Quatrième de couverture :
"Au commencement, il y a cette peinture d'Edward Hopper qu'on peut voir à Chicago. J'ai dû l'apercevoir à plusieurs reprises avant de m'en procurer une reproduction, un dimanche d'ennui. Un soir, sans intention particulière, j'ai observé la femme en robe rouge de la peinture, assise au comptoir d'un café nommé Phillies, entourée de trois hommes. Alors ça s'est imposé à moi, sans que j'aie rien cherché. J'ai eu l'envie impérieuse de raconter l'histoire de cette femme et des trois hommes autour d'elle, et d'un café de Cape Cod."
"L'arrière-Saison a la beauté mélancolique d'une sonate d'automne." Michèle Gazier, Télérama
Je viens juste de terminer la lecture de ce roman acheté il y a très peu de temps. Comment l'avais-je choisi celui-ci, ou plutôt qu'elles sont les raisons qui m'ont poussée à l'acquérir?
Tout d'abord, j'ai reconnu la peinture d'Edward Hopper,
Ensuite je connaissais déjà l'écriture de Philippe Besson, et j'ai adoré son roman "Un homme accidentel"
Enfin, j'ai lu la quatrième de couverture, j'ai été interpelée par le sujet, et j'ai eu une envie irrésistible de tomber sous le charme d'une "mélancolique sonate d'automne".
Je vais oublier l'arrière-saison à Cap Cod, la scène pouvant très bien se dérouler sur une plage normande, dans un café faisant face à l'Atlantique, ou encore sur le littoral méditerranéen dans une station balnéaire désertée par les touristes une soirée de la fin de septembre... Ambiance propice à des retrouvailles, à des confidences, à la renaissance d'une connivence et bien plus encore car les corps aussi ont de la mémoire.
"Dans cet égarement qui les réunit, ils seraient presque capables enfin de se parler calmement, et de laisser venir entre-eux une manière de douceur. Il fallait sans doute que les abcès crèvent, que la mauvaise mémoire soit expiée, que les aveux soient consentis, que la place soit nette pour qu'ils soient finalement aptes à s'adresser l'un à l'autre sans arrière-pensée, sans invective, sans remords ni rancune, sans aigreur. Et s'il suffisait désormais de se laisser aller, de ne plus se poser de questions, d'accepter le moment comme il se présente? Ce serait comme une décontraction, une tension qui se relâche, un bras qui se détend, une main qui s'ouvre, comme lorsque les efforts ou les étreintes s'achèvent.
(...)
"J'ai souvent pensé à toi. C'était toujours une pensée gaie.
- Moi, j'ai vécu avec ton fantôme. C'était souvent une pensée sombre. Mais, à la fin, nous nous retrouvons."
(...)
Et tout à coup, ils s'observent avec tendresse, avec une sorte de gratitude. C'est un regard comme une reconnaissance de dettes. Un regard comme un pardon aussi, pour la douleur ou pour le manque. Un regard comme un regret enfin, de ce qui a été, de ce qui aurait pu être.
(...)
Louise et Stephen s'adressent un coup d'oeil furtif au même moment. Leurs regards se croisent à peine une seconde mais dans cette seconde-là, il y a les cinq années vécues en commun, revues comme dans ces flashs qui ne jaillissent, paraît-il, qu'à l'instant de mourir et il y a les cinq années traversées séparément, embrassées brutalement, soudain reconquises. Il y a tout ce qu'ils ont partagé et tout ce qui les a éloignés. Cette seconde les saisit comme le ferait une secousse électrique, les frappe comme la foudre. Ils se retrouvent là, pétrifiés, statufiés, figés pendant cette ridicule seconde qui pèse le poids d'une vie entière.
Il y a aussi, et pour la première fois depuis que Stephen est entré dans le café, la zébrure du désir. Tout à coup, ils ne sont plus uniquement leur passé ou leur passif, leurs amnésies criantes ou leurs remontrances muettes, ils sont des corps, des formes qu'ils connaissent bien, des peaux qu'ils ont souvent caressées, des bras qui leur ont servi à s'étreindre, des bouches qui se sont touchées chaque jour pendant cinq ans. Le désir, il est palpable. La violence qu'ils ressentent, qui les heurte tous deux ensemble, elle est physique. Ils s'en retournent aux origines."
Philippe Besson - L'arrière-saison - 10/18 n° 4246