C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés à quatre autour du repas dominical, deux jours plus tard. Les poils des narines de mon père en tremblaient de rage. Quoi ! J’osais enfreindre la sainte règle du face à face de notre déjeuner hebdomadaire. Fille indigne, j’amenais à sa table deux parfaits inconnus. Un fiancé à la rigueur, il aurait pu supporter mais ces deux parasites, non, il ne voyait vraiment pas l’intérêt.
J’eus beau lui expliquer que Tristan et Eva n’étaient que de passage, qu’ils étaient des colocataires provisoires, que nous nous comptions pas sérieusement nous installer à trois dans mon trente mètres carré, il n’en démordit pas : il n’y avait aucune raison que je lui impose ces gens aussi SDF soient-ils.
Pendant qu’Eva découpait les carottes et Tristan servait le porto, je lui expliquais notre mésaventure commune. Et comment tous les trois nous avions été victimes d’une belle arnaque…
- Tu te rappelles que j’ai sous-loué mon appart il y a un mois lorsque je suis partie à Londres ?
- Oui.
- Tu te rappelles du type à qui je l’avais sous-loué ? Mr Hanozodor…
- Oui, tu m’avais fait bien rire avec sa description de gendre idéal !
- Eh bien il n’en a que l’apparence ! Figure-toi qu’il a fait un double de mes clefs et qu’il fait son beurre en le louant derrière mon dos ! Ce qui explique que Tristan et Eva aient pu débarquer chez moi en pleine nuit, persuadés de s’installer chez eux !
- Et alors ?
- Alors quoi ?
Il me chuchota :
- Cela ne m’explique toujours pas ce que font ces gens ici…
- Rien, enchaînement de circonstances. Eva dort dans ma chambre sur le canapé, Tristan sur le lit de dépannage dans le salon…
- Mais pourquoi tu ne les chasses pas ?
- Oh, je ne sais pas. Le premier soir, parce qu’il était trop tard, que nous étions tous épuisés et exaspérés. Idem pour hier, ça s’est fait comme ça ! Eva est chinoise. Elle est mannequin, ne parle pas un mot de français, elle est complètement paumée. Laisse lui le temps de prendre contact avec sa communauté ! Et pareil pour Tristan !
- Il est chinois aussi ?
- Non, avocat. Il va m’aider d’ailleurs. Il m’a dit que les choses n’allaient pas se passer ainsi et…
- Il ne peut pas aller à l’hôtel, lui ?
- Laisse-lui aussi le temps de se retourner !
- Mais, ma fille, tu as perdu toute ta raison, tu es complètement givrée !
- Pff, ça nous change… pour une fois que ce n’est pas toi !