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S2e25 : CAKE OLIVE MOCHA GLACÉ & OCCASION MANQUÉE

Publié le 06 avril 2010 par Elinorbird

- Mais au fait? Tu as des nouvelles de Jolie Smith? me demanda Billie avant d'aspirer une lampé de son mocha glacé. La bouche en cul de poule autour de sa paille. Les joues creusées.

- Euh non... répondis-je, réalisant que ce photo shoot ne cessait d'être reporté

- Tu crois que ça va finir par être totalement annulé?

- J'espère pas. Je compte sur ce chèque pour investir dans mon projet, expliquai-je. Mes croquis avancent bien. Une robe. Un manteau. Un bracelet. Un cabas... Je vais bientôt m'attaquer aux patrons, déclarai-je, fièrement

- C'est vrai Eli? OH!!! Je suis fière de toi! dit-elle, pleine de joie...

Billie était si occupée ces derniers temps que nos petits déjeuners rituels se résumaient davantage à une tartine expédiée au fond du gosier qu'à un véritable moment privilégié. Résultat des courses. Elle ne s'était même pas rendue compte des progrès que j'avais fait. Heureusement, ce matin, pour changer, nous avions décidé de se rendre au café Abraço (1). Nous avions traversé le Village, le ventre vide, se délectant de cette chaleur retrouvée puis, pressant le pas, impatientes de commander notre café. Le soleil tapait déjà alors que la journée ne faisait que débuter. Chapeaux de paille et Ray-Ban. Le weekend avait été brûlant et ensoleillé. Une vraie Paques d'été.

Confortablement installées sur notre banc en bois qui trônait sur le trottoir, nous observions les New Yorkais défiler. Et tout particulièrment leurs pieds. Tongs. Espadrilles. Mocassins chaussettes rayées. Semelles compensées. Claquettes. Babouches. Baskets à lacets... Appuyées contre le dossier, les jambes fléchies, ramenées contre la poitrine. Nous étions calées. Je vis l'occasion d'avoir enfin LA discussion. Leo. Billie. Billie. Leo. Eli. Qui?

Et je lançai:

- Dis moi... C'était sympa que Leo se joigne à nous ce weekend... Non?

- Oh oui! s'exclama Billie. Il s'entend bien avec tout le monde... Tu as vu?!

- Hum hum...

- Il fait un peu partie de la bande maintenant. C'est bien. Ça rééquilibre. Trois filles. Trois garçons, déclara-t-elle, comme si elle y avait déjà pensé depuis des semaines

- Mais... On était déjà trois filles et trois garçons...

- Quoi?

Visiblement, elle ne comprenait pas...

- Bah Charlie!!! C'est pas parce qu'il est en voyage en Europe qu'il faut l'oublier!!! grondai-je

- ELI! Je sais... Mais c'est pas exactement pareil...

- Mouai...

Dring Dring

- Tiens, quand on parle du loup! précisai-je en collant mon iPhone sous le nez de Billie pour lui montrer la bouille de Charlie qui s'affichait... Et, même des années plus tard, nous pouffions comme des baleines.

J'avais pris Charlie en photo à son insu, un été, dans la maison des Hamptons, alors qu'il s'était endormi dans le transat', au bord de la piscine. Casquette descendue jusqu'au nez. Bouche ouverte. Coup de soleil. Un vrai petit bijou.

- J'peux répondre? me demanda Billie, comme une enfant devant un stand de bonbons

- Oui... Tiens... dis-je, lui tendant le téléphone

- MERCI!

- ...

- Salut Charlie! hurla-t-elle à peine avait-elle décroché

J'en profitai pour commander un deuxième café au lait et une part de cake à l'huile d'olive... Hummm. Comme ça m'avait manqué! Pendant un moment, Jamie avait l'habitude de nous voir débarquer dans son café régulièrement. Billie et moi avions nommé Abraço comme notre QG des rituels petit déjeuner. C'était l'été dernier. Puis, l'hiver était arrivé et nous avions préféré rester au chaud à la maison plutôt que d'affronter le froid, même pour un excellent espresso. Car il est vrai que Jamie faisait le meilleur café du quartier, un vrai européen, pas un jus de chaussette américain. Abraço portait bien son nom : Espresso Bar. Un délice.

Après un rapide débrief sur les potins du quartier avec mon vieil ami Jamie, je ressortis au soleil et Billie, qui était en train de faire les cent pas sur le trottoir d'en face, se dirigea vers moi et me tendit le téléphone...

- Allo Charlie?

- Bonjour ma chérie. Comment vas-tu?

- Très bien et toi?

- Tout va... bien, dit-il, légèrement hésitant. Tiens! enchaina-t-il. J'ai pensé à toi hier car on m'a parlé de ce photographe, qui se fait appeler le Selby (2), me semble-t-il...

- Ah oui! Le Selby! Il prend des clichés d'artistes, musiciens, cuisiniers, mannequins... Chez eux. Dans leur intimité. J'aime beaucoup son travail.

- C'est ça. J'étais sûr que tu l'aimerais...

- Mais oui! Et d'ailleurs, je l'ai rencontré! dis-je fièrement. J'étais à son vernissage. C'était l'an dernier je crois!

Oui. C'était l'an dernier. J'étais à Paris. Maxime et moi avions été invitées au vernissage du Selby, chez Colette. Tout le gratin était là. Beigbeder. Pierre Hermé... À l'occasion de la sortie de son premier livre, Colette avait organisé ce vernissage et l'artiste était là pour signer des dédicaces... Et moi. J'avais eu la meilleure...

J'étais en plein explication quand Billie me fit signe qu'elle devait y aller. Pointant sa montre, mimant le retard et m'indiquant qu'elle m'appelerait plus tard. J'interrompis instinctivement mon monologue et elle posa un bisou sur ma joue et s'éloigna, avant même que j'eus le temps de répondre quoique se soit. Je voyais mon occasion de lui parler de Leo s'envoler en fumée, une nouvelle fois. Bon...

Je continuai donc à raconter à Charlie, mon heure de gloire parisienne et lui promis de lui envoyer une photo de mon trophée. Charlie, quant à lui, me raconta son diner avec Louis et Maxime, la veille, dans ce petit restaurant de Montmartre que Maxime et moi avions découvert, en février...

- J'en reviens pas! Oh je suis trop jalouse! Vous avez été diner au Petit Parisien (3) hier soir?

- Oui! répondit Charlie, réjoui

- Et alors? C'était top? Je suis sure que tu as adoré!?

- C'était délicieux ma chérie. Je dois reconnaitre que tu as toujours des bonnes adresses.

- Oh! Celle-ci était une adresse de Maxime à l'origine, avouai-je, n'essayant même pas de lui voler la vedette. Et d'ailleurs comment va-t-elle?

Et Charlie me raconta que Maxime était comme moi, passionnée par ses nombreux projets. Qu'elle avancait doucement sur son livre et ne souhaitait pas trop en parler. "Pas encore..." disait-elle. "J'ai besoin de me sentir en harmonie avec mes écrits..." Moi, je restais convaincue que cette nana était une graine de talent et, au fond de moi, je cultivais toujours ce rêve, ce pacte tacite que nous avions fait, des années auparavant, d'écrire un jour un livre ensemble et de le publier. Je croyais en elle. Bon, un peu moins en moi. Mais c'était toute ma modestie qui ressortait. Dans le fond, je croyais en moi aussi. Mais oui...

Puis, Charlie me parla de Louis. Et me confia même avoir rencontré une certaine chérie. Là, je bondis! Comment pouvais-je ne pas être au courant de l'existence de cette potentielle chérie dans la vie de mon frère. J'étais folle. Je notais dans ma tête : "Appeler Louis de toute urgence!!!"

Billie m'avait abandonnée, seule, sur mon banc, où, bien installée, je me faisais griller par les rayons du soleil. Et, alors que nous entamions la quarante cinquième minutes de communication, je reçus un double appel... JACK!

- Euh... Charlie... J'ai Jack sur l'autre ligne. Tu quittes pas?

- Oh ma chérie. Ne t'en fais pas. Je te laisse. Je dois y aller... J'ai... rendez vous... avec... euh... euh... J'ai rendez-vous avec Friedrich, finit-il par lacher, dans un soupir de soulagement

- QUOI????? hurlai-je. Et tu ne me dis rien???? Charlie? C'est vrai? Mais raconte... Comment se fait-il? Tu es content? Mais où ça? À quelle heure? Pourquoi? enchainai-je, le coeur battant

- Eh bien... C'est pour ça que je t'appelai... Je pense... J'avais besoin de parler avant d'y aller... J'ai... un peu peur, m'avoua-t-il, la voix tremblante

UN PEU PEUR. UN PEU PEUR. MAIS EVIDÉMMENT!

Charlie n'avait pas revu son fils depuis des années. Ce dernier vivait à Vienne, non loin de sa mère, l'ex-femme de mon ami. Charlie savait que Friedrich était marié. Mais il n'avait même jamais rencontré sa femme. Friedrich était fachée. Friedrich était blessé. Friedrich était rancunier. Et il ne voulait plus parler à son père. Il n'arrivait pas à lui pardonner son absence, son indifférence... toute sa jeunesse. Les compétitions de natation manquées. Les remises de médailles, de diplômes. Les fêtes d'anniversaire oubliées. Charlie était toujours en voyage d'affaire. Toujours au téléphone, toujours en réunion... Et le peu de temps qu'il passait avec sa famille, c'était le nez collé dans son journal. Charlie était un grand homme d'affaire. Il avait construit un empire mais cela lui avait valu de détruire sa famille...

Charlie m'expliqua rapidement qu'à son arrivée à Paris, une semaine auparavant, il avait appris par un ancien ami, toujours en contact avec son ex-femme, que Friedrich envisageait de venir s'installer à Paris et était à ce moment-là en déplacement pour visiter des appartements. Voyant là une occasion inespérée, Charlie avait réussi à se procurer son numéro de téléphone et l'adresse de son hôtel. Il avait, dans un premier temps, laissé un message sur le répondeur. Puis un autre. Il avait insisté. Mais rien. Alors, il avait attendu. Des heures dans le hall de l'hôtel. Enchainant les verres de Bourbon. S'interdisant de regarder sa montre. Retenant son souffle à chaque nouvelle apparition. Empêchant son genou de trembler... Il avait attendu... Attendu... Un jour entier. Puis un autre. Jusqu'à ce soir là, où, il avait vu arriver, dans la lumière de fin de journée, un jeune homme, grand et fort, d'une élégance absolue dans son trois pièces beige. À son bras, une femme au visage doux, et aux gestes tendres... Hypnotisé, il s'était levé et ses pas l'avaient machinalement conduit vers son fils. Ce fils perdu. Celui pour qui, aujourd'hui, il aurait tout donné...

Friedrich s'était arrêté net. Et l'avait dévisagé. Charlie s'était senti si petit. Si faible. Si impuissant. Dans les yeux de son fils, il lut la peine et la douleur mêlée à la colère et la racune. Puis, toujours dans le silence, il aperçut la main de sa femme presser son bras tremblant, signe de soutien, d'apaisement et d'encouragement. Elle lui rappelait qu'elle était là, à ses côtés. Car même si elle n'avait jamais rencontré Charlie. Elle sut. Tout de suite. Elle sut qui il était.

Friedrich avait fini par baisser la tête et, sans un mot, l'avait contourné pour continuer son chemin et se diriger vers l'ascenseur. Sans se retourner. Charlie était désemparé. Il avait ouvert la bouche et lever le bras. Comme pour le retenir. Mais aucun son n'était sorti. Sans force. Ça ne sort pas. Son regard avait croisé celui de celle qui, aujourd'hui, partageait sa vie. Et il crut lire un message dans ses yeux emplis de douceur. Un message d'espoir, alors que les portes de l'ascenseur se refermaient... Alors, il était retourné dans son fauteuil et avait continué à boire son Bourbon, le regard dans le vague et le coeur en savon. Et, quelques longues minutes plus tard, elle était réapparue, la femme ange, seul lien avec son fils... Elle s'était assise, à côté de lui, et elle avait juste dit:

- Friedrich souhaite vous voir... Lundi 5 avril, à la même heure. Ici. Au bar de l'hôtel.

Puis, posant une main délicate et rassurante sur la sienne...

- Il lui faut du temps. Mais il vous pardonnera... Il le veut, dans le fond... Il vous aime M.Sigler...

***

Je marchai en direction de la maison et je n'en revenai toujours pas. Mon coeur battait à tout rompre. J'avais certainement autant d'appréhension que Charlie à l'idée de cette entrevue. Il avait attendu ce moment depuis si longtemps. Je me surpris à joindre les mains en regardant vers le ciel. Et à adresser une prière. Moi qui n'était pourtant d'aucune religion, j'avais parfois ce reflex. Mon Dieu était le ciel. Il fallait croire...

Je réalisai que, dans toute cette histoire, j'avais complètement oublié l'appel de Jack. Je sortis mon téléphone de ma poche. Un message...

" Hey bird. C'est moi. Je me disais que... Tu sais. J'ai acheté cette carte de membre pour le MoMA. Tu sais. Pour Tim Burton... L'autre jour. Et bien autant en profiter! Qu'en dis-tu? Oui parce que j'ai accès au musée... Maintenant. Bref. Picasso! Ça te branche? Rappelle moi. Si tu veux... Et on pourrait aller jeter un oeil... Bon bah... Appelle moi... Euh... Je pensais y aller aujourd'hui. Évidemment. Je sais pas ce que tu fais mais... Appelle moi."

Je raccrochai. Le sourire aux lèvres. "Il y avait vraiment des gens qui ne savaient pas laisser de message..." pensai-je, en ricanant. Et Jack en faisait clairement partie. Et ça avait toujours été...

Étant grande fan de Picasso, l'idée m'emballait. Je le rappelai et lui proposai de me retrouver à la maison... Mais avant, j'envoyais la dédicace du Selby pour Bird... Histoire de changer les idées de mon pauvre Charlie, en attendant le rendez-vous le plus important de sa vie....

S2e25 : CAKE OLIVE MOCHA GLACÉ & OCCASION MANQUÉE

(1) Café Abraço, 86 East 7th Street, New York, NY 10003, (212) 388-9731, www.abraconyc.com

(2) The Selby, photographe, www.theselby.com

(3) Le Petit Parisien, 28 rue Tholozé, 75018 Paris, +33 1 4254-2421


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