Mais mon métier, c’est « porte-flingue ». Celui dont je parle de manière évasive lorsque je suis en représentation, et que je tais quand on me demande ce que je fais dans la vie. Et comme je ne ressens ni les joies, ni les peines, j’ignore encore ce que « tu vas le regretter » peut bien vouloir dire. Alors j’exécute des missions stratégiques comme si je préparais un collier de nouilles pour ma mère. Tout est dans le bluff, comme au poker. Sauf que, quand on relève du droit pénal des affaires, ou du pénal tout court, au mieux c’est un strip poker au terme duquel on se retrouve à poil. Au pire, c’est un duel qui se finit à la roulette russe. Et cette semaine, j’ai eu mon quota de bouffées de chaleur. L'étau, l'espace d'un instant, a semblé se resserrer. Ca sonne comme un coup de bluff en guise d’avertissement irréfléchi, compulsif et désarmé. Comme un aveu d'impuissance. Comme quelqu’un qui prétend vouloir foutre une gifle avec une main qui tremble. Puis, une nouvelle imprudence de ma part. Si ce n’est une provocation amusée. Mais on est jamais à l’abri des teigneux, et encore moins de la justice. Alors je suis peut-être un comédien. Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette… Mais j’ai les couilles bien accrochées. Et pas grand-chose à perdre, finalement. Sinon ce qu’il me reste à gagner. Et je ne sais rien faire d’autre. Je devrais m’estimer heureux, on me paie pour jouer ; un jeu d’enfants aux règles édictées par d’intraitables (et irritables ?) adultes à la fréquentation peu recommandable. Jusqu’au jour où… « Si ça tourne mal, on n’existe pas, on est transparent ». En attendant j’angoisse. Ca m’aide à m’endormir, en suçant des Ricola. Sinon je m’emmerde. S’épanouir dans l’adversité c’est déjà bien, quand on ignore la sérénité. « Je suis ce à quoi tout s’oppose. Si je n’existais pas, rien n’existerait, car il n’y aurait rien à quoi s’opposer ». (Pessoa, L’heure du Diable, 1989)
En attendant, pour ceux qui tolèrent mes absences et ignorent respectueusement mes secrets, voici une suggestion de bon temps cinématographique. Sous des airs de comédie enjouée, une monographie romancée mais cinglante des relations entre les cabinets de "CI" et leurs clients. Dont on n'exhibe que le caractère excitant, la facette insignifiante du métier. Et oui, je me prends pour James Bond et, oui, je chie sur ceux qui voudraient encore m’extirper d’un fantasme grâce auquel moi, je parviens à gagner ma vie. Parce que ma vie n’est ni drôle, ni forcément exaltante – au moins pas autant que certains voudraient le croire -, mais au moins elle est plus exotique que la leur. Ca ne durera pas, mais je l’aurai fait. Je vis dans un monde où déstabilisation et filouteries relèvent du talent davantage que de la grossièreté. Celui dans lequel la Belle au Bois Dormant finit toujours par se faire baiser. N'en déplaise à ceux qui préfèreront rester couchés. Ils sont mon fonds de commerce.
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