Bien dans ma peau, mal dans ma vie ? J’avais écrit précédemment combien je me sentais en orbite de ce monde. Distant, détaché, arrogant et excessif. En fuite perpétuelle vers l’avant. Sans parvenir pour autant à placer des mots sur les maux qui me bouffent. En fait, je croyais que je manquais de résilience. Après une dépression, le moral fait comme un oscilloscope, il vacille de bien en pis, puis de mal en mieux. Il y a de la houle, quoi. Mais mon signal à moi, il reste en deça du niveau de référence. Le balayage s’accélère. J’ai subi la chape illégitime de l’effet de rémanence. Les effets persistaient tandis que les causes avaient bel et bien disparu. J’en suis sorti, c’est sûr, j’ai tordu le cou aux effets. Il y a autre chose.
Car je ne fais plus rien, je n’avance plus. Au mieux j’expédie quelques affaires courantes, dans l’angoisse de me retrouver à nouveau en position délicate. Je ne fais plus les choses que lorsqu’elles sont urgentes, impératives ou graves. Le reste du temps, je creuse. Sans cesse. Au plus profond de moi-même, ou dans le stock des idées potentiellement inexploitées par mes prochains. Comme un chien cherche un os sans savoir si l’emplacement est le bon. J’observe un monde auquel je n’ai plus envie de participer. Je m’ennuie sans cesse, malgré un boulot passionnant. Parfois la vie me paraît lisse, alors je me défonce pour la voir déformée. J’ai l’impression que je ne sais rien faire. La peur de l’échec me fige. Mon esprit papillonne et « s’éclate grave », mais n’est plus capable de concrétiser quoi que ce soit. Je cultive inconsciemment tout ce qui pourrait me garder distant de l’habitus ethnique. Je développe une intolérance très intime à l’encontre de ceux qui dénigrent mon perçu, que par ailleurs je ne cherche à imposer à personne.
Je remets sans cesse en cause les fondements sociétaux, intellectuels, et affectifs qui jalonnent ma modeste vie, mais reste éternellement insatisfait. Je m’obstine à surenchérir dans tous les domaines de ma vie, en ayant la certitude que je ne fais que précipiter ma sortie de route.
Je suis insoluble, le mélange ne prend pas. Je me sens comme une goutte d’huile dans un verre d’eau. Le plus étrange, c’est cette nouvelle force en moi, que je n’aurais jamais cru compatible avec l’intime conviction de flotter dans le doute permanent. Mais tous ces mots sont dérisoires, comparés à cette tempête mentale, où s’entrechoquent les idées, le ressenti, la critique, et la quête d’un improbable bonheur noyé dans ce déluge d’inepties. Car j’ai une vie intérieure très riche ; mais foncièrement improductive. C’est un peu comme si j’essayais de faire pousser un arbre sur la lune.
Mais aujourd’hui j’ai eu la chance de découvrir qu’on n’était jamais seul. Quand bien même ladite compagnie se limite au partage d’un ressenti si singulier. « Quelqu’un me comprend », en d’autres termes. Car ce mec, (« Lau », un homme résolument bourré de talent), me renvoie de moi-même une image plus fidèle que ne le fait un miroir. Un peu désabusé (comme je le comprends), il a pris la peine de m’écrire :
« Et puis quoi. What the fuck ? Si c'est vrai, nous devons faire face a un tel gâchis et a une telle dégradation par rapport a ce qui aurait été possible, qu'une abominable désolation est la seule posture que nous puissions prendre. Et si c'est faux, nous sommes juste des moutons avec comme seul libre arbitre le choix de notre orgueil stupide, en guise de pelisse. Certains se targuent d'être, nous d'avoir pu être mieux. Comme ces histoires d'illégitimes illustres ou nobles aïeux que tout enfant finit par entendre. Pour moi l'ennui est permanent, commence avant même que la passion s'amenuise. Je n'ai pas besoin de finir, il suffit juste que je commence et je m'ennuie déjà... ou pire, que je comprenne que c'est possible, et voila que ça me barbe. Le pire c'est que l'exploit ne m'amuse pas non plus. Ennui et paresse. J'aurais du être un rejeton de très bonne famille sous l'ère des Romantiques, un héritage à gaspiller en plaisirs fats, rien d'autre ».
Et il m’a fait lire ceci, également :
« Tant qu'on ne sait pas qui on est, quelle direction choisir, tant qu'il suffit d'un peu d'obscurité, d'un trouble plus grand, d'un environnement trop différent pour que tous les repères péniblement mis en place disparaissent, il n'est pas possible de se former de soi une image acceptable.
Et c'est ce rien, cette absence de tout, qu'on va offrir à celui qu'on veut séduire ? Comment donner quelque chose à l'autre, quand on ne sait plus rien de soi, et que c'est de cet autre qu'on attend sa propre définition ? »
Exactement : « et puis quoi… What the fuck ? ». La goutte d’huile est encore assez insolente pour envoyer chier l’océan tout entier. En conséquence de quoi, j’en déduis qu’elle se porte plutôt bien. Ouais. La goutte d'huile se languit déjà de faire déborder le vase. Même si elle se sent à poil, avoir écrit ceci. Merci, "mec résolument bourré de talent". ;-)