Elle continua à la regarder un long moment, comme si elle la découvrait pour la première fois. Elle voyait l’enfante, au visage angélique, qu’elle n’a pas caressé et serré entre les bras pour plus de huit ans. Elle voyait la petite fille, aux cheveux très fins et aux yeux verts pistaches, devenir une vraie femme. Une jeune femme, qu’elle ne reconnut qu’à travers ses yeux et sa façon de parler, pleine d’enthousiasme et de vivacité.
D’un regard bienveillant, plein d’émotions mais surtout de pleurs, elle s’approcha d’elle.
- T’as grandi !
Du coin de l’œil, Abir regarda Sondos, comme attendant son approbation pour parler et finit par composer quelques mots.
- C’est ma demi-sœur ! et en levant les yeux vers sa sœur, on s’est vu que quelques fois.
Sabrine, s’approcha encore d’elle d’un pas et poursuivait.
- Tu ne m’as pas encore répandu ? qu’est ce que tu fais ici ?
Abir, s’appuya sur le bureau de sa patronne et murmura d’un ton insolent.
- Je bosse ici, ma grande ! et en traçant un sourire malin, la personne qui doit répondre à cette question est plutôt toi.
- Impossible ! s’écria, Sabrine, écœurée, ne me dis pas que tu te prostitues ? puis leva un regard sur Sondos et continua, tu peux nous laisser seules s’il te plaît ?
Sondos, traça un sourire persiflant et dit en s’éloignant de son bureau.
- Oui, bien sûr ! et en l’injectant d’un regard venimeux, on fait partie de la même équipe maintenant ?
Une fois qu’elle s’enfermait dans le bureau des patrons, Sabrine saisissait sa petite sœur du bras et la grogna, sévèrement.
- Tu n’as pas honte de toi ? ta mère te tuera si elle saurait que tu vends ton corps.
En débarrassant son bras, d’un geste nerveux elle hurla.
- Elle l’a déjà fait. Et les yeux, cachant une immense rancune, ça revient en grande partie à ta mère, comme quoi voulant honorer la mémoire de sa fille ainée !
Et en tournant la tête vers la cuisine, pour cacher ses larmes.
- Les deux étaient follement amoureuses de notre père, au point de refuser d’admettre qu’il préférait les jeunes filles, à elles !
Une vague de tristesse, passa dans le regard de Sabrine, elle s’asseyait sur le canapé et reprit en laissant un long soupire, de chagrin s’échapper de ses lèvres.
« C’est vrai, elle était folle amoureuse de lui, au point de désobéir à ses parents et d’épouser mon père. Elle avait 18ans, et c’était son premier amour, avec qui elle eut quatre filles. Il était tellement tendre avec nous surtout avec Asma. C’était sa préférée… il passait toujours la plupart de son temps libre avec elle. Pour ma mère, c’était rassurant, voir normal, qu’un père ait une affection spéciale pour l’une de ses filles en particulier. Et comme Asma était son premier enfant, ma mère trouvait naturelle, qu’il la préférait à nous. J’avais cinq ans moi, à l’époque, je me rappelai pas grand-chose. Mais je me rappelai, vaguement, qu’elle pleurait à la fin de chaque journée qu’elle passait, à l’extérieur, avec notre père. Et puis un jour, elle se suicida. Elle n’avait que 15ans, une jeune fille en pleine adolescence, qu’on trouvait pendue dans la chambre à coucher de mes parents avec le collant de ma mère.
À l’époque, on ne comprenait pas pourquoi elle l’avait fait. Elle menait une belle vie. Papa était un homme très respectée dans l’armée, et ne nous priva de rien. Asma, était la plus jolie de ses filles. Et la seule, qui ressemblait de plus à ma mère. Elle n’avait pas le moindre complexe physique et ne semblait pas du tout suicidaire. C’était une mort subite, affreuse, horrible, qui a ébranlé notre petite famille heureuse.
Ce qui me laissait de plus perplexe, ce qu’elle eut choisi la chambre de mes parents comme lieu pour mettre fin à ses journées. Mais quand je songe à tous ça, je comprends qu’elle l’ait fait comme tentative pour se venger de mon père, pour qu’il ait son image, pendue sur son lit, à chaque fois, où il tenta de fermer l’œil, un acte très intelligent de sa part, pour lui faire payer ses abus sexuels, mais qui fut très difficile à interpréter d’une mère, aveuglée par l’amour de son époux.
D’ailleurs, papa était le plus touché par sa mort. Il se renfermait pour des journées dans sa chambre. Il pleurait chaleureusement comme un gamin devant sa tombe, et au fils des ans, sa tristesse et son chagrin, semblaient s’atténuer. Et ma sœur cadette Yosra, prit la relève, et devenait sa préférée, une fois pubère.
Mais Yosra, n’était pas si silencieuse, comme le cas d’Asma. Elle se confiait à son journal intime, elle avait la fâcheuse habitude d’écrire tout ce qu’elle avait fait de ses journées dans un petit cahier, qu’elle cachait sous son oreiller, comme un petit trésor personnel.
Et depuis le triste accident de la mort de ma sœur ainée, ma mère, était devenue, super protectrice et soucieuse, comme si elle craignait que l’une de ses trois filles restantes, faisait comme son premier bébé. Et du coup, elle se permettait de lire, le journal intime de Yosra, quand elle partait à l’école. Et cette manie, se poursuivait, jusqu’au jour où je l’entendais se disputer avec mon père. J’étais au petit jardin, je donnais à manger aux fourmis, et leurs voix devenaient de plus en plus assourdissantes. J’avais à peine 8ans, et j’étais assez consciente pour comprendre même superficiellement leur ébauche de conversation.
Ma mère, était sur tous ses nerfs, elle pleurait et criait de toutes ses forces à la cuisine.
- Qu’est ce que tu fais à ma fille quand vous partez à la chasse ensemble ?
Mon père, semblait gêné, et criait.
- Mais rien, je t’assure. T’es malade ou quoi ? tu penses que je fais du mal à ma propre fille ?
Et là ma mère, saisissait le journal de ma sœur et lui cria dessus.
- Pourquoi elle n’arrêtait pas de parler de toi, dans son journal intime en répétant le mot monstre : « mon père, était un ange à la maison mais un monstre à l’extérieur » ?
C’était la phrase dont je me rappelai bien. Et ma mère, a su finalement relier le suicide de ma sœur ainée, à ma deuxième sœur, mais n’avait pas le courage, de prononcer le mot abus. Elle se contenta de demander le divorce. Mon père refusait, au début de le lui accorder, mais quand elle le menaçait de tout reporter aux flics, il finit par accepter. »
Après un bout de temps, elle se leva et continua doucement.
- Et un an après il refait sa vie en épousant ta mère et la mienne en épousant son cousin, qui nous battait tout le temps. Et en traçant un faible sourire, et t’étais la troisième victime de papa.
Abir, avala de l’air nerveusement et continua.
- Une victime, traitée de pute par ma mère et mon frangin ! et en grinçant les dents, quand j’ai demandé à Yosra, de répéter ce que mon père lui a fait subir devant ma mère, elle était partante pour dénoncer les abus de papa au tribunal mais ta mère, ne l’a pas laissé faire…
Sabrine, lui coupa la parole en disant.
- Ma mère voulait sauver la réputation de mes deux sœurs, tu sais très bien que c’est mal vu dans notre société une fille qui n’est plus vierge et pis encore, personne n’osera demander la main d’une fille appartement à une famille de pervers. Et en caressant la joue de sa demie sœur, ma mère est très traditionnelle, et garder le silence fut sa façon de protéger la réputation de toute une famille, qu’elle tentait de reconstruire lors de son deuxième mariage.
Et leur petite conversation portant sur le passé honteux de leur père, prit fin lorsque la porte s’ouvrit brusquement, et les pleurs s’accentuant de plus en plus d’Amine, ne la laissait pas bras croisés. Elle courut vers lui et le serra contre elle fortement.
- Qu’est ce qu’il y a mon trésor ?
Le petit pleurait sans dire le moindre mot alors elle leva la tête sur Nader, debout et fumant froidement un bout de cigarette.
- Je peux savoir, où t’étais passé ?
Il prit un souffle de sa cigarette et dit.
- On a fait un petit tour entre mecs au centre ville ! et en cherchant le petit de son regard, n’est ce pas Amine ?
Le petit, secoua la tête pour dire oui et murmura d’une voix basse.
- J’avais peur.
Elle le serra contre elle tendrement, sous le regard épatée d’Abir et dit en l’embrassant sur le front.
- Maman est là, maintenant !
- Maman ? s’écria Abir, en riant.
Et là, Nader lui coupa la parole en la grondant.
- Je peux savoir, ce que tu fais ici ?
Elle souriait, et s’écria en se moquant, sans baisser les yeux.
- Je suis venue proposer mes services en tant que babysitter puisque votre bordel va devenir une crèche !
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Ghada, passait tout le weekend enfermée chez elle à l’appartement. Elle tentait à maintes reprises de contacter son amant, mais elle ne parvenait jamais à lui parler. Et comprit finalement, l’inutilité de ses coups de fils. Elle acceptait, à contre cœur, la fin de son amourette avec l’avocat, et se trouvait dans l’obligation de tourner la page.
Mais elle ne le faisait pas définitivement. Elle dénichait dans le répertoire de son Gsm le numéro de son détective privé, et osa l’appeler pour la première fois, sans recourir à Béhéeddine.
- Salut, Ghada ! quel plaisir d’entendre ta voix par téléphone…
Le visage, sombrant dans un océan de tristesse, elle répondit.
- Est-ce qu’on peut se voir ?
- Quand ça ? aujourd’hui ?
- Oui, si c’est possible ! dit-elle, d’une voix très calme.
Borhen, toussait un peu comme pour reformuler sa réponse et dit après réflexion.
- Ok, en tout cas, c’est le dimanche !
Une heure après, vers les 11H, Il s’installait face à elle dans une cafétéria à la Marsa. Il était ponctuel et était venu à temps. Il la trouvait, assise au fond de la cafétéria, buvant un café crème.
- J’espère être arrivé à temps.
Elle traça un sourire et murmura.
- Comme un allemand.
Il croisa les bras et continua.
- Alors mademoiselle Ghada ! que puis-je faire encore pour toi.
Elle posa sa main sur son genou et dit calmement.
- Je suis mariée !
Il sembla, très étonné, et s’écria.
- Mais Béhéeddine m’avait dit que…
- Il avait tort ! dit-elle, en levant sur lui un regard froid. Cette femme qui se trouve à Djerba est ma belle mère, et en avalant sa salive, et je désire la rencontrer.
Il saisissait sa tasse du café, buvait le reste, et dit en souriant.
- Et tu veux que je te raccompagne ?
- Exactement ! dit-elle en croisant les bras.
Il alluma une cigarette avec un soin méticuleux et releva la tête en exhalant la fumée par le nez.
- Ok, je réfléchirai à ça et je…
Elle lui coupa la parole, énervée et s’écria.
- Je veux qu’on parte maintenant.
- Maintenant ? et en riant, ce n’est pas à deux pas d’ici ma jolie, c’est à Djerba.
- Je sais ! dit-elle le regard coléreux, on n’ira par sur le bus mais on prendra l’avion.
Il versa de l’eau dans un verre, et répondit, sans la quitter des yeux.
- Oui, mais quand même, je dois me préparer, tenir ma femme au courant pour ce voyage au sud ! et en la regardant aimablement, et toi aussi, tu dois informer ton époux.
Elle hocha la tête doucement et dit, à voix basse.
- L’informer est le dernier de mes soucis.
Il la regarda longuement et murmura.
- Je comprends très bien que tu l’en voudrait pour t’avoir caché l’existence de sa mère, mais de toute façon, les visites dans cette maison de retraite sont interdites le dimanche ! je te rappelle que j’ai passé une semaine à Djerba.
Et en souriant agréablement.
- On ira, au cours de cette semaine si tu veux !
Comme elle ne proférait le moindre mot, il poursuivait.
- Je ne sais pas pourquoi tu tiens à la voir ! et voulant rigoler, une jeune mariée aurait été heureuse de ne pas connaitre sa belle mère.
Et se laissa emporter par un court rire. Mais comme elle n’appréciait pas son humour noir en restant silencieuse, les yeux fixés sur le sol, il reprit sérieusement.
- Mais en tout cas, je ne crois pas, qu’elle te sera d’une grande utilité. Et en dégageant de la fumée, si tu tiens à avoir une bonne explication de son exil, tu ferais mieux de confronter ton mari.
Intriguée, elle le regarda du coin de l’œil et se demanda.
- Pourquoi elle ne me serait pas d’une grande utilité ? et d’une certaine gêne dans la voix, il y a-t-il un truc que Béhéeddine a oublié de me rapporter ?
Il hésita un petit moment et dit.
- Je ne sais pas si c’est d’une grande importance ou pas mais…
- Mais quoi ? s’écria-t-elle au bout des nerfs.
Il écrasa le bout restant de sa cigarette dans le cendrier et dit à voix très basse.
- Elle a la maladie d’Alzheimer !