Moi Caroline K… athée… désorientée

Publié le 08 mai 2010 par Orangemekanik

J’avoue qu’en tant que française d’origine allemande, j’ai déjà eu à me justifier sur le passé de mes ancêtres. Mes ascendants « les boch ». Des gens qui voulaient savoir si y’avait eu des nazis dans ma famille. Voire des SS. Ou des flics de la gestapo. Y’en a qui pensaient que sûrement. Que cétait pas possible autrement. D’autres qui pensaient que non. Pas forcément. Mais ça finissait toujours bien. Comme quoi j’y étais pour rien. Dans tout ça. Ca a duré jusqu’à la réconciliation franco allemande. Sous Mitterrand. Depuis, plus rien. Même mon nom, quand je l’épèle, avec un K en initiale, on me demande plus son origine. Finies les vannes douteuses et les sous entendus déplacés de mes concitoyens quant à l’existence potentielle d’un antisémitisme congénitale et héréditaire. Consanguin. Inhérent à l’Allemand et toute sa descendance. Bref. Tout ça pour dire qu’en tant que française occidentale d’origine germanique blanche, mais pas blonde aux yeux bleus, j’ai subi la connerie curiosité de mes semblables, mais j’ai jamais subi le racisme par délit de faciès. Jamais eu à prouver que j’étais Française. Même dans la rue. On m’a traitée de sous-merde, de moins que rien, de parasite social, de voleuse, de pouilleuse, de fainéante, ou même de pute, quand je refusais la main qu’on me tendait quand c’était pas forcément une main que je voyais tendue… mais j’ai jamais eu à justifier de mon identité. C’est même pour ça que c’est toujours moi qui m’y collais. Quand on payait par chèque volé. Ou sans provision. Avec Mohamed et Téo. Rachid. Et toute la clic. Parce que quand c’était eux, c’était grillé direct. Alors que moi, avec mon air angélique et innocent d’européenne blanche comme neige, je pouvais dévaliser toutes les boutiques sans être inquiétée de ne pas avoir mes papiers. Et même quand je les leurs proposais, ils me disaient toujours la même chose. Les commerçants. Comme quoi fallait pas se fier pas aux apparences. Mais qu’on voyait quand même à qui on avait à faire.
Je savais depuis longtemps que les gens étaient comme ça. Que pour eux, l’habit ne faisait pas le moine. Mais qu’il y contribuait. Alors j’en profitais. J’en jouais. J’en abusais. Peaufinant mon rôle de cliente reine. Mijaurée un peu timorée. Arrogante mais polie. Indécise mais sûre d’elle. Il faut dire que j’avais été à bonne école. Avec mon ex belle mère. C’était comme une revanche. Pour moi. Un pied de nez à la connerie humaine. Aux clichés. Aux à priori. Je vivais le racisme par procuration. Et je m’en amusais beaucoup. Ca compensait avec toutes les fois où je voulais les buter. Tous les jaloux qui nous enviaient rien qu’à nous regarder. Parce qu’on était heureux. Et pas eux. Ceux qui me disaient que j’étais en danger. Avec des lascars de cité. Des voyous qui me retenaient forcément contrainte. Et forcée. Parce que ça se pouvait pas que ce soit mon choix. Encore moins que je l’assume. Ca dépassait leur entendement que je me sente plus en sécurité entourée d’Arabes et de noirs que de garçons bonnes façons au dessus des soupçons.” Très blancs. Très blonds. Très propres. Genre idéal national socialiste”*. Et qui savaient mieux que moi que dans les quartiers chauds, tu pouvais même plus rentrer, maintenant. Comme disait la télé qui focalisaient déjà sur ces nouveaux territoires ghettoïsés. Hostiles. Et mal famés. Les bandes de jeunes qui squattaient les halls des immeubles. Vocabulaire et casquettes à l’envers. Même si c’était pas encore un délit. En 1992. Et je leurs répondais toujours : « Toi, tu peux plus rentrer… Ou plus sortir… Je sais pas… », parce que j’en avais marre d’expliquer que l’insécurité, je la voyais de l’autre côté. Que la racaille j’y croyais pas. Que j’avais pas peur. En tout cas. Et que c’est sûrement pour ça qu’il m’arrivait jamais rien. Soit disant que je me voilais la face. Que je me raccrochais à une image des cités complètement dépassée des années 70/80. Celles qui avaient bercé mon enfance et mon adolescence. Soit disant qu’on en reparlerait. Et que ce serait pas la peine de venir pleurer. Le jour où il serait trop tard. Parce qu’ils m’auraient assez prévenue des dangers. Des risques que je courais. C’est claire que je leurs ai jamais fait ce plaisir. Quand Mohamed et Théo sont morts. Et pas moi. A ces gros racistes de base inavoués. Et même ceux qui s’en défendaient. Qui se croyaient immunisés parce qu’ils étaient de gauche. Dans le social. Ou dans l’éducation nationale. Et qui brandissaient ça comme une preuve. Une couverture. Alors que le social, j’y croyais encore moins qu’en Dieu. D’jà. A l’époque. Vu que mon beau père était éducateur. Et que c’est pour ça qu’on l’avait quittée, nous, la cité. Dix ans auparavant. Parce qu’il avait l’impression de jamais quitter son taf. Comme il disait. Tout socialiste qu’il était. Le berger qui remettait les brebis égarées dans le droit chemin. De gauche mais français avant tout. « Et pas prêt de pointer au chômage ». Comme il ajoutait toujours. Sur le ton de la boutade. En débouchant un bon Vieux Pape. Pour trinquer à la santé des gros beaufs qu’aimaient pas les Arabes. Car pour mes parents, le beauf, c’était toujours l’autre. Le voisin. Le collègue de taf. Le commerçant du coin. Tous les français moyens qu’eux ne pensaient pas être. Et qui buvaient du Préfontaine. Ou de la villageoise.

Pour mes parents Vitry c’était qu’une escale. La vie dans la cité, un passage obligé. Le prix à payer pour pouvoir la quitter. Un jour. Pour moi, c’était une parenthèse enchantée qui s’était refermée beaucoup trop brutalement. Trop rapidement. Au bout de dix ans. Avec mon enfance et mon adolescence dedans. Pour moi Vitry c’était magique. Le paradis. L’endroit où on aurait du venir bien plus tôt. En vacances. Dans ce VVF* flambant neuf. Cet appartement immense qu’on louait. Pour l’été. Dans ce bâtiment immense. Son hall d’entrée immense. Au milieu d’autres tours. Immenses. Et de parkings immenses. Des milliers de copains et de copines. Vitry, c’était mieux que tous les voyages qu’on avait jamais fait. Sauf que c’était pas un voyage. Ni des vacances. Mais l’été pour l’éternité. Parce qu’on n’allait pas retourner à Fresnes. Ni à la rentrée. Ni jamais. Ici c’était chez nous maintenant. On allait rester toute la vie. Jamais se quitter. Moi et mes nouveaux amis. Tous les soirs, on irait jouer dehors. Aux billes. A la corde à sauter. A l’élastique. C’était trop beau pour être vrai. C’était aussi la première fois que je voyais des Arabes. Ces gens qui voyaient la France comme une chance. Comme un cadeau. Pour leurs enfants. On dit que leur Histoire et la notre sont liées. La mienne en tous cas, l’est. Depuis que j’ai neuf ans. J’ai grandi avec eux. Ces enfants qui ne devinrent jamais complètement français. Dans la tête des gens.

Mes parents m’avaient toujours dit que les Arabes étaient des gens comme les autres. Sauf qu’ils étaient encore plus pauvres que nous. Et Musulmans. Mais je m’en foutais. Je savais pas ce que ça voulait dire. Musulman. Je voyais ça comme une profession. Au début. A l’époque, on parlait pas encore d’islamophobie. Ni d’islamisme intégriste. On doutait pas de l’intégrité religieuse de ces croyants. Ni de leur foi. Mais on doutait déjà de leur intégration au sein des pays des droits de l’homme blanc. Et un peu de la femme. On doutait aussi de leur santé mentale à cause des crimes qui s’étaient perpétrés à Marseille. L’année de notre arrivée. Ces crimes aléatoires et racistes qui m’avaient tellement choquée que pendant toute une nuit, j’avais rêvé que je mangeais ma copine. Pour la protéger de tous ces tarés. Elle. Ses frères, ses sœurs, son daron sa daronne. Et les autres. J’avais bouffé tout le monde. Tous mes voisins rebeus. On s’était retrouvé tout seul. Dans la cité. Avec les Portugais du 6ème et les Chinois du 9ème. Un vrai cauchemar.

Dans ma cité, y’avait surtout des Algériens. Beaucoup de Marocains. Et quelques Tunisiens. Ils étaient tous là depuis une trentaine d’années. En France. Non pour profiter de son gentil système. Mais pour la reconstruire. A la place de certains Français qui rechignaient aux travaux pénibles. Ne voulaient pas salir leurs petites mimines blanches. Et fragiles. Dans les usines. Encore moins abimer leurs petits poumons roses bonbon à force de respirer le goudron brulant fraichement étalé sur les routes. Y’a même des gens qui prétendaient qu’ils s’étaient battus pour notre drapeau tricolore. Pendant la seconde guerre mondiale. Les Arabes. Et que beaucoup étaient tombés pour la France. Alors que le film « Indigènes », c’était même pas sorti,  encore !… C’était souvent des gens de droite. Mais cultivés. Et non racistes. Ou des gens de gauche. Mais de gauche. !… Pas socialiste j’veux dire… Les socialistes eux, c’était déjà des gros racistes qui s’ignoraient. Et qui passaient leur temps à prouver qu’ils ne l’étaient pas. S’en convaincre. Mais sans me convaincre. Parce que je trouvais ça suspect, moi, cette façon de se justifier à tout bout de champ pour s’acquitter du moindre doute. Cette façon de dire les « immigrés ». Ou « les beurs ». Parce que les Arabes, ils les aimaient bien. Mais pas au point de le dire. De prononcer le mot tabou. Sous leur faux air de bienveillance, ces pionniers de l’islamophobie avant l’heure pratiquaient un racisme subtil et raffiné. Tout en vice caché. Ils vantaient leur grandeur d’âme comme on se vante d’être généreux. Et que la générosité prend des allures de B.A. De compassion condescendante. D’histoires qu’on se raconte le soir en étalant sa bonté. Pour se flatter le nombril. S’auto-congratuler. Et se trouver bon prince. Ainsi, chaque fois que mes parents se félicitaient de ma propension à intégrer ces « nouvelles populations », j’avais la sensation qu’ils me croyaient en enquête. Genre immersion totale d’une fillette Française en terre inconnue. Infiltrée à tous les étages. Ou que je faisais une étude sociologique. Ils n’en démordaient pas. Pour eux, j’étais faite pour le social. Moi aussi. Remettre les brebis égarées dans le droit chemin. Dans l’hémisphère gauchiste ascendant socialiste du cerveau de mes parents qui ne manquaient jamais de me rappeler ô combien j’étais privilégiée, la brebis égarée, ça pouvait jamais être moi.

Pendant que le socialiste fantasmait sur ce qu’il n’était pas, ou croyait être, le communiste, lui, hésitait plus ouvertement entre Minute et L’humanité. Il n’avait rien contre le beur. Mais le préférait quand même dans ses épinards. Ou fraichement étalé sur son pain. Ce pain que les Arabes lui volaient. Comme disait Jean Marie Lepen à qui voulait bien entendre tout haut ce que chacun pensait tout bas. Selon ses élucubrations. Dans un contexte socio économique qui voulait déjà que les Arabes soient responsables de tous les maux de la France, chômage et délinquance, ce leader d’un nouveau genre savait où racoler pour colporter les discours populistes et nauséabonds qui faisaient son fond de commerce. Fort d’un racisme qui prenait ses sources dans l’ignorance et dans la mauvaise foie, il séduisait allègrement masses populaires laborieuses et paranos de l’invasion Arabe. Des névrosés de la persécution et du complot qui disaient « indigènes » ou « sauvages ». Voire ne disaient rien. Insinuaient seulement. Et fallait deviner. Voir de qui ils parlaient. Mais bon. Ils se comprenaient. Et c’était l’essentiel. Y’en a même qui voyaient la menace plutôt côté Chinois. Et beaucoup plus sournoise. Ils prônaient un racisme ordinaire. Contagieux. Et plutôt bon enfant. Comparé à ce qui m’attendait. En quittant Vitry. Quitter Vitry c’était comme de passer d’un film érotique assez soft à un film porno super hard. Rencontrer des racistes XXL qui exhibaient leur haine viscérale sans pudeur. Leur allergie épidermique aux étrangers et au vivre ensemble sans complexe. Des orgies oui… mais entre blancs. Entre Gaulois. Civilisés. Quitter Vitry c’était voir des fachos en vrai. Pour la première fois. Des gens d’extrême droite qui revendiquaient leur xénophobie haut. Fort. Et avec fierté. Comme nos nouveaux voisins qui n’avaient rien contre les Arabes bien sûre… mais qui trouvaient que « ces gens là », ça faisait quand même mieux dans une cité. Que dans le petit village qu’on venait d’investir. Déjà que mes parents étaient de gauche. Ca faisait un peu beaucoup pour ces franco-français de souche qui faisaient leur jardin en sifflotant la Marseillaise. Ces chauvinistes exacerbés qui poussaient ici de générations en générations. Depuis toujours.

Parce qu’au début encore ça allait. On avait quitter Vitry, soit. Mais mes copines passaient, le week-end. Dans notre belle maison toute neuve. On allait faire de la provoc dans le Q.G. des fafs. On disait qu’on était cousine. Que j’étais rebeuse moi aussi. Même si ça se pouvait pas. Ca les rendait dingues. Mes nouveaux petits camarades. Surtout ceux qui me kiffaient, au bahut. Les fils de bonnes familles qui se vantaient de faire des descentes la nuit dans les quartiers pour se faire des « petits lu », alors qu’ils faisaient dans leur froc dès qu’ils en croisaient un. En ville. Ou à la sortie du bahut. Et c’est vrai que mes parents paraissaient de gauche. A côté de ces forcenés du drapeau tricolore. Ces françois le français acharnés d’identité nationale Bleu. Blanc. Rouge. Jusqu’au jour où ils m’ont dit qu’ils voyaient plus l’intérêt d’avoir déménagé. Ce fameux weel end où y’avait mes copines. Justement. La dernière fois qu’elles étaient venues. Et que je les ai jamais revues. Après. Toute façon c’était plus comme avant. C’était plus comme quand on trainait en bas du bâtiment. Ou qu’on allait chez moi fumer des cigarettes et bouffer du porc en cachette. C’était plus comme quand je faisais aussi le Ramadan. Enfin le Ramadan… façon de parler un peu pompeuse. Parce que normalement, fallait même pas boire d’eau. Et que c’était encore plus dure que de ne pas fumer. Et parce que fallait pas manger avant le coucher du soleil, aussi… et que moi, à 20h fallait que je sois à table avec toute ma famille, Ramadan ou pas. Mais moi aussi je voulais me purifier. Aller au Paradis. Plus tard. Quand j’étais petite. Même si je croyais pas en Dieu. Disons que je savais pas qu’on en avait un. Nous aussi. On m’avait bien parlé du vieillard bienveillant habillé tout en blanc qui dormait dans le Ciel à côté du Papa Noël. Avec des cheveux longs et une barbe. Un peu pareil. Soit disant qu’il avait un fils qui s’appelait Jésus. Et qu’était né le jour de noël. C’est pour ça qu’on avait des cadeaux. Des chocolats à Pacques. Et qu’on mangeait du poisson pané. Le vendredi. C’est aussi grâce à lui qu’on avait des vacances. Des jours où y’avait pas école. Et moi je l’aimais bien. Dieu. Mais j’y pensais pas plus que ça. Si en plus ils étaient plusieurs !… Mais non seulement ils étaient plusieurs, mais y’avait des subdivisions. A l’intérieur. Des branches. Dans un même camp. Des sous branches. Et autant d’interprétations des livres sacrés. Le notre c’était la Bible. On était Catholique. Non pratiquant. La plus grande branche du Christianisme. On se mariait dans des Eglises. Pour la beauté de la chose. Le symbole. La divine beauté de la robe. La photo. Sacrée. La pose. Grandiose. Dieu ne tenait pas à grand-chose. On y priait, aussi. Accessoirement. Les curés baptisaient nos enfants. Et enterraient nos morts. Mais sinon y’avait Protestant aussi. Une sous catégorie de Chrétiens. Comme nous. Mais qui croyaient pas dans le Pape. Eux. Et je me demandais bien pourquoi puisque lui au moins, on était sûre qu’il existait, le Pape. Ces gens cherchaient la complication. La petite bête. Vivre sa foie en direct avec Dieu sans passer par intermédiaire, c’était certes un projet noble. Et ambitieux… Mais n’était ce pas un peu prétentieux ? Dieu n’avait jamais délégué ses pouvoirs au commun des mortels, tout Pape qu’il était, peut être… mais en quoi le seul gars de la terre qui roulait en papamobile* et qui parlait avec Dieu en direct ressemblait-il au commun des mortels ? Le Pape n’avait jamais été bébé. Ni enfant. Ca se voyait. Y’a même un curé qui me disait qu’il avait des roulettes. Notre souverain pontife. Fixées à ses pieds. Avec des pneus Good Year. Ou Michelin. Un prêtre qui s’était défroqué. Pour se marier à son tour. Parce qu’il en avait sûrement marre de donner des conseils à tous les amoureux. Sans savoir de quoi il parlait. Il disait qu’il quittait l’église mais pas Dieu. Et que Dieu le savait. Parce que Dieu savait tout. Même ce que tu cachais. Tout ce que tu pensais. Tout ce que tu faisais. Il savait mieux que toi qui t’étais. C’était un curé très gentil. Comparé à celui qui avait balancé les clochards qui piquaient des cierges dans son édifice pour pouvoir s’éclairer un peu. La nuit. Dehors. Quand le ciel était trop noir. Comparé à celui qui faisait le catéchisme. Aussi. Et qu’aimait pas les protestants. Ni les Juifs. Et ni les Musulmans. Il n’avait d’yeux que pour son Dieu. Ne jurait que par Jésus. La trinité. Le pape. C’était un fan. Un fanatique. Un fanatiste, même. J’dirais. Mais il n’était pas pédophile. Au moins.
Les Dieux étaient donc trois. En tout. Et même si je concevais tout à fait que pour toute la planète, fallait bien se partager le travail, je comprenais moins qu’ils ne s’accordent pas, entre eux. Au niveau des idées. Qu’ils n’en débattent pas. D’autant que leur message était le même pour toute l’humanité : l’amour. Ils avaient l’air encore plus compliqués que les hommes. J’avais donc décidé de n’en choisir aucun. Et de ne pas faire ma communion. Toute façon j’étais baptisée. Je vois pas de quel choix ils me parlaient. Catholique ? Ou Catholique ? En gros. Et en gros, moi, tout ce que je voulais, c’était pouvoir continuer à mentir à ma mère. Sans avoir peur d’aller en enfer. Faire des bêtises. Les quatre cents coups avec ma copine. Sans qu’une entité divine me culpabilise. Et le Ramadan. Aussi. Même un Ramadan de pacotille. Parce que ça marchait. Je le sentais. Même sur les Catholiques. Non pratiquants. Même si c’était qu’un jeu pour moi. Et qu’il fallait que ça le reste. Parce que sinon, bien la peine de se battre pour l’émancipation de la femme. Comme disait ma mère. Pas la peine que je passe le bac. Si c’était pour faire du couscous toute ma vie. Et des gosses. Comme disait mon beau père. Car le Dieu des Musulmans n’avait pas très bonne presse auprès des féministes engagées enragées.  Soit disant qu’Il était macho. Encore plus que les hommes humains. Dans un pays comme la France où la femme était une espèce presqu’en voie de libération, personne ne faisait sa promo. Son apologie. Toujours est-il que dans ma cité, je suis la seule à avoir épousé un fils de pute bien Français qui m’a mise en HP deux fois. La seule à être devenue clocharde. Aussi. Moi Caro. La petite bêcheuse de la cité qui faisait du piano. De la danse. Et qui se rendait pas compte de la chance qu’elle avait. Celle de tourner pas rond dans une prison dorée. Au lieu de tourner mal. Et en rond. Autour d’un bâtiment.

Quitter Vitry c’était pire que de déménager. Pire que la peur. Pire qu’une erreur. Pire que si on m’avait dit que je verrai plus jamais les couleurs. Ni les fleurs. C’était même pire que la douleur. Quitter Vitry c’était ne plus sentir la vie. Parce que j’avais laissé mon cœur. Dans l’ascenseur. Au cœur des doux leurres. Black. Blancs. Beurs. C’était regretter les dimanches pourris et pluvieux où il se passait jamais rien. C’était surtout vouloir y retourner. Un jour. Pour retrouver la vue. La mémoire. L’appétit. La raison. Mais surtout le sens de l’orientation. Quitter Vitry c’était savoir qu’il y avait une vie quelque part. Au parfum d’immortalité. Avoir la preuve que j’avais existé. Un jour. Dans cette cité. Où personne m’avait oubliée. Pendant toutes ces années. Un quart de siècle et j’avais l’impression de faire toujours partie de la famille. Même vingt cinq ans après.
Quitter Vitry c’était vouloir croire en Dieu à tout prix. Pour ne plus avoir peur de tomber dans le vide. Ni de trop haut. Et ni trop bas. Ne plus avoir peur de tuer des gens. Ni de mourir. Croire en Dieu. Et s’en remettre à lui. Le mien s’appelait la folie. Il régnait en maitre sur cette terre d’asile. Qui portait vraiment bien son nom.

Moi Caro

Matée dans les mitards étriqués des HP barbares

J’ai surtout connu les trottoirs

La vie en dépotoir

Et les âmes isolées

Camisolées

Tout au fond des asiles

De cette terre d’asile

D’autres textes sur Vitry sur Seine :

1973 dans le 94

94400 Vitry sur Seine gravée dans ma mémoire

De battre son coeur sest arrêté

* VVF : Village Vacances familiales très tendances dans les années 70/80

* Réplique tiré du film “Ma femme s’appelle revient” avec Michel Blanc

* Les premières papamobiles n’étaient pas blindées. Elles ne l’ont été qu’après l’attentat contre le Pape JPII