Pourquoi il ne faut pas déposer
Pour mieux comprendre la nécessité de soutenir l’effort individuel ou collectif et l’attention sur Haïti, voici un témoignage envoyé par notre correspondante sur place, Jacqueline Denis, qui confirme qu’on est toujours dans l’urgence.
Témoignage de Madame Dresse, épouse du consul belge en Haïti
Depuis le 12 janvier, nous les chanceux survivants, nous essayons de nous arracher de ce cauchemar, les uns mentalement secoués, les autres financièrement ruinés, d’autres encore affectivement atteints.
Que de morts, que de souffrances, que d’enfants lâchés seuls, errants, perdus dans les rues de Port-au-Prince… Hier encore, Brice, le chauffeur, m’a raconté la triste histoire d’une petite fille d’à peine dix ans, marchant devant lui, parlant toute seule. Intrigué, il s’approcha d’elle et l’entendit qui disait: “Manman, bam yon ti bout pain tanpri” (Maman, un p’tit morceau de pain, je t’en prie). Elle avait perdu la tête. Combien y en a-t-il, de ces petites filles ?…
J’ai écrit “sortir de ce cauchemar”. Comment ?
-Quand tous les jours une petite secousse (ou pas si petite que ça, comme ce matin à 4 h 40 !) précipite tout le monde hors de sa maison !!!-Quand on sort de la maison pour se retrouver nez à nez avec ces affreuses ruines, et qu’on se demande combien il y a encore de morts sous ces décombres !!!-Quand on rencontre un ancien ouvrier, maçon, serviteur, qu’on l’embrasse, qu’on lui dit “C’est magnifique, tu es vivant ! “, et qu’il répond, gêné, honteux, parce qu’il n’a pas l’habitude de mendier, “oui, mais je ne te cacherai pas que depuis 2 jours, je n’ai plus rien à donner à mes enfants, pas même de l’eau”…-Quand un objet qui tombe trop fort, la vibration d’une voiture qui démarre, le cri d’un enfant, vous font sursauter-Quand on a peur de fermer les yeux pour ne plus revivre cette sensation de chavirer, pour ne pas réentendre cet horrrible grondement et ces cris de frayeur…
Nous n’oublierons jamais ces nuits blanches, passées dans le jardin, à la belle étoile. Nous étions une trentaine, locataires, voisins, amis, veillant, guettant la moindre secousse, secousses fréquentes alors !
Comme me disait une amie rencontrée hier, nous ne serons plus jamais les mêmes. Comportement, philosophie différents. Notre vaisselle en morceaux, bibelots cassés, quelle importance ? En avions-nous vraiment besoin ? Cette façon de voir semble extrême et avec le temps elle changera. Mais ce qui ne devrait pas changer, c’est notre solidarité, notre compassion.
Nous avons recueilli dans une partie de la propriété quelques centaines de réfugiés, on ne peut pas savoir exactement combien. Beaucoup d’entre eux, marchandes de légumes, de fruits, s’en vont tôt le matin pour la journée. D’autres partent à la recherche de travail, laissant derrière eux les enfants:
Garçons de 3 à 14 ans: 71Filles de 3 à 14 ans: 62Bébés de 0 à 2 ans: 29 (dont 3 nés ici)
Ils reviennent tous pour dormir le soir, entassés comme des sardines.
Gros problème: le taux de chômage, déjà si élevé auparavant, a considérablement augmenté, suite à la destruction de tant de maisons de commerce, d’hôtels, de maisons privées, d’usines.. . On se retrouve avec des milliers et des milliers de sans-abri-sans-travail.Et puis, et puis, et puis…
Je disais donc merci à vous tous, famille et amis. A tous, nous disons que votre aide, plus précieuse que vous ne pouvez imaginer, nous permet de soulager bien des misères.
Nous pourrons, grâce à vous-Aider des sinistrés qui désirent partir pour leur province natale, en payant leur ticket de bus et en leur donnant un peu d’argent pour pouvoir se retourner au début.
Nous pourrons, grâce à vousNous occuper des enfants du camp, leur acheter des jouets, des bonbons, des DVDs (chaque jour il y a “cinema” dans notre garage). Ils sont maintenant forts en sudoku, UNO, dames et othello…
Nous pourrons, grâce à vousAider financièrement les sinistrés qui n’en peuvent plus et avouent n’avoir plus rien a manger
Nous pourrons, grâce à vousPrendre soin des bébés, y compris les 3 nouveau-nés du camp !, en leur donnant du lait, des langes, des vêtements, des médicaments.
Nous pourrons, grâce à vousLeur donner du papier de toilette, des serviettes hygiéniques, des tubes de pate dentifrice.
Merci, merci, merci
Nouvelle inquiétude ! Hier, les enfants sont venus, timidement, un par un d’abord, puis en groupes, me dire “Madame, j’ai soif”. J’ai distribué une partie de ma réserve d’eau potable et je devrai certainement recommencer aujourd’hui et demain. Et puis après ??? Je me débrouillerai !!!
Une bonne chose , cependant. Hier dimanche, nous avons été très formellement invités à une représentation “Haiti pap péri” (Haïti ne périra pas), organisée par un groupe de jeunes, avec des enfants comme acteurs. Les préparatifs étaient touchants. Une table avec des biscuits, un gâteau, des piroulis (sucettes), des colas. J’ai un peu aidé à la décoration de la scène. Le résultat était étonnant. Un beau spectacle. Danses folkloriques, blagues, chants, pièces de théâtre. Super !!! De l’enthousiasme, du talent, et enfin, un peu de joie. Ce n’était plus pour un instant un camp de sinistrés,mais un camp de vacances. Que c’était bon !
Mais maintenant,on est de nouveau devant la réalité. Surtout après les deux secousses d’aujourd’hui, coup sur coup. Inquiétude, soucis, peur du lendemain.
Encourageons-nous en disant comme eux “Haiti pap’ péri”
Je vous embrasse tous
Lili »
Fin de citation…
Jacqueline Denis, notre amie qui œuvre sur place dont je vous parlais ici, nous confirme que ce cauchemar se vit quotidiennement en ce moment même, en tous les points du pays touchés par le séisme.
Voilà pourquoi les artistes martiniquais remontent une nouvelle fois au créneau, ce dont nous reparlons très vite ici même. En attendant, tenons raide, ne mollissons pas, car c’est de mollir sur ce front là qui serait dur…
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Voir ici l’image dans son contexte