Chronique d’une schizophrénie consommée
« Jamais je ne vis d’yeux brillant plus énergiquement de l’horreur de l’ennui et du désir immortel de se sentir vivre » (CHARLES BAUDELAIRE, Le Joueur généreux). Alors les miens brillent à peu près comme trois fois ça. Pour éblouir mes amis, et maquiller comme une pute l’insolent mépris que j’inflige à ma chance. Je ne parviens pas, pour autant, à retisser le lien qui m’unit à la vie. J’aurais préféré plonger, plutôt que de couler si lentement. Car à propos de l’ennui, Madame du Deffand écrivait: « c’est un avant-goût du néant, mais le néant lui est préférable. C’est la plus épouvantable des maladies de l’âme ; elle seule donne l’idée des supplices de l’au-delà. C’est un mal redoutable et il est inévitable pour ceux qui ont été agités par les passions et en souffrent la privation ». J’y ai tissé une toile envenimée, pour y piéger les émotions. Mon psychisme ne tolère plus l’absence de logiques ou de règles, et impose un diktat bien calibré à mon affect. Certains de mes billets précédents en témoignent ostensiblement. Tout ce que je vis ou ressens m'emmerde au plus haut point. La faute à "tout seul"?
J’avais pourtant tout prévu
Aussi à part elle…
Je suis redevenu celui que j’étais avant elle. Mais sans les qualités. Et à chaque fois que je la croise, elle « m’améliore » davantage. Je suis passé du stade de l’ersatz de mâle alpha à celui de proto bêta néo-glaciaire. « What goes around »…
Je sais par contre que...
Mary est mon gardien. La seule à m’avoir vu vivant depuis longtemps, je crois bien que c’était elle. Le temps d’un soir. Le premier à m’avoir vu vraiment mort depuis deux ans, c’est Le Petit Prince, mon infirmier éclopé, 24 heures plus tard à peine. Le temps d’un soir. Et puis je suis redevenu froid, sine die. Parce que comme ça, je me sens puissant, je me sens maître de moi-même, à défaut de me sentir vivant.
Et je voudrais qu’on m’emporte, j’aimerais avoir encore une âme à vendre. Et qu’importe si c’est un succube qui m’enlève. Je voudrais que celle que j’ignore encore me retire mes souvenirs, et qu’elle nous invente une histoire. Qu’elle canalise mon inconscience quotidienne, et refasse de moi l’amant responsable que j’étais. Qu’elle confisque mon désir de postérité pour en faire son miroir. A moins que la condition de mon équilibre ne réside dans la pulsion affective inassouvie. Après tout, ça me réussit pas si mal. Et mon métier me le rappelle sans cesse : pour vivre heureux, vivons cachés. Je vis caché, certes… Mais tant que personne ne mettra à l'abri de moi-même, je me sentirai en danger.