Jeux d'écriture – blog à 1000 mains - Writecrossing

Publié le 02 mai 2010 par Anaïs Valente


J'avais remarqué ce blog en cliquant sur un lien il y a quelques semaines.

Par le biais d'une photo, il propose un exercice d'écriture.  J'ai déjà tenté ça autrefois (cf rubrique Anaïs s'attèle à l'écriture, le site proposant les ateliers à l'époque ayant disparu).

Alors, je m'y remets, via cette photo qui m'a un peu inspirée...

Writecrossing

Le bookcrossing, ce phénomène nouveau qui consiste à abandonner volontairement un livre dans un lieu public, afin d'en permettre la lecture au plus grand nombre, moi, j'adore.  J'adore l'idée de ne pas abandonner un livre sous la poussière d'une bibliothèque mais de lui offrir une seconde vie.  L'idée de lui rendre sa liberté...

Mais je n'aime que l'idée.  Car en pratique, je ne parviens pas à m'y résoudre.  Mes livres sont mes amis.  Ils font partie de ma vie.  Partie de moi.  Quand j'ai aimé un livre, je le range pieusement (traduction : je l'entasse là où je trouve encore de la place, dans la masse informe que constitue ma bibliothèque, sans classement aucun, réduisant à néant toute chance de le retrouver facilement ultérieurement.)  Mes livres sont mes bébés.   L'idée même d'en abandonner ne serait-ce qu'un seul sur un banc, même en sachant qu'il sera peut-être adopté par quelqu'un de formidable, m'angoisse.  Et si ce quelqu'un le jetait dans la première poubelle, au milieu des pelures de bananes, des seringues et des préservatifs usagés (ben quoi, on est dans un parc hein).  Si ce quelqu'un n'en lisait que deux pages puis l'abandonnait dans une bibliothèque aussi mal rangée que la mienne (alors, tant qu'à faire, je le garde) ?  Si ce quelqu'un allumait un feu avec ?  Si ce quelqu'un s'asseyait dessus par distraction ?  Si ce quelqu'un était un chien errant ?

A la rigueur, je veux bien m'essayer au bookcrossing avec les livres que j'ai détestés, ceux que je n'ai pas pu finir, ceux qu'on m'a forcée à lire à l'école (et que j'ai encore, n'appelez pas un psy, je sais déjà que c'est grave), ceux que mes ex m'ont offerts et qui me font pleurer rien qu'à les regarder.  Mais je ne peux.  S'adonner au bookcrossing dans ces circonstances, c'est moche.  Rendre sa liberté à un livre qu'on juge indigne d'être lu, c'est super moche.

Donc, le bookcrossing et moi, on n'est pas potes.

Alors, pour adapter ce principe à ma névrose, j'ai inventé le writecrossing.

Devant la porte de ma maison bleue adossée à la colline on y vient à pied, j'ai installé une petite table et une chaise.  Quand le temps le permet, j'y ajoute un paquet de feuilles blanches et un stylo (je sais, un stylo, c'est personnel, mais c'est tellement mieux qu'un crayon ou qu'un bic).  Parfois, je fais du thé pour les writecrossers qui passeraient par là.  Bien sûr, il devient rapidement froid, mon thé, mais peu importe.  Le thé froid, c'est bon aussi.  Et c'est l'intention qui compte.

Je pars ensuite travailler, mais l'appel est lancé, et tout qui se sent pousser les ailes d'un écrivain, aguerri ou en herbe, peu importe, est le bienvenu.

Durant la journée, comme le Petit Prince, enfin comme son Renard, je me prépare le cœur.  Je le prépare aux découvertes à venir.  Aux lectures à venir.  Bien sûr, les premiers jours, les pages sont restées blanches.  Elles le sont restées longtemps, blanches.  Mais j'ai persévéré.  Jusqu'à ce que le premier pas soit franchi.  Le tout premier écrit.   Et puis, un jour, à la manière du bookcrossing, j'ignore encore comment, je rendrai leur liberté à tous ces écrits qui m'ont été confiés et qui sont désormais devenus quotidiens.

Car, maintenant, le soir, lorsque je rentre du travail, mon impatience grandit au fur et à mesure que j'approche.  A peine arrivée, je m'installe sur la chaise, avant même de rentrer nourrir mes poules.  Je soupèse la théière afin de savoir si mon thé a plu, et puis je me vautre dans la récolte du jour.

Ce soir, elle fut bonne, car le soleil était de la partie.

J'ai lu un poème maladroit, entre prose et poésie, tout bien réfléchi.  Il parlait de son amour pour elle, de l'espoir qu'il avait toujours de la voir revenir.  Il m'a même semblé qu'une larme avait gondolé le papier, mais j'ai sans doute l'imagination trop débordante.

J'ai lu un dessin d'enfant.   Un chat souriant, tout noir, se lovant sur l'herbe, caressé par le soleil.  J'ai tenté de deviner son âge.  L'âge de l'enfant, pas du chat.  L'âge du chat aussi, tant qu'à faire.  Son prénom était ajouté en grosses lettres maladroites : Gaston.  Prénom humain ou félin, je l'ignore.

J'ai lu une page blanche.  Entièrement blanche, mais palpée, humée, chiffonnée, froissée, usée du regard.  Demain, peut-être... 

J'ai lu une réflexion sur les prochaines élections dans mon chtit pays belge, révélatrices d'une crise récurrente.  Une réflexion lancée comme un ras le bol.  Un coup de gueule.  D'une écriture nerveuse.

J'ai lu qu'il avait entendu une de mes poules s'énerver, et qu'il s'était permis de faire le tour du propriétaire pour aller lui donner quelques miettes d'un biscuit qui traînait dans sa poche.  J'ai lu que la poule l'avait remerciée d'un sourire.  J'ai lu qu'il reviendrait la voir, promis juré.

J'ai lu qu'elle ne savait pas écrire, mais qu'elle savait chanter.  J'ai lu les cinq lignes parallèles et les quelques notes dessinées à la va-vite.  Je ne sais pas lire la musique.  Pas encore.

Et j'ai lu, sur la dernière page : « merci pour le thé ».

Alors, si vous passez par chez moi un de ces jours, ça vous dit de venir prendre un petit thé froid ?