Magazine Journal intime

Solitude recours

Publié le 24 janvier 2010 par Thywanek
Lorsque nous aurons cessé d’être ce qu’on nous a appris. Ce qu’on aura voulu que tu sois. Ce que tu auras cru devoir devenir. Et quoi. Et qui. Lorsque nous aurons dévidé nos bobines de soi et que nous nous rendrons compte que nous ne faisons plus que remonter le fil, le même, nu, ou chargé de ce dont nous aurons cousu, recousu, brodé, enrichi le cours, ou démêlé de ses embarras compris ou ignorés, ou remplacés par d’autres, ou augmentés par destination.
Il y a du vent. Beaucoup de vent dans les murs, même de voiles, de briques, de béton. Sur les frontières. Sur les limites armées. Sur les grilles privatives. L’Histoire ne s’est pas remise de ses dernières folies. Personne ne reviendra de l’autre côté, avant ce siècle, là où les noirs chaudrons du pire furent enfin renversés sans qu’on ait réellement pris garde à ce qui allait se répandre, tout à l’euphorie ou aux calculs qui suivent les victoires dévolues aux peuples pour qu’ils puissent nourrir de nouvelles espérances.
Tu ne parviens encore à voir que d’un œil à la fois. Que d’une part de regard. Une vue incomplète. Mais au fur et à mesure que tu regardes, tu te sens bien disparaître derrière tes yeux. Ou plutôt tu ne disparais pas mais tout ce qui t’emplit te diminue. Ton importance ne tient plus. Pas celle qui s’est ajoutée, non, celle que tu as toujours eu. Pas celle qu’on a pu te donner. Mais celle, sérieuse et sévère, disponible et marcheuse, naïvement fière ou sombrement douteuse, que tu t’es offerte de toi-même, à part le monde, à part les autres. Tu imagines peut-être tout ce dont tu vas être mené à te défaire. Tu écoutes, l’effroi contestant ton rire, les gardiens étroits des statuts quo. Tu prendrais chaque article de telle ou telle information, sur tel ou tel sujet, tu les photocopierais sur des feuilles transparentes, tu les superposerais, et tu essaierais de déchiffrer un nouveau texte. Des nouvelles de l’intime et des nouvelles de guerre. Des nouvelles du pays et des nouvelles d’une catastrophe. Des nouvelles du pôle nord et des nouvelles de scandales.
Comme ça ou autrement. Le brouillage est parfait.
Et toi seul à lire ce nouveau charabia. Tu ne lis rien. Tu sens en revanche se tendre un reflet, une esquisse, une hypothèse. Tu es d’une rue. Tu es d’un amour. Tu es d’une famille. D’une filiation. Tu es de quelques choix bien que tu aies accepté leur relativité. Tu es d’une couleur. Tu es d’une époque. De quelques musiques et de quelques films. D’un dieu ou de son absence absolue. Tu es de quelques livres et d’un enseignement. Tu es d’un sexe, d’une beauté, t’a-t-on dit, d’une nature, d’un mouvement.
Et s’il fallait que tout cela pèse moins que nous.
S’il fallait n’être plus que ce que ça laisse comme trace.
De quoi serais-tu fait alors.
Une fois réduit ce qui nous meuble à l’intérieur. Une fois fondu le poids des savoirs arrêtés. Tombées les couches d’identité. Dénouées les articulations des raisons arthritiques. Une fois infusée en toi la juste part suffisante dont l’esprit a besoin.
Tu apprendrais que tu es seul de nouveau. Comme lorsque tout était à faire. Que tout était à dire. Mais seul. Comme on ne sait peut-être plus.
Seul à force de n’être plus que soi. Et à force de n’être plus d’un temps ou d’un lieu. D’une croyance enlivrée. D’une foi souveraine. D’une idée monolithe. D’un système proclamé.
Seul avec la mémoire. A laquelle devoir inventer une solution. Qu’elle ne parle plus à travers ses voix supérieures d’apôtres ou de sirènes. Qu’elle cesse de gagner l’avenir avant qu’on ait su en décider autrement.
Seul au bout des arbres. Et déjà plus qu’un souffle pour propager une prochaine humanité.
Seul de tout ce qui a été dit et écrit, et redit, et réécrit. Pire que du sel. Et tout son goût dissout et toute sa force vaine.
Et tu t’éloigneras. D’une manière ou d’une autre. Si tu es bien encore celui que tu es. N’emportant que l’essentiel. Chacun, chacune sa géométrie, sa poésie, son sens d’autrui, son essai, sa petite voix dans une grande pièce vide, son incomplétude, son devoir opiniâtre, sa nue tentative.
Tu t’éloigneras de plus en plus nombreux. Comme nous. Comme tous.
Tous filles et fils de ceux qui ont tué pour ne pas être tués, ou qui ont été tués par ceux qui ne voulaient pas l’être.
Tous spectateurs, même indifférents, de ravages sans autre fin que d’imprécises accalmies avant de nouveaux désastres.
Tous comptables sans rangs des opulents négoces et messagers démocrates porteurs de bonnes nouvelles dans des urnes sourdes.
Ici oscillant entre une confiance immature aux oreilles de coquillages et des oublis d’usines à camisoles d’images et perfusions de sons.
Là hantant des plaines délaissées transpirantes, et des ateliers de verbes, des défaites à digérer et des visions labyrinthiques, des archives aléatoires, des pages minutieuses à l’entrée de chemins millimétrés, des ambitions de redevenir discours.
Certains, en alternances, un peu ici , et un peu là. Ou nulle part. Dehors aussi. Des dehors bassement et sinistrement cruels. Des dehors hautement et régulièrement préservés. Les premiers abandonnés à des jungles honteuses, à des zones hors lois, à des camps de rétention. Les seconds élevés en donjons méprisants, en sanctuaires interdits, en coffres-forts célestes.
Tu te doutes de ce qui t’attend si tu ne t’en vas pas de là.
Tu conserves une peur en toi. Tu l’as triée parmi toutes celles qui ont peuplé les siècles. Tu l’as prise sans forme, sans titre, sans crime, sans haine. Tu l’as choisie froide, jeune et sans raison, à l’image de la peur qu’inventent les enfants en découvrant l’inconnu, inconscient qu’il s’agisse d’une alliée pour avancer dans l’ombre et braver la menace au cas où elle se manifesterait.
Et tu parles déjà à cette solitude inédite qui t’accompagne. Tu lui confies ta connaissance. Et elle te la rendra. Puisque jour après jour tu vas réapprendre. Puisque jour après jour tu vas redevenir. Vouloir être. Partager, si tôt tu seras toi aussi partagé.
Nous parlons à nos solitudes. Mêmes que la tienne. Et tu te demandes, comme nous, si elle ne va pas te rendre fou.
Comme si, dés le début, nous n’aurions jamais dû en sortir.
Comment la question se poserait-elle une nouvelle fois.
Maintenant que c’est à nous condamner que nous sommes seuls.
Tu as probablement deviné : c’est cette question-là qui se rapproche.
La solitude n’y est pour rien.
Et personne n’a disparu.
Excepté se sentir heureusement plus léger.

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