Samedi soir
Les insortables en sortie à Neuchâtel
Le dernier samedi du mois de mars, après le vernissage de l’exposition “Les machines de Léonard de Vinci” au musée d’Histoire Naturelle de Neuchâtel , Vicky revêtue de son imperméable semblant issu d’une poubelle, sa fille Calypso coiffée de dread lock’s qui cachent mal sa mine patibulaire d’artiste aux études, Sacha relooké par mes soins en Alain Chamfort façon années 70, afin casser son allure d’aumônier nourri d’hosties consacrées qui pourrait me faire passer pour une péripatéticienne qui défroque un curé, et ma grande gueule de gaffeuse mi-figue mi-raisin, sommes allés souper dans une grande pizzeria du chef-lieu.
Avec nos voix trop élevées en décibels -enfin celles de Vicky et la mienne, celle de Calypso est plus discrète et Sacha préfère écouter, je crois que mes copines et moi l’amusons beaucoup-, nos manières de gamines survoltées malgré les rides installées -toujours Vicky et bibi- et nos conversations politiquement incorrectes -qui d’après vous?- nous avons distrait, diverti et outré la clientèle du restaurant durant toute la soirée. Une fois l’addition réglée par Sacha, avant d’enfiler ma veste pour partir, j’aurais dû effectuer le tour des tables en tendant l’escarcelle.
Les insortables au vernissage
Vicky, Calypso et moi apprécions la culture, les musées et les expositions. Les gens beaucoup moins. Les discours pas du tout. Sacha, pour l’instant jouit de cette période amoureuse qui le mènerait au enfer si je décidais d’y séjourner.
Arrivés au vernissage trop tôt, ne pouvant accéder aux salles consacrées au génie de la Renaissance, avant la fin de la cérémonie officielle, nous nous sommes extrait de la foule attentive aux soporifiques discours, en nous jetant sur le buffet, le mâchouillage d’oignons au vinaigre, de mozzarella, de biscuits salés et de grissini aidant grandement à gérer l’agoraphobie.
Vicky
Ces petits biscuits carrés sont pas bons. J’adore les gressini.
Moi
Les petits oignons sont super bons.
Calypso
Oui, j’ai goûté un oignon.
Vicky (avec trois gressini dans les mains)
Y’a bientôt plus de gressini.
Sacha (avec trois gressini entre les doigts)
C’est vrai qu’ils passent bien.
Vicky (reluquant une table inaccessible)
Y’a plus de gressini! Oh! Mais y’a une table avec plein de gressini là-bas au fond!
L’un des responsables du buffet, vaguement agacé, ferme et poli
Ce buffet n’est pas encore ouvert. On ne pourra y accéder qu’à la fin des discours. Vous seriez donc aimables de patienter jusque là!
Bref, l’on nous a pris pour des pique-assiettes alors que nenni! Vicky et moi sommes fauchées mais mangeons tous les jours CHEZ NOUS à notre faim. Nous n’avons nullement besoin de parcourir les vernissages pour nous alimenter. Nous étions juste quatre solitaires groupés, souffrant d’une oppressante agoraphobie à canaliser. D’ailleurs, dès la fin des discours nous nous sommes précipités dans les salles d’exposition et n’avons plus goûté au buffet.
Les insortables au restaurant
Plus d’une fois j’ai remarqué les clients des tables alentours, fourchette en l’air à nous écouter, Vicky et moi possédant de latines et hautes voix qui arrosent de mots plusieurs mètres à la ronde alors que nous sommes totalement incapables d’entretenir une conversation bienséante.
Conversations: extrait n°1
Vicky (actuellement sans emploi mais temporairement placée dans un bureau par cette vénérable institution qu’est l’assurance chômage, tout en ne recevant qu’un “salaire” de chômeuse à peine plus élevé que si elle chômait à la maison).
J’en peux plus! Je suis crevée. J’en ai marre! Avec les qualifications que j’ai, j’effectue un travail de larbin très en-dessous de mes capacités. En plus, je me fais gronder de manière injustifiée par des gamins de moins de 25 ans au cerveau gros comme un petit pois. Des incultes qui ne savent rien de la vie. Je pense souvent à toi Dunia quand tu me disais que t’avais toujours mal au ventre et que tu vomissais plusieurs fois par jour quand tu travaillais à l’usine. J’en suis au même stade même si je ne vomis pas encore. En plus, avec la paie de chômeuse , je n’arrive pas à payer toutes mes factures! Un comble! Je travaille, je suis fatiguée et je n’arrive pas à boucler mes mois.
Moi (pince-sans-rire)
De quoi te plains-tu ma chérie? Tu as un toit sur la tête et l’Etat te permet de te lever tous les jours à 5h30, de prendre ton LEB surbondé (train de banlieue lausannois) pour de travailler huit heures par jour pour trois-francs-six-sous afin de faire fonctionner la grande machine économique et sociale de notre beau pays. Tu devrais être heureuse qu’on te permette de rester intégrée dans la société au lieu de déprimer seule chez toi.
Vicky
Intégrée ou pas, je suis fatiguée et je n’arrive pas à finir mes mois. Je suis obligée de jongler avec mes factures pour m’en sortir. Je préférerais rester au chômage et travailler au noir. J’aurais plus d’argent et je saurais pourquoi je travaille et pourquoi je me sens si fatiguée!
Conversations: extrait n°2
Moi (lors d’une conversation tournant autour de la lingerie)
Je déteste porter un slip. J’étouffe dans les slips!
Vicky
Comment ça?
Moi
Je me sens coincée dans les slips. C’est désagréable. Un slip ne sert à rien.
Vicky
MAIS SI ÇA SERT!
Moi
Oui, c’est vrai ça serre, ça frotte comme du papier de verre, ça donne chaud, ça retient l’humidité, bref… je déteste les slips. D’ailleurs je déteste les serviettes hygiéniques, les tampons, les protège-slips, les pantalons qui collent à la peau, bref tout ce qui m’etouffe…euh… cette région-là. Quand je sors, je porte un slip parce que suis éduquée et que j’ai un minimum de savoir vivre, mais je hais les slips!
Sacha, me jetant une oeillade complice (tiens, mon amour parle parfois)
Un slip c’est une contrainte!
Moi
Tout à fait! Et les contraintes je ne supporte pas ça!
Calypso
En fait t’aimes te sentir libre de l’entre-jambe. Sentir l’air circuler. La chaleur s’évaporer. Tu détestes mettre une barrière entre cette partie de toi et le monde.
Moi
Exactement.
Et blabli, et blabla et blabli! J’en passe, des plus corsées. Vicky et moi avons fait théâtre, cinéma et radio pour une bonne partie de la salle. Pour le prix d’une pizza nous avons permis aux clients alentour d’assister aux spectacle des nos vies, en leur donnant de bons motifs d’acérer la critique. Ceci dit, en allant aux patères récupérer nos manteaux, j’ai relevé que la plupart d’entre eux nous regardaient amusés. Faut croire que le show fut bon! Cool! J’adore jouer guignol!
Dis Sacha? Tu nous offriras de nouveau le restau à Vicky, Calypso et moi?
Le port de Neuchâtel.