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La dernière croisade

Publié le 16 avril 2010 par Thebadcamels
La dernière croisadeLa vie quotidienne en Occident repose pour une grande part sur quelques pierres angulaires qui rythment notre quotidien.

Et parmi celles-ci on trouve la traditionnelle tasse de café. Poussez une porte, que vous soyez représentant de commerce, facteur, ami(e)s en chemisette ou en talons hauts, vous vous verrez toujours proposer ce « petit noir » symbole d’une certaine courtoisie.
Hier, il était long ou court, équitable parfois, soluble souvent, italien rarement. Il pouvait même se trouver à l’occasion enrichi de quelques particules solides empruntées au joyeux calcaire ornant la cafetière. Qu’il était bon de faire mine de trouver délicieux ce jus de chaussette infâme pour ne pas risquer, en aucun cas, de vexer la maîtresse de maison. Et avec quel plaisir les plus audacieux d’entre nous venaient à tremper dans cet hypothétique breuvage leur petite madeleine…
Au début du XXIeme siècle, le Novpresso (n'étant pas un animal de la ferme, le Bad Camel connaît néanmoins Orwell) a bouleversé radicalement les habitudes arabiquées de nos contemporains. Les vieux engins encombrants et disgracieux qui ornaient les plans de travail de nos mères et grand-mères ont été mis au rebut. On ne se déplace plus près de son domicile pour acheter les fameux filtres et autres boites, héritiers du glorieux moulin de nos ancêtres. Il est désormais beaucoup plus aisé de commander sur la Toile les fameuses doses de couleur « ocre-grenat » ou « magenta impérial des Indes orientales » vendues à un prix prohibitif. Les plus chanceux ou les riches d’entre nous auront même l’honneur de se voir conviés à de grandes dégustations dans des lieux aussi prestigieux qu’un local commercial situé avenue Victor Hugo. Il conviendra alors de savoir se délester avec courtoisie de dizaines de deniers pour avoir la chance de repartir avec une petite réserve des fameuses capsules nécessaires à ce breuvage.
Il ne s’agit pas ici de porter un jugement sur une pratique commerciale d’une firme proche de mes chères montagnes qui s’est vue couronnée de succès. Mais les conséquences sociologiques de la victoire du Novpresso sont ma foi désastreuses.
Désormais, le fait de ne pas posséder la machine permettant la confection du Novpresso conduit à une gêne qu’on cherchera délicatement a masquer en proposant soit un thé (habile), en confessant à voix basse « tu sais, ce n’est pas du Novpresso » (pleutre), en énonçant que la firme est en rupture de stock de capsules (mythomane) voire en ne proposant pas de boisson du tout (grossier). Celui qui ne dispose pas de la fameuse machine se trouve donc dans une impasse, il n’a d’autre choix que de lier son sort à celui de la firme helvétique pour pouvoir espérer un jour effacer toute trace de la honte qu’il a un jour subi.
Etant un objet de grande valeur sentimentale, la machine Novpresso est traitée avec révérence dans nos foyers. Il s’agit de ne pas oublier de la remplir d’eau et surtout de bien l’éteindre après l’avoir utilisée ; en effet, il paraîtrait que la « résistance » à l’origine de ce petit miracle est très délicate. Il est donc de bon ton de tancer vertement tout impudent qui s’abstiendrait de pratiquer ce rite essentiel du catéchisme contemporain. J’ai le souvenir, dans un moment d’égarement, de me faire bien plus réprimander que lorsque je grattais les murs de la chapelle Sixtine avec une fourchette pour rapporter un souvenir de voyage scolaire (6eme F). En somme, le Novpresso est devenu, non un objet culte, mais un véritable objet de culte, qu’il convient de vénérer pour être un bon petit soldat de l’atmosphère socioculturelle contemporaine.
A vos moulins et autres percolateurs mes amis ! Brisons ces chaînes qui nous asservissent depuis bientôt une décennie, qu’il ne soit pas dit que l’antique machine soit tombée sans combattre face au diktat du géant helvétique !
Ainsi, même si le perce capsule Novpresso venait à s’abattre sur nos nuques longues, nous pourrions, comme Danton, monter la tête haute sur l’échafaud et nous écrier « Fais goûter mon café au peuple, il en vaut la peine !».
Une attaque en règle menée tambour battant par le magnanime ABC.

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