S2e26 : BIRD SAUVE THE BIRD

Publié le 07 avril 2010 par Elinorbird

- BIRD? Mais qu'est-ce que tu fabriques? m'interrogea Jack qui venait de me rejoindre dans le jardin de mon immeuble. Tu ramasses les pétales tombés du magnolia? plaisanta-il alors que j'étais courbée en deux, le nez dans la terre.

- Mais non! Chut. Regarde...

Je pointai mon doigt vers la clôture et lui montrai l'oiseau qui, apeuré, était recroquevillé entre le grillage et la palissade de la propriété d'à côté...

- Il est coincé et ça va faire une demi-heure que j'essaie de le faire sortir... me lamentai-je, désemparée

- Mais laisse le, proposa Jack. Il va bien finir par s'en sortir tout seul.

- Mais non! Regarde! Il est coincé coincé! pleurai-je

Il y avait un minuscule espace entre les deux, à peine la place pour l'oiseau de se retourner. Du sol au sommet. Pas un espoir de s'échapper. Le pauvre n'arrivait pas à voler, bloqué par les branchages du lierre, torsadé entre les barbelés. Comment avait-il réussi à se fourrer dans un tel guêpier??! Il était hors de question pour moi d'abandonner.

- Je ne m'appelle pas Bird pour rien! déclarai-je, brandissant mon bâton

- Bon, se résigna Jack, voyant qu'il avait plutôt intérêt à m'aider que d'essayer de me convaincre de renoncer. Donne-moi ton bâton, ordonna-t-il

Et le voilà qui, dans un geste expert, tentait de pousser l'oiseau par le derrière. "Fais attention! Ssssss... Attention! Tu vas lui faire mal! Sssssss..." Le pauvre oiseau, paniqué, se débattait dans tous les sens, coinçant ses ailes dans le grillage, puis entre les branches... " Son aile! Son aaiillle!!! Sa patte! Jack!!!!! Ssssss... NON. Laisse. Laisse moi faire. Laisse j'te dis!!"

- BIRD! rétorqua-t-il, perdant patience.

- Mais... Laisse moi t'aider... Tu vas le blesser. T'y vas comme une brute.

- Mais non j'y vais pas comme une brute. Mais faut lui pousser les fesses, pour qu'il passe dans les trous du grillage. Il comprend pas tout seul alors il faut lui montrer.

- Oui mais faut d'abord lui refermer les ailes...

- Bon. Vas-y alors. Approche toi et essaie, plia-t-il. Moi je continue à pousser avec le bâton.

Je m'approchai et entreprit de lui rabattre les ailes contre son petit corps fragile. En posant ma main sur lui, je sentis son coeur battre à tout rompre. Le battement résonna en moi comme un métronome et je me rendis compte que mon coeur aussi frappait avec force. Ma main tremblait légèrement. J'avais si peur de le blesser. Je chuchautai. Tentant de le calmer.

Une aile. Une deuxième. Son corp se faufilait un peu plus. J'attrapai une patte puis l'autre et, tirant avec douceur, sans trop le compresser, je réussis à le faire passer dans le trou du barbelé. À peine l'oiseau sentit-il qu'il pouvait à nouveau déployer ses ailes qu'il s'envola, sous nos yeux émerveillés!

Il était magnifique!! MA-GNI-FI-QUE! Plumage bleu dégradé. Ventre gris blanc. Collier noir. Huppe courte. Ailes et queue parsemées de points blancs... Il alla se poser au dessus de nous, sur une branche du magnolia.

- Regarde! En plus, il est magnifique! déclarai-je, la larme à l'oeil

- Cest un Blue Jay, m'informa jack

- Un quoi?

- Un Blue Jay, répéta-t-il

- Mais nous n'avons pas ces oiseaux en Europe!

- Sûrement que si!

- Bah tu en as déjà vu à Londres??? le défiai-je

- Euh... Non... Je ne crois pas mais...

- BON, concluai-je. Tu vois. On n'en a pas.

Nous restâmes un instant, à l'observer. Lui, nous épiait aussi. De son perchoir. Comme s'il voulait nous remercier. Jack me sourit. Je voyais bien que dans le fond, lui aussi était drôlement content d'avoir sauvé la vie de notre ami. Il me prit par la taille et dit: "Picasso?"

***

Une approche narrative de la gravure par Picasso. Je sortis mon carnet de note et, discrètement, mon appareil photo (2). Jack partit devant, comme chaque fois que nous faisions des expos ensemble. Nous nous séparions. Nous avions cet accord tacite qui consistait à garder le silence et à se retrouver à la sortie. Pour nous, c'était comme au cinéma. Tu ne faisais pas des commentaires tout au long du film. Eh bien une expo c'était pareil. Jack et moi aimions rester chacun dans notre bulle. Prendre le temps d'admirer cette oeuvre plutôt qu'une autre, chacun à son rythme. Et nous échangions nos impressions, une fois sortis. Tout le monde ne comprenait pas forcément cette façon de procéder, mais entre Jack et moi, il n'y avait même pas eu besoin de s'accorder, nous étions d'emblée sur la même longueur d'onde...

Je lisais:

"He called this manner of working his own way of writing fiction"

J'adorai l'idée. Picasso racontait des histoires. Lui aussi. Pas avec les mots. Mais avec les traits, les lignes, les courbes, les tracés...

Dans ce portrait de Marie-Thérèse, devant moi, un enchevêtrement de courbes et de spirales qui formaient un visage... Celui de cette femme... Une des nombreuses femmes qu'il avait aimé.

Marie-Thérèse, 1933

click

Je continuai... Leonie. Dora Maar. Fraçoise Gilot... Les femmes de sa vie... Chaque fois qu'il s'engageait auprès d'une nouvelle femme, il observait ses traits dans son vocabulaire artistique.

Dora Maar était connue pour son tempérament lunatique. Il avait rencontré cette photographe surréaliste en 1935 et était resté amoureux d'elle jusqu'en 1940. Il l'appelait sa "weeping woman"...

Portrait of Dora Maar with chignon, 1936

click

Puis la française Françoise Gillot avec laquelle il avait eu deux enfants. Ici, dans cette série, on observe l'évolution du dessin...

Françoise with long neck, 1946

click

Picasso montre à travers ses gravures, l'évolution artistique, la narration. L'oeuvre qui est représentée est le résultat d'un long procédé, d'une méthode, d'une multitude d'idées. L'histoire commence avec cette ligne, ce trait et se poursuit. Ajoutant une courbe, puis une autre... Un autre trait. De la couleur peut être...

Picasso déplorait le fait que sur la toile, cette fameuse évolution disparaisse sous des couches et des couches de peinture. Ce qu'il aimait à montrer c'est le travail, le processus, son art de donner vie au dessin, aux traits, aux personnages...

La série des taureaux représente ce genre d'expérience en litopgraphie que Picasso entreprend notamment au Mourlot Print Workshop de Paris, après la Seconde Guerre Mondiale.

Bull - 1945

click

Dans la dernière salle, je prenais les dernières notes et levai la tête pour tenter d'apercevoir Jack mais il avait disparu. Je sentis alors une présence derrière moi. Et son souffle dans mon cou... Son rire dans mon oreille...

"On y va?"

***

Nous nous apprêtions à partir, et aller profiter de cette belle journée ensoleillée quand nous tombâmes à nouveau sur Marina Abramović (3), statufiée.

- Tu te souviens? Sunny faisait la statue pour l'imiter, l'autre jour, quand nous sommes venus voir Tim Burton avec Charlie, me rappela Jack

- Oui je me souviens, dis-je, pensive, comme captivée par le calme qui régnait autour de ses deux femmes qui se faisaient face, en silence

- Bird?

- Attends une minute.

Je m'approchai. La dernière fois, notre but étant de dégoter des tickets pour pénétrer le monde fabuleux de Tim Burton, je n'avais pas prêté une grande attention à cette performance. Mais aujourd'hui, j'étais sacrément intriguée. Je m'approchai d'un des employés du musée, en charge de la sécurité et l'interrogeai.

Il me confirma que Marina passait bien ses journées entières, de 10.30AM à 5.30PM, horaires d'ouverture et de fermeture du MoMA, six jours sur sept, sans interruption, assise sur cette chaise, immobile, le regard fixe. Et ce, depuis le 14 mars et jusqu'au 31 mai! "QUOI?" m'exclamai-je. De la folie pure et dure. "Et la nana en face? C'est qui?" demandai-je, de plus en plus fascinée...

- Ça pourrait être vous, me confia-t-il

- Pardon?

- Vous voyez la ligne là-bas. Les gens assis le long du carré, à l'entrée. Par terre.

- Euh oui...

- Eh bien ces gens font la queue pour prendre le relai. Et ce sont des visiteurs. Comme vous. Comme votre ami, continua-t-il, en dévisageant Jack, qui venait de s'approcher

- Allons bon. Si je veux, je peux faire partie de l'oeuvre

- Absolument. D'autant plus que c'est filmé. Vous voyez, dit-il en pointant du doigt la caméra

- Mais tu en es bien incapable, intervint Jack en ricanant

- QUOI? Mais comment ça? m'offusquai-je

Ça voulait dire quoi exactement ce genre d'affirmation désagréable. Non mais!

- Tu es bien trop impatiente. Tu as le feu aux fesses Bird. Tu tiendrais cinq minutes.

- Allons bon. Parce que tu crois que toi tu pourrais peut être??? m'énervai-je

- Ah oui, affirma-t-il. Moi je suis calme et patient.

- Ah vraiment?

- Mais enfin Bird... On le sait. C'est pas grave. C'est dans ton tempérament. C'est ainsi. Pas de quoi en faire un fromage.

- Mais je ne suis pas du tout d'accord! Je suis tout à fait capable de me contenir et de me maitriser quand il le faut!

Il commençait sérieusement à me chauffer. On avait passé une bonne journée jusque là mais c'était en train de tourner au vinaigre. Il avait le don de me frustrer. Parfois.

- Bon et bien dans ce cas, allons nous asseoir et faisons le, me défia-t-il

- QUOI?

- Bah oui. Allons tester nos capacités à méditer toute une journée. Car c'est bien de cela dont il s'agit. C'est une forme de méditation, d'introspection... expliqua-t-il sous le regard amusé de l'employé du MoMa qui semblait apprécier être aux premières loges de notre querelle.

- Euh...

- Allez. Viens, conclua Jack

J'hésitai un instant, sentant le piège se refermer sur moi comme sur un naif appât. Puis, ne voyant pas d'autre issue, je levai la main pour sceller le pacte et dis:

- DEAL!

- DEAL.

Et nous allions nous installer...

(2) Retrouve tout l'album photo de l'exposition Picasso sur la facebook fan page d'Elinor Bird et deviens membre de la elicommunity: www.facebook.com

(3) Marina Abramović au MoMA, www.moma.org