La maison qui rend fou

Je suis sans papier.
Littéralement je veux dire.
Je n’ai plus de carte d’identité depuis août de l’année dernière.
Parce que j’ai laissé filer la date de validité de ma carte sans penser à la faire renouveler?
Non.
Parce que je suis immigrée clandestine Gabonaise et que mon permis de séjour a pris fin ?
Non plus… en même temps avec mon temps bidet, moins gabonaise que moi tu meurs !
Non, ma bonne dame, si je n’ai plus de papier depuis août de l’année dernière c’est tout simplement que je me suis fait voler mon portefeuille.
Là encore rien de glamour.
Pas de vol avec violence, le soir au coin d’un bois mal fréquenté avec arme automatique sur la tempe, prise d’otage, cris, pleurs, révélation mystique « que si je m’en sors je me mets à faire des muffins avec frénésie, je le promet ».
Non.
Je me le suis fait voler bêtement, à la pause déjeuner, dans mon bureau fermé par un accès à badge, dans mon sac, juste à côté de mon vieil i-pod rose qui bizarrement, lui, n’a pas attiré la convoitise du voleur… Le truc con quoi.
Cette histoire m’a fait perdre 10 euros, l’équivalent de ce que j’avais en liquide dans mon portefeuille… c’est vraiment rien hein, ça lui a rapporté quoi à ce petit con ces 10 euros ?? Parce que par contre, moi, j’en ai pris pour 6 mois de galère administrative !
Faire ses papiers, ça peut sembler tout bête pour un citoyen français de base. Un peu chiant… mais bête. Surtout quand on a encore son passeport valide, qu’on a quelque part chez soit une photocopie de sa carte d’identité, faite dans un accès de lucidité et de prévoyance assez inhabituel, qu’on habite juste à côté de sa mairie et qu’on en est à son deuxième renouvellement de papier en 5 ans, rapport que j’ai une chance monstrueuse, je me fait voler mon portefeuille comme d’autre renouvelle leur PC… tout les 3-4 ans en moyenne !
Hin hin hin… je me marre face à ma naïveté de l’époque.
D’abord parce qu’une mairie, j’avais oublié, mais ça respecte des horaires si possible complètement incompatible avce une vie professionnelle active, genre de 8h30 à 17h30 donc à part y aller le midi, en même temps que tout le monde, il faut se prendre une demi journée. Heureusement la mienne ouvre aussi le samedi matin.
Ouf !
Bon, sauf que moi, le samedi matin, quand je ne suis pas en train de décuver de la veille, ou quelques part en train de squatter un canapé à l’arrache (souvent en rapport avec le décuvage de la veille), je suis à perpette avec mon bulot, genre vient-on-va-pas-rester-sur-paris-ce-week-end-il-fait-trop-beau-pour-ne-pas-profiter-de-la-vie-et-sortir-de-chez-soi-voir-le-monde-et-ce-qu’il-a-à-nous-offrir… donc en gros il m’a bien fallut un mois pour faire coïncider l’événement, levé avant midi+présence dans l’appart + se rappeler que je dois aller à la mairie pour refaire ma carte d’identité.
Heureusement je m’étais renseigné on the formidAble network qui relie tous les hommes dans la paix et l’harmonie universelle (Amen !) et j’avais rassemblé toute la paperasse indispensable pour ce genre de circonstance : extrait d’acte de naissance en 15 exemplaires certifiés par un third party, un juriste, et ma mère (qui était là il parait le jour de ma naissance), attestation de logement signée et contresignée par mon proprio avec félicitation pour avoir bien payé toutes mes échéances de la saint glinglin à nos jours, formulaire B248 (le rose) avec mon sang apposé en bas à droite, un scan de ma pupille gauche et un relevé de l’empreinte de mon SIF (pour savoir ce qu’est le SIF se reporter au numéro de Elle parlant de l’épilation maillot), 2547 € en timbre fiscal (achetés bizarrement à des chinois parlant à peine français au tabac du coin. J’aurai acheté de la coke, ça n’aurait pas été plus glauque), mon portrait en 14 exemplaire, vue de haut, bas et profil, un bras sur la tête et un autre sous les aisselles (pour qu’on puisse me reconnaître en toute circonstance !).
Bon d’accord j’exagère.
Mais le coup des chinois est farpaitement exact et avéré… une vraie mafia des tabacs chinois est en train de s’installer près de chez moi et personne n’en parle! Effrayant !
Je ramène donc ma trombine et mon dossier tout rempli nickel un samedi matin au bureau de l’état civil.
Là, queue de 15 ou 20 personnes au bas mot, juste pour accéder à l’accueil. Ensuite un complexe système de numéros et de guichets, répartis apparemment en fonction du type de demande bizarre que vous pouvez faire à l’état français vous aiguille, dans un dédale qui semble avoir sa logique interne, mais incompréhensible pour le commun des mortels. D’où l’accueil.
J’attends.
Une bonne demi-heure plus tard, j’arrive face à l’hôtesse d’accueil et je lui explique le pourquoi du comment de ma venue.

Hôtesse d’accueil : Vous avez rendez-vous ?
Moi : Pardon ?
Soupire de l’employé administratif sous payé pour ce genre de tache ingrate qui consiste à répéter indéfiniment les mêmes choses à des crétins dans mon genre.
Employé administratif sous payé : Le samedi ce n’est QUE sur rendez-vous madame, enfin !
(Ben oui, enfin quoi !)
Moi : Ah…
Employé administratif sous payé : …
Moi : Euh… et comment on prend rendez-vous ? (s’il vous plait madame, si vous auriez bien la bonté d’aider une pustule insignifiante telle que moi !)
Employé administratif sous payé : C’est moi qui donne les rendez-vous
Moi : Ah (soupire de soulagement très très naïf). Vous avez de la place pour samedi prochain ?
Employé administratif sous payé : Non
Moi (commençant à comprendre mon début de chemin de croix sur lequel je m’engage) : le samedi d’après ?
Employé administratif sous payé (un sourire) : Non !
Moi : Et en fait vous avez de la place quand ?
Employé administratif sous payé (grand sourire) : En semaine madame !
Moi (très très naïve) : Mais ce n’est pas QUE le samedi sur rendez-vous ?
Employé administratif sous payé : Oui, mais comme tous les samedis sont pleins, les gens viennent en semaine, et si vous ne voulez pas attendre 2h, il vaut mieux prendre un rendez vous pour être prioritaire.
Moi (un peu effarée) : Ah… (oui je sais, je n’ai pas la verve administrative très développée)
Employé administratif sous payé : …
Moi (résignée) : Et votre prochain créneau de disponible pour 8h30 le matin c’est quand ?
…
Bon je vous passe le quart d’heure de discussion qui s’en suivi pour fixer un rendez-vous à l’ouverture des locaux. Après d’âpres négociations, sachez que nous avons trouvé une date et un horaire presque décent qui ne m’obligeait pas à poser une demi journée mais juste un peu à courir et à feindre la crise hydraulique type inondation imprévue face à mon patron (vous avez remarqué » comme les canalisations petent toujours à 8h le lundi matin ?).
Je vous passerai aussi les commentaires de ma gentille employée administratif sous payée sur mon dossier, véritablement incomplet, puisque mes photos n’était PAS faites chez un photographe (en gros pas sur fond blanc de la bonne teinte… oui je sais, l’erreur conne) et donc pas réglementaires et qu’en plus j’avais oublié d’apposer mes empreintes d’orteils sur ma fiche.
Soupire
Une heure plus tard je ressors le moral un peu dans les chaussettes, mais j’y crois encore (la crétine).
Voilà une bonne matinée de bien rentabilisé dis donc !
3 années lumière plus tard, donc, je me rends, un matin, à l’ouverture de ma mairie, pleine d’espoir et de joie de vivre, dossier complet, checké, rechecké photocopié en 3 exemplaires.
Et là miracle je me retrouve devant une autre employée administratif sous payée mais qui, elle, s’occupe des dossiers de renouvellement de carte d’identité.
Attestation de logement signée et contresignée par mon proprio avec félicitation pour avoir bien payé toutes mes échéances de la saint glinglin à nos jours : check
formulaire B248 (le rose) avec mon sang apposé en bas à droite, un scan de ma pupille gauche et un relevé de l’empreinte de mon SIF : check
2547 € en timbre fiscal : check
mon portrait en 14 exemplaire, vue de haut, bas et profil, un bras sur la tête et un autre sous les aisselles : check
Tout se déroule plutôt bien, donc, jusqu’à ce que…
Employé administratif sous payé : Mais… je vois que votre papa est né au Sénégal et votre maman en Algérie, vous avez les justificatifs de nationalité française

Moi (pensant balayer d’un revers de la main ce petit malentendu) : Non, mais, comme ils sont nés là bas avant l’indépendance, je n’en ai pas besoin
Employé administratif sous payé : Ben… si ils sont nés à l’étranger il me faut un justificatif de nationalité française pour vos parents
Moi (pensant encore que la rationalité va aider) : Oui, mais voyez vous, avant l’indépendance, ces pays étaient des territoires français donc ils sont nés sur le sol français
Employé administratif sous payé  (à qui on ne la fait pas) : Mais qu’est-ce qui me prouve qu’ils sont français vos parents ?
Moi (commençant à m’énerver) : Je ne sais pas, peut être qu’ils soient nés sur le sol français de parents français, que je suis moi-même née sur le sol français de parents français, que vous avez mon passeport qui vous atteste que je suis française et une photocopie de ma carte d’identité également…
Employé administratif sous payé (pas un sourcil plus haut que l’autre) : Attendez, je vais voir…
Employé administratif sous payé discute avec autre employé administratif sous payé qui alerte à son tour un troisième employé administratif sous payé qui va voir le chef des employés administratif sous payés du service.
Retour de mon employé administratif sous payé à son bureau.

Employé administratif sous payé (me faisant une faveur) : Bon… le mieux aurait été de fournir un extrait d’acte de naissance de vos parents, mais le dossier devrait être recevable comme ça. Voilà c’est bon. On vous rappellera (quand la carte sera prête).
La nouvelle star a côté c’est les enfants de cœur du casting !
C’était fin septembre…
Depuis j’ai appelé 10 fois et toujours la même réponse : ça prend du temps, on vous contactera quand la carte sera prête.
Pas de demande de pièces supplémentaires. Pas d’explication. Nada.
Donc voilà… je ne sais pas si il faut accuser, le pas de chance, les réductions de budget qui ne mettent pas assez de gens au service des émissions de carte d’identité, le nouveau gouvernement, ou la grande réflexion nationale sur l’identité française, mais alors que ça n’avait jamais posé de problème auparavant, je me retrouve, tout à coup, fille d’immigrés sénégalais et algérienne…
Et sans papier…