Magazine Journal intime

lettre d'A. Schmorell

Publié le 05 avril 2010 par Moinillon
Schmorell

« Que nul ne craigne la mort,
car celle du Sauveur nous en a délivrés ! »

(homélie de Pâques de saint Jean Chrysostome)  
En ce lundi de Pâques, je tenais à publier la traduction d'une lettre du martyr Alexandre. 
Que nul ne craigne la mort :  C'est ce que ressentait le martyr, dix jours avant son exécution et le jour même comme en témoignent les deux lettres adressées à sa famille ces jours-là. Dans la suite du billet, on trouvera la traduction intégrale de la lettre adressée par Alexandre Schmorell à sa sœur cadette Natalia (elle fut écrite en prison dans la cellule des condamnés, onze jours avant l'exécution).
La lettre écrite quelques années plus tôt —  avant le début de la guerre avec la Russie —  à Angelica Probst, la sœur de son ami Christoph, dévoile ses impressions lors d'un office religieux dans l'église russe de Munich. C'était le dimanche des Rameaux pour les Russes, et le dimanche de Pâques pour les Allemands.
En comparant ces deux lettres, on remarquera l'évolution spirituelle d'Alexandre.

« Munich, le 14 avril 1941
Chère Angelica,
Hier, j'étais à l'église russe. Mon cœur était serré quand, debout derrière dans un coin, je regardais tous ces malheureux. Où est la justice de Dieu, où ? Peux-tu me le dire, Angeli ?
Alors que j'allais à l'église, le peuple, la populace, les bourgeois, le jour de Pâques, faisaient la queue dès le matin devant les cinémas. Masse malodorante !
Pourquoi ces créatures tristes ont-elles un travail, du pain, une maison et une patrie, et pourquoi tout cela manque-t-il à ces gens que j'ai vus aujourd'hui à l'église ?
Parmi eux il y avait aussi beaucoup de gens du peuple, mais d'un peuple beau, précieux.
Ce sont tous des gens qui ont quitté un jour leur patrie pour échapper à la captivité, s'aventurant dans d'incroyables difficultés uniquement pour ne pas servir une idée qu'ils haïssaient. Et c'est précisément ce simple peuple que j'ai vu aujourd'hui à l'église, c'est lui qui est sans prix. Ils ont fui non pas pour sauver argent ou objets précieux comme de nombreux riches, non, ils ont fui pour sauver leur liberté et celle de leurs enfants. Où trouverait-on un exemple similaire quand une énorme partie du peuple a eu le courage de renoncer à  tout ce qu'elle considérait comme son bien pour fuir, pour échapper à l'esclavage ?
Où était passé aujourd'hui ce courage des Allemands si souvent louangé ?
C'est avec beaucoup de difficultés que la majorité d'entre eux s'est munie en France, d'une modeste et pauvre, mais tout de même une maison. Et de nouveau, ils ont eu un destin  monstrueusement cruel dans un pays étranger.
Cela fait 22 ans qu'ils prient. Même aujourd'hui, quand on les  chasse pour la deuxième fois, ils continuent à prier, ils continuent à venir à l'église et ils prient, ils gardent espoir. Pourquoi Dieu — qu'ils aiment plus que n'importe autre peuple — leur envoie-t-il tant de fardeaux, pourquoi leur sort est-il si monstrueusement cruel ? Des petits enfants de trois-quatre ans, — ils s'agenouillaient, priaient, embrassaient les saintes icônes.
Est-ce qu'il ne suffit d'une seule et unique prière de ces enfants pour pardonner tous les crimes que ce peuple a commis ?
Ils étaient là devant moi, et priaient et avait la foi. Est-ce que la foi n'est pas le plus important ?
En quoi — qui donc le sait ?
Montre-moi un peuple, montre-moi des gens qui croient plus fort que ceux-là qui, après 22 ans de vaine prière croient encore ! Ils ne croient pas en la justice. Comme la Russie devrait être libre depuis longtemps !
Mais ils croient en leur prière, ils croient que Dieu les entendra, et ils ne cessent de croire.
Et pourtant, il n'est personnel pour qui le sort est plus cruel que pour ces gens — les plus croyants de tous les hommes. Ils ont peut-être commis beaucoup d'autres d'erreurs, plus que bien d'autres, mais ils ont aussi une telle Foi et un tel Amour, que n'ont pas les autres. N'est-ce pas le plus précieux ? Toutes les autres erreurs ne devraient-elles pas être pardonnées ?
Je me tenais dans un coin sombre, en regardant tous ces malheureux, et des larmes coulaient sur mes joues. Je n'en avais pas honte.
Dis-moi, bien aimée, est-ce que Dieu envoie toujours à ceux qui L'aiment un destin si cruel ? Pourquoi ? »


Retour à La Une de Logo Paperblog

Dossiers Paperblog

Magazine