Je le sais, tu as des cris plein la tête et des sanglots plein la gorge. Tu as des mots coincés qui font mal. Tu as des démons qui hurlent et du noir en-dedans. Tu as la rage au ventre, tu as la rage au coeur, c'est la rage qui te tient. Tu as la colère. Tu as la fureur de la honte et l'amertume du dégoût, tu as la déception du temps gâché à y croire.
Tu as ces souvenirs derrière : ces souvenirs, ne t'y accroche plus. Tu as ce vide du présent, cette solitude de tous les instants, tu as cette page blanche de l'avenir. Pas de projet. Rien. Ni personne.
Tu as des monstres qui te poursuivent. Des peurs plein la mémoire. Des rancoeurs aussi. Déchire tout ce gâchis, tout ce mensonge, toute cette merde, tout ce médiocre. Déchire tout. Hais-toi de t'être voilé la face, haïs-toi d'avoir nié, aussi longtemps, l'évidence. Hais-toi de ne pas oser le dire, à tes parents, à tes amis. Ne pas avouer l'échec. Ne pas oser la vérité.
Stupide. Stupide d'y avoir cru, d'avoir accepté l'innacceptable. Conne, réveille-toi et regarde. Tu étais seule dans le rêve. C'était ton rêve. Tu étais seule. Regarde. Il n'y a personne. Il n'est plus là. Il y a longtemps qu'il n'est plus là. Va, tu le savais, toi aussi. Tu le savais, tu le savais qu'il n'y était plus. Que tu n'avais plus ni son coeur ni sa tête. Que l'habitude vous avait broyés comme elle l'avait fait avec tant d'autres.
C'est inexorable. Regarde, regarde. La fin est là. Il n'y a plus rien que tu puisses faire. Baisse les bras, maintenant, admire votre oeuvre. Ne te contente plus du médiocre. Ne te contente plus de la mélancolie et du silence. Regarde, regarde, regarde toute cette merde.
Allez, regarde. Regarde ce que vous êtes. Regarde ce qu'il reste de vous. Regarde. Ce n'est pas ce que tu voulais. Ce n'est pas ce que vous vouliez. Regarde, regarde ces étrangers qui vivent côte à côte. Regarde, c'est vous. Alors vas-y, maintenant, chiale, chiale, tu n'as plus que ça à faire. Mais regarde, regarde encore. Tu dois regarder ce que tu as fait, ce qu'il a fait, ce que vous êtes devenus. C'est le prix à payer.
Allez, chiale. Que la morve t'enlaidisse, piétine-toi toi-même, déteste-le, raye le ta vie, envoie-le en enfer. Parce qu'il n'y a rien d'autre que tu ne puisses faire, maintenant, que de ruminer ta haine, ton dégoût, ta honte. Tu t'es trahie toi-même et il t'a trahie. Regarde, menteuse que tu es ! Regarde ! Tu es seule. Il n'est plus là.
Allez, accepte-les, ces souvenirs en pleine face. Accepte-les, ces rêves qui ne réaliseront pas. Prends les comme des gifles. Vous ne vivrez pas heureux et n'aurez pas d'enfants ensemble. Ca fait mal, hein ? Oh oui, que ça fait mal... Allez, tends la joue ! L'autre, maintenant ! Tu les vois ces souvenirs ? Tant mieux, parce que c'est tout ce qui te reste. Tout ce qui te restera de lui. Bientôt, tu ne seras plus qu'un souvenir neutre et lointain dans son esprit d'homme insouciant et libre, et bientôt, tu auras oublié jusqu'à l'odeur de sa peau. Alors vas-y, regarde les bien, car bientôt, ils seront incolores. Bientôt, tu auras oublié les rires et les rêves, les baisers et les caresses.
En attendant, oui, ça fait mal. Accepte-le. Et relève la tête. Malgré les larmes et la morve. Tu t'es fait avoir, d'accord. Mais vous êtes tellement à vous faire avoir... Tellement à y croire, naïfs que vous êtes. L'amour n'est qu'un leurre, tu le sais. On reste parce qu'on a vécu, parce qu'on idéalise. On reste par peur d'être seul et parce qu'on est en sécurité. Jusqu'au moment où la sécurité étouffe et où on a envie de voir si l'herbe est plus verte ailleurs. Jusqu'au moment où il y en a un qui ose dire qu'il s'en va.
Allez, accepte. Accepte de ne pas tout réussir du premier coup. Accepte et redresse-toi. Tu n'es pas une victime. Tu vas te relever parce que tu vaux mieux que de rester pleurer seule en regardant de vieilles photos jaunies, en lisant des missives enflammées qui sont d'une autre époque. Va, tu vaux mieux. Regarde et avance. Regarde, souffre, et avance. Avance.