D'autre part, il est possible de s'approcher des tableaux de très près. On a la possibilité physique de les toucher. Je ne l'ai pas fait, mais je me suis retenue. L'épaisseur de la matière, son volume, ses alternances de matité et de brillance suscitait chez moi cette envie de toucher. Toucher pour comprendre et toucher pour caresser le relief, le sentir. Alors, je les ai touchés avec les yeux.
Dernière expérience : les grands formats. Le champ de vision entièrement rempli par le tableau. Cela modifie encore la vision, la coupe de toute distraction, offre la possibilité d'une perception centrée entièrement sur un seul objet, une seule couleur déclinée en subtiles vibrations. Et par moments, ma perception visuelle m'a parue presque musicale, comme on pourrait parler de la matité ou de la brillance d'un son...
Je suis ressortie de cette exposition très apaisée mais physiquement fatiguée. Tout au long de la journée et des jours suivants, des images des tableaux me revenaient très précisément. J'ai analysé intellectuellement ce que j'avais vu, les moyens employés par Pierre Soulages pour produire ces effets, la manière dont j'avais réagi à ses œuvres. J'ai réfléchi à ses phrases. Ma perception a été bien plus sollicitée que d'habitude et sur des modes variés et imprévus, mais j'ai ressenti bien plus que des illusions d'optiques. En fait, les mots échouent à rendre compte de cette expérience. Cependant j'ai réellement ressenti une émotion artistique, élaboré des ressentis et du sens devant ces toiles. J'ai tout simplement été face à un langage plastique ouvert. A relier aux phrases de 1948 et de 1971.