Le vieil homme tourna la tête vers la jeune femme en blanc, joli brin de fleur se dit-il ,puis il revint à ses pensées, des souvenirs, les siens, ceux de sa jeunesse, de son métier, celui de pêcheur de crabes, quelle ironie du sort ! Il devait se venger, maintenant, le crustacé en dévorant son corps…
Il s’était toujours demandé pourquoi les gens associaientcette maladie à un animal si inoffensif, mais bon, il est vrai avec un nom barbare comme brachyura ça fait pas rêver !
Son regard s’attarda sur le vol merveilleux du Goéland jouant au loin avec les vents, frôlant l’écume pour remonter dans les nuages, plongeant dans les rouleaux à nouveau ; la vie, celle qu’il allait quitter bientôt, les paroles des visiteurs gentils, les mots des ses enfants ou familiers, ses paroles pleines d’espoir de lendemain festif, promesse d’une rémission utopique, tout ça ne le touchait vraiment plus
Il naviguait sur les flots, entre calmants et visites, soins et mots rassurants, une fin de voyage paisible et inquiétante à la fois, sauf que ce dernier parcours, il le ferait seul. Le vieil homme passa une main déjà parcheminée sur sa tête complètement lisse comme la boule en cuivre à l’avant de sa barque de pêche, ce geste machinal, temps de fois répété ,lorsque pour remettre sa vieille casquette patinée par le sel et la sueur, sur des mèches blanches comme la plus pure des neiges ,ses doigts forts et noueux ne le faisaient pas souffrir.
Le goéland au loin replongea dans les rouleaux écumants de l’estuaire de la gironde, ce fleuve qu’il avait tant aimé, au loin les carrelets de bois, petits havres de paix lui firent se souvenir d’une de ses rares lectures où il était question de moulins à vent et le héros imaginaire de Cervantès : Don Quichotte, un hidalgo un peu fou et beaucoup rêveur luttait contre la méchanceté et poursuivait des rêves utopiques…
Lui aussi menait son dernier combat qui n’avait rien d’imaginaire.
La jeune infirmière chargée des soins, remarqua en entrant le visage du patient tourné vers le rivage un sourire accroché à ses lèvres, le vieux pécheur semblait contempler le rivage où, soudainement, le calme revenait comme si une belle âme, naviguer sur ses eaux ne voulant pas la bercer trop fort.
La jeune femme crut voir, l’espace d’un instant, dans les yeux bleus du vieil homme comme deux ailes blanches, celles d’un …….goéland…