Saint Mathieu mentionne quatre fois le nom de Marie dans ce qu’on appelle les Evangiles de l’Enfance (les deux premiers chapitres de son Evangile, et une autre fois, dans un contexte tout à fait différent, lors de la visite de Jésus à Nazareth, chapitre 13°). Il utilise quatre fois l’expression « l’enfant et sa mère », deux fois à l’occasion de la fuite en Egypte, et deux fois pour le retour d’Egypte et l’établissement à Nazareth. Joseph est mentionné 8 fois, et c’est lui qui est averti en songe de ce qu’il doit faire, prendre Marie pour épouse car ce qui est conçu en elle vient de l’Esprit Saint, partir en Egypte, et retourner à Nazareth. Il est le chef de la famille, comme cela est normal en Israël.
Dans le « Evangiles de l’Enfance », saint Matthieu s’adressant à des juifs, s’attache surtout à la personne de Joseph, car seuls les hommes comptaient. Et, voulant présenter Jésus comme Fils de David, il ne pouvait procéder autrement. Aussi commence-t-il par la « généalogie de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham » (Matthieu, 1, 1). Et pourtant, Joseph, nous le savons, n’est pas le père de Jésus ! mais la généalogie aboutit tout de même à Jésus.
Je n’ai pas l’intention d’étudier ici tous les nombreux problèmes que cette généalogie a posés au cours des siècles. Je renvoie éventuellement le lecteur à ma thèse en théologie biblique intitulée « Jésus Fils de David dans les généalogies de saint Matthieu et de Saint Luc » (Téqui, 1982), et qui traite en détails tous les problèmes qu’elle pose, et apporte une solution à tous les problèmes qu’elle présente, aux dires des membres éminents du jury.
La généalogie de Jésus en saint Matthieu
Elle occupe tout le premier chapitre, car, après la généalogie proprement dite, Matthieu donne une explication en rapportant le songe de Joseph qui reçoit la visite d’Ange, et montre ainsi la réalisation d’une prophétie d’Isaïe.
Il faut savoir tout d’abord qu’une femme n’entrait pas dans une généalogie juive comme « générateur » : seuls les hommes, les pères étaient mentionnés, selon des règles précises (descendance naturelle, descendance légale), pour assurer la perpétuité de son nom, de sa Maison (contrairement à ce qu’affirme l’Abbé Laurentin).
Saint Matthieu mentionne toutefois quatre femmes, des épouses, bien connues dans l’Ancien Testament, et Marie, qui prend une place curieuse et spéciale dans cette généalogie. Citons les versets qui nous les présentent :
Matthieu, 1
3. Juda engendra Pharès et Zara, de Thamar, Pharès engendra Esrom, Esrom engendra Aram,
4. Aram engendra Aminadab, Aminadab engendra Naasson, Naasson engendra Salmon,
5. Salmon engendra Booz, de Rahab, Booz engendra Jobed, de Ruth, Jobed engendra Jessé,
6. Jessé engendra le roi David. David engendra Salomon, de la femme d'Urie.
15. Élioud engendra Éléazar, Éléazar engendra Matthan, Matthan engendra Jacob,
16. Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie, de laquelle naquit Jésus, que l'on appelle Christ.
Thamar, Rahab, Ruth, la femme d’Urie dont le nom est Betsabée. Thamar était la belle-fille de Juda dont elle engendre Pharès et Zara, (« inceste »). Rahab était la prostituée de Jéricho, qui se convertit au Dieu d’Israël, et permit aux juifs de s’emparer de la ville de Jéricho. Ruth était une moabite, épouse d’un descendant de la lignée messianique de Juda, qui n’avait pu avoir de fils de ses deux premiers maris, et auquel on refusait de donner le troisième fils comme mari, comme le prescrivait la loi. Mais convertie au Dieu d’Israël, elle resta avec sa belle-mère, et connut un membre de la lignée de Juda. Bethsabée, la femme d’Urie, a été victime de la passion de David, dont elle a conçu en enfant, dans une relation adultère, dont le coupable était le Roi David. A cet adultère, David a ajouté l’assassinat programmé d’Urie, pour pouvoir épouser ensuite Bethsabée de laquelle naîtra en mariage légitime le Roi Salomon.
Les auteurs pensent de manière unanime que ces quatre femmes ont été choisies par Matthieu parce qu’elles étaient des pécheresses, ou des étrangères. Car, disent-ils, le Christ est venu pour les pécheurs et pour tous les hommes. C’est une belle vision… Mais qui ne repose sur rien ! La tradition biblique nous donne une autre vision des choses qui explique très bien pourquoi Matthieu a choisi ces quatre femmes.
Ces quatre femmes ont un point commun : elles sont inspirées par le Saint-Esprit dans leur conduite. Elles remettent en effet par leur attitude la lignée messianique dans la voie voulue par Dieu, et qui était compromise par la malice de ceux qui avaient reçu la mission de la mener à sa réalisation. Thamar, Rahab et Bethsabée sont ainsi inspirées par l’Esprit Saint à agir comme elles l’ont fait: en elle, c’est l’Esprit inspirateur qui est à l’oeuvre.
Booz prend une place spéciale, dont ne parle pas le livre de Ruth qui raconte son histoire. Mais la tradition juive nous dit qu’elle était stérile car elle n’avait pas de matrice. L’Esprit Saint intervint en elle et « lui modela une matrice pour lui permettre de devenir la grand-mère de David ». Le verbe utilisé « modela » (comme le potier qui modèle un objet avec la glaise) est le même que celui qui est utilisé pour la création de l’homme « modelé avec l’argile du sol ».
En Ruth, ce n’est plus seulement le Saint-Esprit Inspirateur, mais l’Esprit Créateur ! Et qui crée pour permettre à Ruth qui était entrée dans la lignée messianique, par son mariage avec un descendant de Juda, de devenir « la grand-mère de David », l’ancêtre du Messie, de Jésus.
Et Marie ? Marie n’est ni une étrangère, ni une pécheresse ! Elle a une place toute spéciale dans la généalogie de Jésus. Elle n’y entre pas au titre d’une génération, comme le prétend le Père Laurentin, car c’était impensable chez les Juifs, et, la généalogie prendrait une forme absurde (comme nous le verrons dans une prochaine étude), la faisant en quelque sorte « fille » de Joseph. Joseph garde sa place de « générateur », car, par son mariage avec Marie, il accepte l’enfant, Jésus, que tous croient né de lui, et lui permet de prendre le titre non seulement de « fils de David », mais surtout de « Fils de David ». Ce qu’il est réellement, selon la Loi juive même si Joseph est seulement son Père nourricier, son Père adoptif.
La formule qui introduit Marie comme Mère UNIQUE de Jésus (sans le concours d’un père) est d’une grande beauté : « Joseph, l’époux de Marie, de laquelle naquit Jésus que l’on appelle Christ ». C’est elle, et elle seule qui engendre Jésus ! Matthieu va nous l’indiquer dans le passage suivant : l’Esprit Saint qui était intervenu auprès des quatre femmes, comme Esprit Inspirateur et Esprit Créateur, intervient en Marie comme Esprit Créateur, en choisissant, selon la volonté de Dieu, Celle qui s’était consacrée totalement à Lui, en renonçant à la maternité. Par l’intervention de l’Esprit Créateur en Elle, Marie devient Mère, et reste Vierge !
Monsieur Trinquet, prêtre de Saint Sulpice, bibliste de renom, et mon professeur, disait : la généalogie de Matthieu, qui s’adressait à des juifs, est une démonstration de la Naissance virginale de Jésus. Et il en donnait comme preuve le passage qui suit en Matthieu :
La conception virginale de Jésus
Il faut citer le texte en entier, car il est l’explication donnée par Dieu, de ce que Matthieu a exposé dans la généalogie de Jésus :
Matthieu 1
18. Or voici comment Jésus fut engendré. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph : or, avant qu'ils eussent mené vie commune, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit Saint.
19. Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la dénoncer publiquement, résolut de la répudier sans bruit.
20. Alors qu'il avait formé ce dessein, voici que l'Ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme : car ce qui a été engendré en elle vient de l’esprit-Saint ;
21. elle enfantera un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus : car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »
Marie, qui avait fait vœu de virginité est ainsi choisie par Dieu pour devenir la Mère de son Fils, du Verbe Incarné, par la puissance de l’Esprit Saint. Elle entre ainsi dans la lignée messianique, elle en est l’aboutissement, elle est la seule à donner chair au Fils de Dieu Incarné, elle qui avait renoncé à devenir Mère, Elle que Dieu, cependant avait choisie dès sa conception, en la préservant de la tâche du péché originel, Elle qui était l’Immaculée Conception, la seule digne de devenir le Tabernacle du Très-Haut, le Temple de Dieu.
Monsieur Trinquet a raison de dire que la généalogie est une démonstration de la naissance virginale de Jésus ; que la présence des quatre femmes citées par Matthieu préparent et annoncent cette intervention spéciale du Saint-Esprit de qui Marie concevra en son sein le Verbe de Dieu fait Chair en conservant sa Virginité ; et que cette naissance virginale est l’accomplissement de la prophétie du prophète Isaïe (7, 14), annoncé 8 siècles auparavant. Matthieu termine en effet toute cette introduction par ces mots :
Matthieu 1
22. Or tout ceci advint pour que s'accomplît cet oracle prophétique du Seigneur :
23. Voici que la vierge concevra et enfantera un fils, et on l'appellera du nom d'Emmanuel, ce qui se traduit : « Dieu avec nous ».
24. Une fois réveillé, Joseph fit comme l'Ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui sa femme ;
25. et il ne la connut pas jusqu'au jour où elle enfanta un fils, et il l'appela du nom de Jésus.
Le premier chapitre de Matthieu forme un tout, bien construit, qui présente le mystère de Marie Vierge et Mère, et la naissance virginale de Jésus, comme Dieu l’avait annoncé par le Prophète. La réalisation dépasse l’espérance et l’attente.
(à suivre)