Electrochoc

Publié le 03 mai 2010 par Araucaria
  • Virus du VIH

Quand ceux qui vont
Quand ceux qui vont, s'en vont aller,
Quand le dernier jour s'est levé
Dans la lumière blonde,
Quand ceux qui vont, s'en vont aller,
Pour toujours et à tout jamais
Sous la terre profonde,
Quand la lumière s'est voilée,
Quand ceux que nous avons aimés
Vont fermer leur paupières,
Si rien ne leur est épargné,
Oh, que du moins soit exaucée
Leur dernière prière :
Qu'ils dorment, s'endorment
Tranquilles, tranquilles.
Qu'ils ne meurent pas au fusil,
En expirant déjà la vie
Qu'à peine, ils allaient vivre,
Qu'ils ne gémissent pas leurs cris,
Seuls, rejetés ou incompris,
Eloignés de leurs frères,
Qu'ils ne meurent pas en troupeau
Ou bien poignardés dans le dos
Ou qu'ils ne s'acheminent
En un long troupeau de la mort,
Sans ciel, sans arbre et sans décor,
Le feu à la poitrine.
Eux qui n'avaient rien demandé
Mais qui savaient s'émerveiller
D'être venus sur terre,
Qu'on leur laisse choisir, au moins,
Le pays, fut-il lointain,
De leur heure dernière.
Qu'ils aillent donc coucher leurs corps
Dessous les ciels pourpres et or
Au-delà des frontières
Ou qu'ils s'endorment, enlacés,
Comme d'éternels fiancés
Dans la blonde lumière.
Quand ceux qui vont s'en vont aller
Pour toujours et à tout jamais
Au jardin du silence
Sous leur froide maison de marbre
Dans les grandes allées sans arbre,
Je pense à vous, ma mère.
Qu'ils aient, pour dernier souvenir,
La chaleur de notre sourire
Comme étreinte dernière.
Peut-être qu'ils dormiront mieux
Si nous pouvons fermer leurs yeux.
Je pense à vous, ma mère.
Qu'ils dorment, s'endorment
Tranquilles, tranquilles...

Barbara
Aujourd'hui pas de poème, pas d'extrait de livre. Non, rien qu'un souvenir, qu'une prise de conscience, qu'un malaise.
Il y a quelques jours à la suite du dépôt d'un extrait du livre de Ph. Besson "Un homme accidentel", mon ami Nigloo écrivait en commentaire que la fin du roman l'avait chamboulé.
Je comprends tout à fait qu'un film ou un roman, émeuve, perturbe, laisse un gout de cendre dans la bouche. Cela m'est arrivé plusieurs fois de ressentir cette sensation très désagréable... mais cela finit par s'atténuer avec le temps car il s'agit de fiction. Le malaise est bien plus sérieux lorsqu'on se trouve confronté à un récit, donc à la réalité.
Cela remonte à il y a un bon nombre d'années, je ne sais plus où je me trouvais. Plus à Paris, je crois ..., j'ai oublié... Comme j'ai oublié aussi dans quel lieu je me suis emparée de ce magazine, ce devait être dans un cabinet médical, mais de cela non plus je ne me souviens pas... Par contre, ce que je garde en mémoire, c'est le long article que j'ai lu ce jour-là. Pourquoi d'ailleurs ai-je lu cet article, je n'étais pas concernée, enfin si mais indirectement car je n'étais pas indifférente à cette maladie dont on parlait de plus en plus mais encore à mots couverts, mais je n'étais pas une personne potentiellement à risque pour le monde médical -un peu plus tard, lorsqu'il y a eu l'affaire du sang contaminé, et aussi de plus en plus de membres de la population hétérosexuelle touchée par le fléau, le regard a changé, une prise de conscience quasi générale a eu lieu, mais nous n'en étions pas là-... Un nom m'a frappée, c'était celui d'un hôpital de la périphérie de Paris, où je m'étais rendue très souvent. Cet article était bien écrit, le magazine était sérieux, le journaliste aussi. Pas de pathos, il s'agissait seulement d'une histoire simple, tragique, relatée avec respect et sensibilité. Nous en étions aux premiers temps de la découverte du Sida, ou du moins l'opinion publique commençait à apprendre que cette maladie faisait de plus en plus de victimes. L'article était consacré à une de ces victimes. Ce jeune-homme travaillait dans l'univers de la mode ou celui du spectacle, il était homosexuel. A cause de cette différence, il était ignoré par sa famille. Hospitalisé, il n'a reçu aucun réconfort. Il est mort seul. Personne non plus pour les obsèques. Il a été enterré dans le carré des indigents de la commune où se trouve l'hôpital...
J'ai été vraiment bouleversée lorsque j'ai lu cette histoire. Cette maladie était la peste des temps modernes, elle faisait peur, et parfois au lieu de ressentir de la compassion pour les malades, les gens, même le personnel hospitalier, leur jetaient un regard plus que réprobateur. Et que penser des familles, qui laissaient ainsi partir pis qu'un chien un de leurs enfants, parce qu'il était différent, ne rentrait pas dans le moule? Rejetée par ma famille pour d'autres raisons (peut-être justement parce que j'étais trop hétéro à leurs yeux), j'ai eu de la compassion pour ce malheureux garçon... Si j'avais été homosexuelle, quelle attitude mes parents auraient-ils eu? Et combien de familles agissent ainsi?
Plusieurs années après avoir lu cet article, j'ai été proche de deux homosexuels. Je ne l'avais pas cherché, ils sont entrés dans ma vie, l'un après l'autre, comme "deux hommes accidentels". L'un des deux a été emporté par le Sida, l'autre avait déjà choisi de quitter la vie. Plus tard, évoquant cette situation dramatique avec des psychiatres, ceux-ci m'ont affirmée que bien souvent les parents préféreraient un enfant mort à un enfant homosexuel...La chape de plomb qui pèse sur ces secrets de famille, ces non-dits, me semble de moins en moins lourde, les mentalités évoluent lentement, mais évoluent quand même. Il était temps...Temps d'accepter comme l'écrit Lalanne "Qu''aimer une fille ou un garçon, c'est aimer, de toute façon", temps d'admettre que ces hommes ou ces femmes différents de par leur sensibilité ne sont pas des criminels.
Je vais mettre un terme à cette réflexion pour aujourd'hui, mais je reviendrai sur ces sujets, en vous proposant quelques lectures, notamment des livres écrits par Hervé Guibert.