Jocelyne Béroard : le discours qui a fait pleurer Lilian Thuram

Publié le 29 mars 2010 par Imaniye

Les larmes d’un champion

C’est Jocelyne Béroard qui a passé la parole à Lilian Thuram pour présenter son livre « Mes étoiles noires ». Et de quelle manière ! Au point qu’à la fin, Lilian était en larmes. Alors voila votre part d’émotion…
Photo Claude Héloise

L’autre jour je vous disais que j’avais rendez vous avec Lilian Thuram, star du football mondial et depuis quelques temps écrivain, auteur d’un ouvrage que j’ai cru bon offrir à la connaissance de Munyahni, trop heureux de rencontrer un de ces héros qui lui ont donné envie d’être footballeur. C’est donc en sa compagnie que je me suis rendue à l’Atrium où une foule très très nombreuse a envahi la salle Aimé Césaire pour le voir et l’écouter. Il y avait de vieux professeurs et des petits garçons, des filles et des femmes, bref toute une foule de gens qui ont rempli la grande salle de l’Atrium, ce qui est vraiment un exploit pour une conférence.

Et le public présent, loin d’être déçu, s’est régalé de la présence de Jocelyne Béroard, la diva du zouk dont on pouvait se demander ce qu’elle faisait dans ce domaine où on l’attend guère.  Enfin ceux qui ne la connaissent pas. Car Jocelyne a énormément de talents divers, je vous en ai déjà parlé ici. Et elle a su donner à sa présentation une telle intensité qu’à la fin… Mais on n’en n’est qu’au début. Alors imaginez qu’elle entre avec le champion sur l’estrade, qu’ils s’y installent et qu’elle prenne la parole pour dire ça :

« Lorsque Mr Alexandre m’a demandé de parler du livre, le présenter, j’ai d’abord répondu que je n’étais pas critique littéraire, alors, soyez rassurés je ne me lancerai pas dans un exercice pour lequel je n’ai aucune formation.

Le livre de Lilian Thuram me touche, et me remplit de joie. Il réveille en moi des tas de choses, des souvenirs, des envies, des réflexions. Ce livre est nécessaire.

Dans les années 70, depuis mes premières années d’étudiante lotbò, je fréquentais toutes sortes de personnes, venant de tous pays, parmi eux des américains, la plupart afro-americains, donc noirs. Un ami me passe deux énormes volumes écrits par un jamaïcain naturalisé américain (Joël Augustus) J.A.Rogers. Ces livres avaient pour titre : World’s Great Men of Colour. C’était une découverte. Je les ai bus, trop vite peut-être car je devais les rendre, mais j’étais bouleversée d’apprendre qu’une partie de ces femmes et hommes dont j’avais entendu parler étaient des noirs, de grands nègres.

En dehors de Césaire, Fanon, Lumumba et deux ou trois autres, je n’avais guère de personnes me ressemblant que je pouvais louer.

(Le premier volume parlait de personnalités noires, originaires d’Afrique (bien évidemment d’Égypte)et d’Asie avant le Christ. Le deuxième couvrait les grandes personnalités noires d’Europe, Amérique Centrale et du Sud, les Antilles, les Etats Unis… )

Je me suis mise à acheter des livres comme « Stolen legacy » mais avoue avoir besoin de posséder ces études, recherches et leçons d’histoires dans une langue qui ne m’obligerait pas à prendre un dictionnaire.

En fait, j’ai eu la chance d’apprendre et pratiquer l’anglais ce qui m’a permis d’être capable de lire des livres dans cette langue en en ratant certainement quelques subtilités, aussi, je regrettais que la plupart des nôtres, ne puissent avoir accès à ces recherches et écrits du fait de la langue, et continueraient, comme moi avant, à penser que la connaissance venait des autres. C’était une époque où nous devions chercher et fouiller l’histoire un peu seuls et le découragement nous faisait des clins d’œil à tout bout de champ. Mais le désir de savoir toujours plus nous a gratifié de chercheurs qui nous abreuvent de plus en plus de leurs travaux, ce livre en est l’exemple. Merci monsieur Thuram. On rattrape le retard et c’est tant mieux !

Entendant parler du Livre « Mes Etoiles Noires » de Lilian Thuram, j’ai couru l’acheter et ai pensé, « Woulo bravo! il l’a fait » le « l’ » représentant un de mes rêves.

Heureuse, je suis doublement heureuse parce que ce livre vient d’un sportif. Généralement les sportifs ou musiciens, deux activités dans lesquelles il est presque normal que nous excellions, sont souvent qualifiés de têtes vides, même si on nous élève au rang de star. Et lorsqu’elles ne le sont pas, elles le paraissent quand même car généralement nous dormons dans le consensuel, tentant sans doute d’éviter de refermer ces portes si difficilement ouvertes. Ou encore parce que nous n’avons pas les arguments pour défendre nos théories, ou pire encore par complexe ou ignorance.

Eh bien voilà ! Celui qui a permis à la France d’aller en finale, n’a pas fait que shooter dans son ballon, ou organiser des léwoz et en dehors de ce livre, Lilian Thuram a aussi créé une Fondation qui a pour objectif de lutter contre le racisme en tachant de comprendre ses différents aspects, être conscients de la construction sociale des races, libérer nos cerveaux des préjugés hérités des générations antérieures et rompre avec la hiérarchie raciale de l’esclavagisme. N’oublions pas que le racisme a été créé et justifié par des scientifiques qui en faisant la classification des races ont pris soin de nous mettre dans une case pas très brillante

Il en a résulté une réelle dépréciation de nous même, parce que nous avions intégré un sentiment d’infériorité, aidés en plus de l’héritage de « l’éducation » reçue, sans jamais être défaite, depuis la période de l’esclavage. Ce livre prouve qu’avant, pendant ou après cette période, qui n’est pas le début de notre histoire, ceux qui ont cru en leurs rêves, ceux qui se sont donné les moyens, sans avoir de moyens, sans attendre de l’autre, ceux qui ont refusé de vivre par procuration, ceux qui ont pris le temps de réfléchir, ont pu réussir, servir et brillent dans ce livre.

Comme le disait un ami, « ce n’est ni une repentance, ni une revanche, mais la reconnaissance de faits et événements historiques ».

Lilian Thuram nous livre une sélection intelligente, équilibrée, logique. Des sportifs, des artistes, des écrivains, des philosophes, penseurs, scientifiques, militants des droits civiques… je n’en ferai pas la liste, je veux juste vous donner envie de les découvrir. Bien sur, peut se plaindre qui veut de l’absence de celle-ci ou celui-là mais pas trop vite car un nom en tête de chapitre peut en cacher plusieurs dans le chapitre.

Outre les récits intéressants de ces femmes ou hommes choisis, c’est à mon sens un outil pédagogique, LT ne s’est pas contenté de nous livrer ces histoires copiées d’un manuel, mais nous les présente avec des extraits de livres ou de discours, et fait des parallèles avec l’histoire, les faits, les raisons de certains comportements. La lecture est aisée et agréable.

« On n’échappe pas à son histoire, quelque soit l’endroit où on va, on amène avec soi son histoire, sa culture » sont les mots de LT dans une interview.

Tout le monde a appris l’histoire à l’école, mais l’histoire est toujours écrite selon les intérêts de ceux qui la livrent. Alors l’histoire qui est nôtre doit être réétudiée, revisitée sereinement par nous, premiers concernés, si nous voulons éduquer nos enfants et les mener à la réussite, développer leur imaginaire, leur créativité, leur talent.

Toutes ces biographies peuvent être un point de départ pour beaucoup d’entre nous. Envie d’aller plus loin dans nos projets, envie d’en savoir plus sur nous, sur eux, envie de grandir. Ce livre me permet de retrouver des héros que je connaissais déjà mais en ajouter plein d’autres comme : Les chasseurs du Manden.

Il m’est arrivé à une époque de me dire « à quoi bon exposer des héros, si on n’est pas capable d’en faire autant » fatiguée de cette facilité à brandir la force ou le talent de celui ci ou celui là, sans réel désir personnel de changement. C’était à une époque où apparaissaient des agendas avec des grands noms d’inventeurs, qui faisaient la fierté de tous ceux qui lisaient. En fait, je regrettais juste qu’il n’y ait essentiellement que des américains et désirais sans doute qu’on en sache un peu plus sur nous des Antilles. Sur le net, j’ai trouvé un site « Caribbean Hall of Fame » dans lequel sont nommées des personnalités noires venant de toute la Caraïbe, sauf de chez nous. Alors j’ai pris l’habitude, instinctivement, de nommer des contemporains de chez nous qui faisaient ma fierté.

Par exemple, je vivais dans le 15ème au fond d’une cour en face d’un couple antillo-guyanais classique, sans chichi. Mr Vérin d’origine guyanaise avait découvert le vérin hydraulique dans l’atelier juste en dessous de chez moi et lui avait donné son nom. Combien savent que le créateur du vérin hydraulique tant utilisé dans les engins de chantiers est de chez nous ? En 1988, le Dr Gérard Berthelot d’origine guadeloupéenne a appartenu à la première équipe chirurgicale au monde à avoir codifié et réalisé la procédure d’ablation de la vésicule biliaire « sans ouvrir », opération au nom barbare de Cholécystectomie sous cœlioscopie *.

On peut en nommer des dizaines encore si on prend le temps de réfléchir ou chercher. On a besoin d’exemple. Besoin de se dire que si il peut, lui qui a habité pas loin de chez moi, alors je peux.

Malheureusement, nous avons souvent du mal à considérer nos talents, nos valeurs réelles, sa nou ni pé pa pli bon ki ta lot-la. D’ailleurs « la grande musique » ne peut être que la classique et… avec beaucoup de générosité le Jazz. Les nôtres sont encore au bas de l’échelle, sauf si nous imitons suffisamment l’autre.

Puisse ce livre nous apprendre à mieux aimer ce que nous sommes et désirer la réussite de celui qui a le potentiel en l’aidant sincèrement.

C’est aussi un livre d’hommages. On y trouve des hommes et des femmes qui logiquement provoquent l’admiration parce que créatifs ou visionnaires. Honneur et respect. Mais la partie qui m’a touchée, émue, est celles des oubliés : les tirailleurs sénégalais, qui n’ont toujours pas la reconnaissance des dirigeants du pays pour lequel ils sont venus se battre et souvent mourir. Sans un réveil de la mémoire de la part de ceux qui devraient le faire, comment imaginer que le peuple, pour lequel ils ont œuvré, puisse leur rendre hommage ? Mais nous, nous pouvons. Honneur et respect.

Incorrigible, je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec nos ancêtres qui venaient de cette même terre d’Afrique, privés de leur identité car ne figurant pas sur les registres de l’Etat civil, oubliés de nous simplement, ou parce que sans trace ou presque, ils sont également morts pour la gloire financière de d’autres et dorment également oubliés de presque tous. Honneur et respect.

Lilian Thuram nous offre un livre superbe, et ne nous fait pas croire qu’il est seul. Je ne veux surtout pas minimiser son initiative ni son travail de recherches, mais avec humilité, il nous dit s’être encombré d’historiens, de chercheurs pour que ce livre soit le plus juste possible. Honneur et respect.

Évidemment il n’a pas manqué de réveiller certains penseurs de lotbò, qui dormaient encore dans un sentiment qui ne date pas d’aujourd’hui (en fait depuis 1954) lorsque Cheik Anta Diop avait sorti son « Nation, Nègres et Culture ». Ils ont eux aussi besoin d’un nettoyage du cerveau, leur seul souhait étant qu’il continue simplement à pousser son ballon ou apprenne à nos enfants à le faire, en la fermant surtout. Mais aurons nous longtemps encore besoin de l’aval de l’autre ? C’est à nous de dire que ce livre est un classique à lire et ajouter à nos bibliothèques. Et au lieu de nous contenter des portes qui nous sont entr’ouvertes, construisons notre fort.

Dans sa lettre, publiée à la fin du livre, le Dr Gilles-Marie Vallet (psychiatre pour enfants et adolescents) dit : Parce que ce livre nous rappelle l’histoire d’hommes et de femmes qui ont contribué à l’Histoire de l’humanité, mais qui pour certains ont été oubliés ou exclus des manuels scolaires, il restitue un pan de l’anamnèse de notre société. J’ose espérer que ce travail nécessaire de reconnaissance, comme au cours d’une thérapie, participera à l’épanouissement de notre société.

Et pour citer Lilian Thuram de nouveau : « C’est tout le passé du monde que nous devons reprendre pour mieux nous comprendre et préparer l’avenir de nos enfants »

Et Jocelyne termina en demandant au public de se lever pour saluer l’auteur et son oeuvre, lequel auteur devant cette salle debout et acclamative, fondit en larmes, des grosses larmes qu’il avait dit-il retenu depuis si longtemps, mais qu’il n’avait pu contenir devant l’émotion qui soudain fondit sur la salle et nous atteignit en plein coeur.

C’était extra ! Alors on va vite s’essuyer les yeux et on revient bientôt vous dire ce que Lilian Thuram pense de ses collègues que l’on traite de singe sur les stades européens. Hé oui, vous pensez bien que je lui ai posé la question voyons…