Magazine Humeur

Polémique : revue de presse à contre-courant

Publié le 09 avril 2010 par Hermas

Lu sur le site internet du Journal Le Monde (08/04/2010)

Interview de M. Philip Jenkins, professeur à l'université de Pennsylvanie (Etats-Unis), est spécialiste de l'histoire des religions et auteur de Pedophiles and Priests. Anatomy of a Contemporary Crisis (Oxford University Press, 2001).

Dispose-t-on de statistiques sur la prévalence de la pédophilie au sein du clergé catholique ?

La meilleure étude sur le sujet est probablement celle du John Jay College of Criminal Justice de New York, publiée en 2004, qui examine toutes les plaintes pour abus sexuel déposées contre le clergé américain entre 1950 et 2002. Elle montre qu'environ 4,5 % de tous les prêtres américains (environ 100 000 hommes sont en activité sur cette période) ont été accusés d'au moins un acte sexuel répréhensible perpétré contre un mineur (en dessous de 18 ans).

Cela dit, ce chiffre surestime probablement la réalité. Même si certains cas n'ont jamais été portés à la connaissance des autorités judiciaires, ce total englobe un grand nombre de cas basés sur des accusations faibles. Pour une grande partie de ceux-ci, les charges ont été abandonnées. En outre, sur les 4 392 prêtres accusés, près de 56 % ne l'ont été que pour un seul acte.

Comment expliquer le nombre de plaintes si le nombre de prêtres pédophiles est si limité ?

Si l'on se penche sur l'étude, on constate qu'un tout petit nombre de prêtres concentre l'essentiel des accusations. Ces "agresseurs compulsifs" sont parfois à l'origine de plusieurs centaines de plaintes chacun. Un groupe réduit de 149 prêtres rassemble à lui seul un quart des accusations sur un demi-siècle. Le comportement de ces "super-prédateurs" explique un autre résultat remarquable de cette étude : la surreprésentation des très jeunes enfants au sein de la cohorte des victimes.

Nous arrivons donc à un total de 200 enfants agressés par an, sur toute la période de l'étude, avec une Eglise qui compte entre 45 et 55 millions de membres, et environ 50 000 prêtres en activité par an.

Quant à savoir si ce chiffre est bas ou élevé, nous n'en avons aucune idée. Aucune étude portant sur un autre groupe religieux, ou sur d'autres institutions en relation avec des enfants n'ayant été menée avec la même ampleur et le même niveau de détail. Je sais juste que certaines études montrent un taux d'abus supérieur dans les écoles laïques, mais les preuves scientifiques ne sont pas assez consistantes.

Quelle a été la réponse de l'Eglise à ces scandales ? Comment a-t-elle évolué ?

La définition et la perception de la pédophilie ont considérablement changé dans le monde occidental au cours du XXe siècle, ce qui a certainement entraîné une modification de la prévalence de ce type d'abus dans les statistiques judiciaires. Cette évolution a également conditionné la réponse de l'Eglise aux scandales.

Depuis quelques années, nous assistons à une véritable révolution culturelle : à l'heure actuelle, la pédophilie est considérée par les autorités médicales et les médias comme un comportement extrêmement destructeur, et donne lieu à un traitement particulièrement sévère. Mais cette attitude est relativement récente. Des années 50 aux années 70, la perception de la pédophilie était fort différente.

Pourquoi ce revirement ?

Dans les années 40 et 50, la mise au jour de plusieurs scandales a provoqué un vent de panique qui a suscité la mise au pilori, à tort, d'un grand nombre de comportements, y compris l'homosexualité. A la fin des années 50, l'opinion a pris conscience de ses excès et proposé de nouvelles interprétations bien plus laxistes, qui sont restées en vigueur jusqu'au milieu des années 70.

Cette attitude relativement "décontractée" a culminé à la fin des années 60, lorsque les criminologistes et psychiatres ont réclamé la dépénalisation d'un certain nombre d'actes, la réduction des peines et un assouplissement des traitements pour les agresseurs. Au même moment fleurissait aux Etats-Unis la pornographie mettant en scène des enfants, librement accessible dans les boutiques pour adultes entre 1972 et 1977.

Ce relâchement tient en partie au déclassement de l'homosexualité comme maladie mentale en 1973. Si l'on sait aujourd'hui qu'il n'existe pas de lien entre l'homosexualité et la pédophilie, à l'époque cette relation était considérée comme évidente.

L'attitude de l'Eglise catholique s'inscrirait donc dans un mouvement culturel et social de fond ?

En grande partie, oui. La réponse de l'Eglise aux abus sexuels commis en son sein s'inscrit largement dans le contexte législatif, politique et moral de l'époque, et évolue en fonction entre 1950 et aujourd'hui. Dans les années 60 et 70, l'Eglise a cru pouvoir traiter le problème en déplaçant les prêtres et en les incitant à se soigner.

Depuis le début des années 90, on assiste en revanche à un développement de procédures à grande échelle pour prévenir la pédophilie et répondre de façon efficace aux plaintes. Depuis 2002, l'Eglise catholique américaine a adopté une attitude de "tolérance zéro" qui prévoit la suspension immédiate de tout religieux soupçonné d'abus. Par ailleurs, la médiatisation des affaires de pédophilie, culminante aux Etats-Unis vers 2002-2003, a largement incité les autorités catholiques à prendre des mesures radicales."

Propos recueillis par Audrey Fournier

Lu sur le site du Journal France Soir

“Certains médias ont été plus indulgents avec Polanski et Frédéric Mitterrand !”

Propos recueillis par Philippe Cohen-Grillet 03/04/10 à 16h55 "Denis Tillinac, écrivain, éditeur et « esprit libre », apporte un soutien vigoureux à Benoît XVI.

France-Soir. Secouée par des scandales de pédophilie, l’Eglise catholique traverse une crise. Celle-ci peut-elle déboucher, selon vous, sur une profonde « crise de foi » des fidèles ?
Denis Tillinac.
Je ne le crois pas. L’Eglise connaît un malaise ponctuel. En vingt siècles, elle a connu des périodes plus troublées ! Mais aujourd’hui elle est une religion solide, la première au monde avec plus d’un milliard et cent millions de fidèles.

F.-S. Vous stigmatisez les « raccourcis médiatiques ». Croyez-vous à une cabale dirigée contre Benoît XVI ?
D. T.
Oui, je crois que l’on s’en prend à ce pape parce qu’il est un intellectuel et parce qu’il avance une analyse critique et radicale de la modernité. De BHL à Onfray en passant par Finkielkraut, aucun n’y résiste. Benoît XVI est le seul vrai rebelle de la modernité. C’est cela que l’on tente de lui faire payer. Et en particulier un certain système médiatique qui a trouvé toutes les indulgences à Roman Polanski, qui a été condamné pour pédophilie, ou à Frédéric Mitterrand, qui en a fait l’apologie dans un livre. Il y a enfin, et particulièrement en France, un vieil anticléricalisme qui ne demande qu’à prospérer sur de telles polémiques.

F.-S. Le débat sur le célibat des prêtres resurgit à la faveur de cette polémique. Est-ce hors sujet ?
D. T.
Il n’est pas nouveau. Le célibat des prêtres a été débattu après Saint-Augustin, à la Renaissance, au XIXe siècle ou lors de Vatican II. Il s’agit d’un débat disciplinaire et non dogmatique. Si cela peut détendre l’atmosphère et apaiser les crispations, pourquoi pas ? Mais le mariage des prêtres ne changera rien à la crise des vocations."


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