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Mythologies modernes: Cristiano Ronaldo

Publié le 22 avril 2010 par Thebadcamels
Mythologies modernes: Cristiano RonaldoSous la plume des Bad Camels, Yann et Roland Barthes s’associent pour vous offrir l’étude d’un mythe moderne majeur : Cristiano Ronaldo
Je crois que le footballeur est aujourd’hui l’équivalent capitaliste assez exact des grands héros de la propagande soviétique : je veux dire une grande création d’époque, conçue passionnément par des médias omniprésents, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique.
Cristiano Ronaldo tombe manifestement du ciel dans la mesure où il se présente d’abord comme un objet superlatif. Il ne faut pas oublier que la machine est le meilleur messager de la surnature: il y a facilement dans la machine, à la fois une perfection, une brillance et pour tout dire un silence qui appartient à l’ordre du merveilleux. «CR9» a tous les caractères (du moins le public les lui prête désormais unanimement) d’un de ces objets descendus d’un autre univers, qui ont alimenté notre science-fiction: « CR9 » est d’abord un nouveau Nautilus, une nouvelle Etoile Noire, un nouvel OVNI.
On sait que le lisse est toujours un attribut de la perfection parce que son contraire trahit une opération technique et tout humaine d’ajustement: la tunique du Christ était sans couture, comme les aéronefs de la science-fiction sont d’un métal sans relais. Cristiano ne présente aucune rugosité, la joue tendre et rasée, le torse bombé et épilé ; l’humain s’efface progressivement derrière une mécanique osseuse et musculaire exceptionnelle, derrière une plastique si travaillée qu’elle en parait irréelle.
Il y a le choix d’un certain aérodynamisme, dans la mesure où il est plus massif, plus tranchant, moins étale que celui d’un Messi peu à notre goût. La vitesse s’exprime ici dans des signes extrêmement agressifs, plus sportifs, comme si elle passait d’une forme classique à une forme héroïque. Cette spiritualisation se lit dans l'importance, le soin et la matière des surfaces. Crèmes de jour, crèmes de nuit, dentier d’équilibre, blanchiment des dents, abdos quotidiens se comptant par milliers, tout est étudié afin d’assurer l’allure du divin. Il s’agit donc presque d’art, et il se peut que CR9 marque une évolution dans la mythologie footballistique. Jusqu’à présent, le footballeur superlatif n’était jamais allé aussi loin dans la logique.
Il semble que le public ait admirablement deviné la nouveauté du footballeur qu’on lui propose: d’abord sensible à la perfection de son jeu - passeur, buteur, dribbleur, toujours décisif - il admire ensuite la construction sans faille du personnage. A la télévision, sur Internet, dans les rues et les stades, la machine CR9 est adulée avec une application intense, amoureuse: le maillot galactique, les cheveux ras sur les tempes et gominés en une nuque longue aérodynamique, le slip Armani affiché sur des immeubles entiers, les bottes Dolce&Gabanna équipées de latexs, la Bugatti Veyron entraperçue sur les avenues madrilènes ou mancuniennes, les images de vélines, wags, top-models ou autres jet-setteuses qui se bousculent à ses bras dans les pages de la presse de bas-étage… c’est la grande phase de la découverte, le moment où le merveilleux visuel va subir l’assaut de l’imagination débordante du public. L’objet est ici totalement prostitué, approprié: descendu du ciel, CR9 est la cible de tous les fantasmes d’un peuple. Plus technique que Pelé, plus médiatisé que Beckham, mieux coiffé que Ginola et mieux payé que les plus grands patrons du CAC, CR9, objet de désir ultime de l’ère du capitalisme, offre à la plèbe ses rêves les plus fous. Lorsqu’il conscend à descendre sur terre et entre dans le stade, il sépare la foule en vagues dissociées ; lorsqu’il presse du bout de son pied magique l’accélérateur de sa Bugatti Veyron, c’est comme un cri de chien-loup qui déchire la nuit madrilène et c’est tout un peuple de femmes qui se met à rêver. Devant l'infini des possibles qui s’ouvrent à lui, miséricordieux, il choisit parfois celles qui n’auraient jamais pu imaginer un jour mettre en branle le moteur du bolide CR9, celles qui ne craignent pas son jeu de piston et son mécanisme à explosion, celles qui seront prêtes à tout pour qu’il se rappelle leur nom après avoir éteint le contact. Son emprise sur le peuple est ainsi totale.
Cristiano Ronaldo, suivant ce mode de vie de la fuite en avant perpétuelle typique de l’ère de la mondialisation néolibérale, représente la logique de son époque poussée à bout: CR9 est un Dieu.

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