multiplication des espaces d'exposition
présente un essai intéressant de vérification
des conditions de lisibilité de l'œuvre
le souci de l'apparition médiatique mais surtout
la consultation incessante des nombreux intervenants
entrave l'appréciation de la pertinence
des motivations affectives, reconnues ou supposées
la réaction à un conceptualisme dans l'impasse, mais aussi
la nature même des rapports entre artistes et galeristes
entraîne le procès d'invalidation et de désappropriation
de toute forme d'humour
L'idée m'est alors venue d'aller vérifier si nous étions dans la caricature. Je n'ai pas cherché bien longtemps pour trouver ces quelques phrases très sérieuses dans des sites d'artistes ou d'institutions. Elles ont été évidemment sorties d'un contexte, mais celui-ci est finalement bien souvent du même tonneau :
" ...Par une autonomisation du cadrage, [l'artiste] exploite le caractère artificiel de ces lieux génériques reconstitués, en surjouant l’élément fictif et en prolongeant ses ressorts fantasmatiques. A travers une esthétique du streaming et de l’ersatz, [son travail] participe d’une immersion généralisée dans un « ailleurs » reformulé par l’artiste. En explorant la notion de représentation et de ses différentes dimensions réflexives, en provoquant le trouble, [l'artiste] questionne le medium photographique en tant qu’instance de vérité."
"...Le ton non-conformiste de son travail s’ancre dans une démarche critique contre-culturelle. La dimension utopique qu’il recouvre, l’attrait de l’artiste pour les technologies et le DIY (Do It Yourself) révèle un refus de normalisation et un désir de sonder les idéologies sous-jacentes. Les pièces elles-mêmes jouent sur un répertoire éloigné des standards esthétiques de la post-modernité."
"...Ses interjections organisent une forme d'activisme pragmatique nouant des liens fragiles entre la sensibilité individuelle et les stéréotypes de réalité générés par les structures sociales et politiques dominantes."
"...[l'artiste] puise notamment dans un vocabulaire scénique pour la mise en œuvre de dispositifs et d’artefacts, et à l’inverse, dans des représentations plastiques, qu’il fait réinjecter dans un contexte théâtral. A la croisée entre plusieurs champs artistiques, la pratique de [l'artiste] se situe dans une lisière qui lui permet d’interroger les processus de fabrication de ce spectaculaire."
"Mon travail porte sur la représentation sculpturale d’un souvenir ou d’une perception mentale d’un espace ou d’un objet. Je souhaite établir une sorte de concurrence entre l’objet réel et une tentative de matérialisation d’une perception personnelle associée à celui-ci."
Ces textes, censés apporter un éclairage et des clés à l'œuvre, ne mériteraient-ils pas eux-mêmes un éclairage et des clés?...
Mais sans doute ce magma discursif cherche-t-il à provoquer un questionnement spéculatif du regardeur sur sa propre perception de l'œuvre, en ménageant pour cela un espace verbalisé et descriptif indispensable à une approche cognitive du dispositif.
C'est évident.