Eloge funèbre de Cendrillon par Monsieur le Ministre de la Culture.
Entre ici Cendrillon, fillette diaphane et meurtrie, au Panthéon des princesses d’opérette et avec toi ton terrible cortège.
Ton âme enfin, s’est rapprochée de celle d’un père, grand coeur, lâche et pervers, qui te persuada qu’il s’était remarié pour t’éviter les affres de la solitude.
Quelle curieuse alchimie que ces prémices de vie où se côtoient belle mère acariâtre engoncée dans des corsets plus blafards que ceux de Jean-Paul Gautier, demi-soeurs frigides sorties des pinceaux de Bruegel, souris diabétiques rendues paranoïaques par la seule présence d’un chat frisant l’overdose de cholestérol, et fées névrosées par la manipulation de citrouilles génétiquement modifiées.
Réalité odieuse que celle de cet enfant esclave de l’ouvrage, de la cave au grenier, à l’image de ces sublimes créatures sorties de la Cité de la Joie.
Cruauté ridicule, de vieilles filles aux prénoms aussi répugnants que des gaz hilarants lachés par les B52 de l’impérialisme américain sur les rizières flamboyantes du Nord-Vietnam : Javotte et Anastasie nourrissent les rancoeurs et attisent les haines.
Et puis surgit du néant la métamorphose de l’intouchable en sacré, qui propulse l’innocence sous les feux de la rampe.
La baguette conduit l’orchestre de la fée. Elle tient donc les clefs de cette partition, qui fait de Cendrillon l’égérie de Lacroix et de Louis Vuitton. Et quand une grenouille devient valet de pied et que le chien se retrouve cocher, elle se met à réver :
” C’est pour ça que je bosse,
pour rouler en carrosse;
On a fait des miracles avec un petit rien;
Si L’Oreal me paie c’est que je le vaux bien.”
Permission de minuit, pour un bonheur fugace : la flagrance l’enivre de ses degrés intenses.
Dernier coup de blush pour un coup de bluff.
Les musiciens attaquent “It’s good to be the King”.
Duchesses et marquises réajustent leurs strings,
Car ce soir au Palais, on veut faire la teuf.
Napoleon attendait Grouchy et se fut Blücher, Charles attendait Camilla et ce fut Diana (quoique), Cendrillon connut le vrai bonheur, jusqu’à cette fatale 59ème minute où l’horloge qui retentit l’expulsa du palais…
Le prince voulait encore danser…
Il veut voir le replay sur l’écran de contrôle, comme un dingue de foot qui doute sur le goal.
Les douze coups sonnèrent le glas de ses illusions : effroyable coitus interuptus avant même les préliminaires. Il ne retint plus son émotion et clamait déjà son dépit amoureux en récitant du Léo Ferré :
“Avec le temps, va, tout s’en va
On oublie le visage et l’on oublie la voix”
Mais un garde attentif lui rendit son espoir :” Chouf Monseigneur, elle a perdu sa babouche, meskina”.
Voilà ce qu’il lui reste, une pantoufle de vair,
Et là bas au palais une autre gît par terre.
Une paire de chaussures,
Des pompes sur mesure,
Que marraine acheta,
A ce Roland Dumas.
Le prince à la cour,
Qu’elle a laissé tomber
Pour sur va la traiter
Comme Deviers Joncour…
Mais c’était sans compter sur un coup de génie. Une annonce passa sur toutes les télés :
“C’est peut-être ton pied, qui va changer ta vie. Les filles du royaume seront toutes castées.”
La suite on la connaît, Javotte Anastasie, enfin éliminées, “Game over” c’est fini…
Cendrillon veut toucher, son Prince et puis son prix, un contrat chez Disney avec les Royalties.
Le ministre est heureux de son si bel éloge.
Il aurait presque aimé se draper dans la toge.
Dans un ultime élan, il l’a porta aux nues
En clamant haut et fort :”L’ai je bien descendue”.