Magazine Journal intime

Bauchau, amour et répulsion

Publié le 06 avril 2010 par Alainlecomte

bauchau.1270575695.jpgLa littérature est faite pour nous happer. Un auteur, un écrivain c’est celui qui nous prend par les épaules ou par le colbac, parfois en douceur et parfois brutalement. Si on est un peu libre, on obéit à l’injonction des mots, du rythme de la prose, parfois bien sûr aussi de la poésie. J’ai lu Modiano d’un seul trait et sa petite musique me donnait un cœur léger et plein d’humeurs primesautières. Je ne sais pas ce qui m’a pris de lire Henry Bauchau . Oh non, pas le dernier, qui, je crois, s’appelle « Déluge », mais l’avant dernier, celui qui s’appelle « Le boulevard périphérique », maintenant sorti en format de poche, qui avait obtenu en son temps le prix des lecteurs de France-Inter. Au début j’ai adoré cette prose. Sentiment qu’on n’avait rien vu de si épique depuis peut-être Hugo. Il y a, vers le début, c’est le chapitre IV, une extraordinaire description d’une scène se déroulant pendant la dernière guerre. Il s’agit d’une grande rafle opérée par les SS afin de ramasser les jeunes pour les envoyer au STO. Apprenant que quelqu’un qu’il cachait s’était fait prendre et devait partir le lendemain pour l’Allemagne, le narrateur songe à lui faire passer un paquet mais sa compagne lui fait remarquer qu’il est plus prudent que ce soit elle qui le fasse. « Mary ne revient que plusieurs heures plus tard, échevelée, les vêtements froissés, elle boite car les talons de ses souliers sont cassés. Elle est épuisée, s’écroule dans un fauteuil, elle raconte et ses paroles sont coupées de crises de larmes et parfois de rires nerveux. » Quand elle est arrivée place de la Gare, bien d’autres femmes étaient là. Des centaines. Elles ont suivi les jeunes hommes, et elles se sont mises à crier. Plus il arrivait de femmes, plus ça criait, et les soldats n’osaient pas les frapper. Mais les hommes sont arrivés et eux ont commencé à jeter des pierres et des boulons. Alors les femmes leur ont fait face et ont voulu les dissuader car cela ne rimait à rien, uniquement à les mettre tous et toutes en danger. Cette confrontation multiple (les femmes contre les soldats, les hommes contre les soldats, les femmes contre les hommes) dure une douzaine de pages. C’est un morceau unique de littérature où l’on sent comme l’esprit de Gavroche et celui des femmes de la liberté guidant le peuple. Rien que pour ça, on peut lire Bauchau.

Et puis j’ai haï Bauchau. Je n’ai pas compris qu’il faille, pour servir de contrepoint à l’histoire de Paule qui se meurt d’un cancer, ramener celle d’un duo bien peu probable constitué du Résistant et du Nazi… Le Résistant a enseigné au narrateur les joies de l’escalade au début des années quarante et il y a eu entre eux une sorte d’amour qui met longtemps à se révéler comme tel aux yeux du narrateur… Il faut pour cela que ce dernier rencontre au fond d’une cellule le Nazi qui a traqué le Résistant. Etrange fascination. Ce qui était épique au début devient l’avancée d’une prose au pas lourd. L’excès de sens remplit les épisodes jusqu’à provoquer du dégoût. Je m’étonne à ce stade que la critique ait encensé ce livre sans jamais avoir rien trouvé à redire à cette exploitation invraisemblable de la seconde guerre mondiale. D’autres auteurs sont exécutés en place publique pour moins que ça (Littell, Haenel…).

Et puis j’ai re-aimé Bauchau sur la fin, quand cette histoire glauque enfin s’estompe et qu’on ne parle plus que de ce qui est rude réalité à étreindre : celle de la mort d’une personne proche, et cela avec des accents qui sonnent tellement juste, mais qui vous emplissent d’une telle tristesse….


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