Magazine Journal intime

Ponto final (2)

Publié le 10 avril 2010 par Alainlecomte

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Il eut beau appuyer sur le bouton plusieurs fois, il ne se passa rien… Il était seul à la base de cette tour où tout exprimait l’abandon, vitres cassés, graffitis, ambiance d’usine délaissée. Lucas ressortit de son abri, prêt à revenir en arrière même s’il fallait affronter la bourrasque. Une femme, une touriste probablement, vint prendre sa place à l’intérieur de la petite salle d’attente. D’instinct en voyant Lucas, elle avait serré son sac à main contre elle. Elle et lui n’eurent aucun échange. Lucas était prêt de s’éloigner quand il vit au travers d’une vitre le visage d’un vieil homme qui lui faisait signe, la casquette vissée sur le crâne, les lunettes mouillées d’embruns. Lucas se rapprocha, il comprit que le vieil homme lui demandait si c’était bien lui qui avait appelé. Sans réfléchir, Lucas fit « oui ».

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Son interlocuteur eut l’air rasséréné et lui montra l’intérieur de la cabine de l’ascenseur, maintenant ouverte. C’était une cabine dont les deux-tiers étaient fermés par des vitres donnant sur l’extérieur, de telle sorte que durant l’ascension, le passager pouvait voir le paysage se transformer, le fleuve s’éloigner lentement, à la vitesse peut-être d’une montgolfière s’élevant dans les airs. Mais à la différence d’une montgolfière, la cabine en montant émettait des grincements, des sifflements, des soupirs de fatigue. L’homme lui fit payer cinquante centimes et en échange de sa monnaie, il reçut un ticket grand comme une demi-feuille A4, ornée d’un dessin où l’on pouvait voir la tour élancée se détacher sur un ciel bleu, aux côtés du pont. Du pont qui continuer de mugir au loin, et qu’on entendait malgré les bruits de l’ascenseur.

Lucas eut l’impression d’être aspiré vers le ciel. L’ascension durait. Il lui sembla qu’à partir d’un moment, on avait depuis longtemps dépassé le niveau de falaise où la cabine aurait du s’arrêter et que celle-ci continuait sa course ascensionnelle dans une nuit bleutée. Des étoiles tombaient sur les épaules de Lucas comme les étincelles d’un fer à souder. En s’assoupissant, Lucas se dit qu’il avait eu raison tout à l’heure de penser qu’en ce point serait la fin de sa promenade.

Mais ce n’était qu’un étourdissement. L’ascenseur enfin stoppa. La porte s’ouvrit sur un paysage clair et rose, baigné d’un soleil plutôt pâle. Une longue passerelle joignait la sortie de la cabine aux premières marches d’escalier qui menaient à un village paisible, si ce n’est que le grondement s’était encore amplifié depuis tout à l’heure.

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Lucas s’aventura dans les ruelles blanches sans remarquer que le vieux gardien d’ascenseur empruntait le même chemin, à quelques pas derrière lui. Le village semblait complètement inhabité, comme si un cataclysme l’avait vidé. Lucas eut un frisson quand il entendit comme des bruits de pleurs, qui venaient du porche de l’église. En s’approchant il vit trois femmes d’âges différents, pelotonnées les unes contre les autres dans l’encoignure du portail. Interdit, il allait leur adresser la parole (mais en quelle langue ?) quand il sentit la présence du petit vieux juste derrière lui. Le petit vieux hochait la tête d’un air triste. Lucas comprit le mot « terremotto ». Ces femmes pleuraient qui son mari, qui son père, qui son amant. Lucas n’avait pourtant pas entendu parler de tremblement de terre ces derniers temps en cet endroit. Pourtant il se dit que le grondement qu’il entendait était quand même bien anormal. Il eut peur et se sauva à toutes jambes dans la rue qui s’élargissait au-delà du sommet du village, redescendant vers une vallée. Il lui semblait qu’en effet le sol tremblait sous ses pas. il n’arrivait pas à comprendre comment il pouvait y avoir certains signes de séisme sans que le sol ne s’ouvrît entièrement ni que les édifices ne s’effondrassent.

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C’était comme si un très vieux tremblement de terre n’avait jamais réussi à quitter complètement les lieux, et qu’il rôdait, comme un fantôme, au-dessus des berges du Tage.

La rue qu’il avait prise s’élargissait de plus en plus et devenait une véritable avenue bordée d’immeubles modernes. Au bas de l’avenue, des tramways circulaient. Il fut soulagé de se faire emmener très loin, en une seule traite, vers sa rive de départ.


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