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JOB STORIES N°5 : Don't play with myself !

Publié le 31 mars 2010 par Brunoh
Tous les mois, je vous offre une nouvelle, qui paraît également dans le journal "L'offre d'Emploi" de mon ami Philippe Winter. L'objectif : rappeler, au-delà des données macro-économiques, que la recherche d’emploi constitue, avant tout, l’histoire personnelle de millions de femmes et d’hommes… La vôtre, peut-être ?JOB STORIES N°5 : Don't play with myself !
C’était au début des années 80. L’apogée du plastique, du jetable, de la société de consommation. Malgré deux chocs pétroliers, les industriels avaient décidé de continuer leur marche vers le « progrès ». Coûte que coûte. Il fallait consommer. Inventer de nouvelles choses. La publicité, la mode. Insinuer dans l’esprit de chacun la soif de nouveautés. Tandis que la plupart de ses camarades de promotion se destinaient à la recherche et à l’ingénierie, Marc avait décidé de faire autre chose de sa vie. Ce grand rêveur, au regard bleu délavé, était, depuis sa plus tendre enfance, un passionné de jouets.Il aimait inventer des systèmes, des articulations qui aboutissaient à des petits chefs-d’œuvre de minutie. Véhicules, personnages, objets, accessoires… Marc imaginait des univers entiers, qui tenaient dans la paume d’une main.Il fit ses premières armes chez un pionnier du jouet à assembler. Il y créa le Far West, le Cirque, le Zoo, la Ferme, mais aussi la Conquête de l’Espace et même l’Âge de Pierre.Chacun de ces mondes miniatures se vendit à des millions d’exemplaires. Tous les petits garçons de 4 à 11 ans commandaient au moins l’une de ces thématiques à Noël.
En 1982, Marc fut invité à dîner chez un camarade de promotion. Ils ne s’étaient pas revus depuis 6 ans. À la fin du repas, son ami lui glissa dans la main un petit coffret. Une fois celui-ci ouvert, deux écrans à cristaux liquides s’animèrent sous les yeux de Marc. La scène représentait une usine. Ce premier « jeu électronique » permettait de contrôler des ouvriers, qu’il fallait aider à rattraper des paquets, envoyés de plus en plus rapidement par un contremaître perfide. Chaque paquet rattrapé augmentait le nombre de points. Lorsque les paquets quittaient le premier écran, ils apparaissaient sur le second, à charge pour le joueur de coordonner les actions du deuxième ouvrier, jusqu’au remplissage du camion. Si un paquet tombait, le joueur perdait une vie. Au bout de trois vies perdues suite à des maladresses répétées, la partie se terminait.Marc et son ami passèrent la fin de soirée à tenter de battre le score de l’autre.De retour chez lui, Marc comprit que son métier n’avait pas autant d’avenir qu’il l’avait escompté.
En 1990, la vente des jouets imaginés par Marc commença à se tarir. Les mini consoles de jeux avaient envahi le marché, et les enfants ne s’intéressaient plus qu’aux mannequins tirés de séries à succès. La société qui l’embauchait acheta à prix d’or la licence d’exploitation d’un célèbre manga, et le somma de décliner cet univers sous la forme de jouets, qui seraient désormais fabriqués en Chine. Marc tenta le tout pour le tout, transposant le personnage principal dans une reconstitution du monde chevaleresque. On y retrouvait la source d’inspiration des japonais : les Samouraï et les Shoguns. Cette idée déplut fortement : il fut licencié sur le champ.
Après quelques mois de chômage, Marc fut repéré par une entreprise spécialisée dans les détergents. Pour vendre davantage de lessive, ils avaient eu l’idée géniale de ne plus s’adresser aux femmes, mais à leurs enfants, en glissant un cadeau à l’intérieur de chaque baril. Ces jouets avaient permis aux ventes de décoller. Mais depuis quelque temps, un essoufflement se faisait sentir. Les enfants ne semblaient plus intéressés par ces cadeaux.Marc releva le défi, imaginant une série de personnages à collectionner. Dans la foulée, il créa une multitude de produits dérivés : mini cartes à jouer, gommes, ballons, cerf-volants… L’opération fut un succès. Les enfants raffolaient de ces nouveaux héros, mi-démons, mi-humains, qui possédaient chacun un pouvoir particulier. Un dessin animé fut même tiré de cette création. L’argent affluait.
En 1995, Marc investit la totalité de ses économies dans la création de sa propre société. Il se spécialisa dans la conception de prototypes de jouets. Grâce aux réseaux qu’il s’était constitués, il travaillait en direct avec les acheteurs.S’il acceptait parfois des commandes de produits dérivés, son plus grand plaisir restait de proposer des nouveautés, qui trouvaient souvent preneurs.
En 2001, son ancien camarade de promo – celui qui lui avait fait découvrir le premier jeu électronique – vint lui rendre visite. Ils s’étaient revus de façon épisodique durant les dernières années, mais toujours dans un cadre privé.Cette fois, son ami avait une proposition professionnelle à lui faire : ouvrir sur Internet un site e-commerce, permettant de commander en ligne des jouets sur mesure.Ils mettraient chacun 50% dans l’affaire, partageant ainsi les risques… et les bénéfices.Marc accepta.
Au bout de deux ans, le site Internet n’était toujours pas rentable. Ne voyant plus d’intérêt à sa participation dans l’affaire, Marc revendit ses parts à son ami, au prix d’achat. Un mois plus tard, le site mettait en ligne un produit révolutionnaire, et devenait le leader de la vente de jouets sur le Web.Cette idée d’une statuette entièrement customisable reprenait, au détail près, un projet imaginé par Marc. Son ami lui avait alors affirmé que le concept ne fonctionnerait jamais… avant d’en déposer les licences et brevets à son nom.
Marc ne contacta pas d’avocat, n’envoya aucune lettre d’assignation.Il se rendit chez son ancien ami, armé d’un revolver. Il tira trois fois, dans la poitrine.Lorsque les médecins légistes examinèrent le corps, ils eurent la surprise d’extraire, en lieu et place des balles, trois personnages de métal, déclinaisons miniatures de la création volée.
En perquisitionnant chez Marc, les enquêteurs trouvèrent, posée en évidence sur son bureau, une lettre qui disait : « Je ne serai plus jamais le jouet de quiconque. »

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