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the curious incident of the cat in the garden

Publié le 22 avril 2010 par Kranzler

cats

Je regarde mon Socrate, avachi sur la table, consciencieusement occupé à lécher le bout de sa patte rose tout en se demandant s’il doit continuer sa toilette ou bien s’interrompre pour bouffer la mouche qui vole au dessus de ma tête. Je vois bien à son regard jaune qu’il s’interroge. C’est important, la propreté. Mais une mouche, c’est drôlement bon une mouche bien grasse – et moi, ça me fait plaisir de le voir comme ça. Plaisir de le voir en possession de tous ses moyens, entier, parce que, très franchement, il y a eu un putain de jour où il m’a collé la frousse.
Ça ne serait jamais arrivé à Pluton, mon autre chat qui est la prudence incarnée. Non, c’est tombé sur Socrate parce que Socrate est un peur de rien, et ça lui est arrivé parce que ce soir-là il est tombé sur un salopard que qu’il ne me déplairait pas de foutre en pièces, même trois ans après. Mais je ne sais toujours pas qui c’est, c’est là que ça coince.
A l’époque, j’habitais un quartier tranquille de Nantes, Zola pour ceux qui connaissent. Des petites maisons - la mienne constituée d’un simple rez-de-chaussée - des impasses, des petits murs. Et j’avais un bout de jardin. Mais le fin du fin, c’était la chatière. Ce truc qui permet aux bestioles d’aller et venir à leur guise. En été, par exemple, je ne voyais pratiquement jamais les chats dans la baraque. Ils rentraient juste bouffer la nuit, clac-clac. Même pas bonsoir, clac-clac, et ils étaient déjà repartis jouer aux mammouths sur le toit.
Mais là, c’était novembre. Je me revois : 20 heures, il fait nuit, je viens de fermer la librairie. Je rentre à la maison avec Fauvette, une demi-heure de marche à pied, le véto m’a dit que c’est bon pour son rythme cardiaque.
La première chose que je vois à l’intérieur, ce sont des traces de sang sur le carrelage. Du sang frais qui forme une traînée. La traînée, elle commence où ? Elle vient d’où ? Elle commence juste devant la chatière. Mince, ça veut dire qu’il est arrivé quelque chose à un des chats. Mais il est où ? Et lequel ? C’est Socrate, je le trouve planqué en bas d’un placard, l’ait complètement abattu. Sa patte avant gauche saigne au coude. Pas abondamment mais régulièrement quand même, et ce qui me fait frémir c’est que Fauvette et moi on a failli aller manger au resto avant de rentrer. On a bien fait de pas y aller.
J’appelle le véto, le cabinet est à cinq minutes à pied. Par chance il est peut-être encore là. Bon dieu pourvu qu’il décroche. Il était sur le point de fermer et me dit de rappliquer. J’attrape le petit comme je peux, il se débat, ça pisse le sang de plus belle quand je le fourre dans la cage. Ouf, dans la boîte – et ça m’a tellement foutu les nerfs à vif que ça me donne envie de boire une gorgée !
Tout de suite, je suis rassuré par le véto. Non, il n’a pas perdu trop de sang. Il va s’en tirer. Piqûre d’antibiotique. Puis tranquillisant pour pouvoir recoudre. Il va me le garder la nuit, en observation. Tout ce qu’il peut affirmer, c’est que ce n’est pas une morsure de chien. L’entaille est beaucoup trop nette. En recousant à la loupe, il pense qu’il pourra se faire une idée précise de l’origine de la blessure. Il me suggère de rentrer tranquillement, il me passera un coup de fil demain. Je regarde mon chouchou s’endormir et j’y vais.
Le lendemain, je retrouve mon zouave avec une grande cornette de bonne sœur et la jambe pansée. Il n’a pas l’air plus impressionné que ça. Petit miaulement un peu plaintif, ça doit quand même faire beaucoup pour lui. Des séquelles ? Oui, il y en aura peut-être. Difficile de dire s’il remarchera normalement. La blessure ? Et bien, vue de près, à la loupe, elle semble ne pouvoir avoir été faite que par une lame. Et vu la forme de l’entaille, il a fallu que quelqu’un maintienne la patte immobile pour que la lame tranche et fasse presque le tour de l’articulation.
J’ai eu une petite idée de qui pouvait être assez malade pour avoir ça à l’époque, mais je n’ai jamais eu la certitude. Mon chouchou en tout cas n’a gardé aucune trace. J’ai un peu espéré qu’il devienne plus méfiant, mais en vain. Il garde aujourd’hui la même spontanéité, la même totale absence de trouille des gens, et je l’observe, vautré, incapable de comprendre qu’on s’en soit pris à lui ce soir-là d’une manière aussi dégueulasse.
Ah oui, si vous voulez savoir : finalement, il a bouffé la mouche et puis après il a continué sa toilette. Là, il dort juste à côté du clavier, la tête posé sur le bloc de papier.


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