Un tout petit aperçu, les toutes premières lignes...
Oui, je sais, c'est ancien, démodé peut-être, mais j'aime bien me replonger dans la lecture de certains classiques. Et puis en ce moment, je n'ai pas trop la main heureuse avec les livres. Je suis sans doute particulièrement exigeante, donc déçue par mes dernières lectures. J'aurais pu m'abstenir d'acheter certains titres, je ne devrais plus m'obstiner à lire quelques auteurs.
Un télé-film est passé dernièrement, que j'ai regardé. Petite-fille je m'étais rendue sur Le Grand Bé, ilôt faisant face à Saint-Malo, ou se situe la sépulture de Chateaubriand. Premier contact avec un grand nom de la littérature, j'avais 6 ans.
Cet extrait, je l'offre à tous les jardiniers qui me font l'honneur de venir me lire.
Photo l'InternauteLa Vallée-aux-Loups, près d'Aulnay, ce 4 octobre 1811.
Il y a quatre ans qu'à mon retour de la Terre-Sainte, j'achetai près du hameau d'Aulnay, dans le voisinage de Sceaux et de Chatenay, une maison de jardinier, cachée parmi des collines couvertes de bois. Le terrain inégal et sablonneux dépendant de cette maison, n'était qu'un verger sauvage au bout duquel se trouvait une ravine et un taillis de châtaigniers. Cet étroit espace me parut propre à renfermer mes longues espérances ; "le temps de notre vie étant court, écarte le long espoir." Les arbres que j'y ai plantés prospèrent, ils sont encore si petits que je leur donne de l'ombre quand je me place entre eux et le soleil. Un jour, en me rendant cette ombre, ils protégeront mes vieux ans comme j'ai protégé leur jeunesse. Je les ai choisis autant que je l'ai pu des divers climats où j'ai erré; ils rappellent mes voyages et nourrissent au fond de mon coeur d'autres illusions.
(...)
Ce lieu me plaît; il a remplacé pour moi les champs paternels; je l'ai payé du produit de mes rêves et de mes veilles, c'est au grand désert d'Atala, que je dois le petit désert d'Aulnay; et pour me créer ce refuge, je n'ai pas comme le colon américain, dépouillé l'Indien des Florides. Je suis attaché à mes arbres; je leur ai adressé des élégies, des sonnets, des odes. Il n'y a pas un seul d'entre eux que je n'aie soigné de mes propres mains, que je n'ai délivré du ver attaché à sa racine, de la chenille collée à sa feuille; je les connais tous par leurs noms comme mes enfants : c'est ma famille, je n'en ai pas d'autre, j'espère mourir auprès d'elle."
François-René de Chateaubriand - Mémoires d'Outre-tombe - Classiques Larousse