Le crime et le châtiment à Orsay

Publié le 09 mai 2010 par Alainlecomte

Victor Hugo a dit (de mémoire) que face à la peine de mort, on pouvait demeurer longtemps sans avis, jusqu’au jour où on voyait de ses propres yeux une guillotine. C’est l’expérience offerte en ce moment au Musée d’Orsay dans le cadre de l’exposition « Crime et Châtiment », organisée sous la direction de Jean Clair et sur une idée de Robert Badinter. Magnifique travail d’érudition et de sensibilité qui nous sort de nous-mêmes et nous fait basculer dans la réalité humaine du sordide, dont, malgré les espoirs mis dans le progrès au XIXème siècle, nous ne sortirons probablement jamais. Le crime est de toutes les époques. L’exposition commence par une salle dévolue à ses aspects religieux et mythiques : d’abord le crime de Caïn tuant  Abel premier crime de l’histoire selon la Bible, qui entache à jamais l’espèce humaine de ce lourd fléau : l’engeance issue des amours charnelles d’un homme et d’une femme connaîtra le crime. Dans le livre publié à l’occasion de cette exposition, Robert Badinter, auteur du premier chapitre choisit d’ailleurs pour titre : « sous le signe de Caïn », il y relève que ce premier crime est inséparable d’une prescription divine : que nul ne porte ensuite atteinte à la vie du fratricide ; pour cela Dieu lui-même marque au front Caïn « pour que quiconque le trouverait ne le tuât point ». Nous ne comprendrons décidément jamais pourquoi tant de pieux Américains, adeptes de la Bible et des Evangiles sont en faveur de la peine de mort. Sur ce registre de Caïn, il faut signaler cette effrayante peinture de George Grosz, qui date de 1944 : « Caïn ou Hitler en enfer » qui représente le dictateur nazi s’épongeant le front, assis sur un tas de squelettes alors que les flammes de l’enfer créent autour de lui un fond rouge.

L’auteur a sûrement voulu signifier que l’aboutissement ultime du crime de Caïn était dans la barbarie nazie, revêtant celle-ci, du coup, d’une surprenante signification mystique. Mais dès qu’on franchit la porte de la seconde salle, l’univers du crime bascule du religieux et du mythique vers la recherche d’une rationalité. Le XVIIIème et le XIXème siècles se demandent quelles sont les racines du crime et comment les extirper. La punition n’est plus alors divine, c’est celle des hommes. Elle devra être graduée en fonction des crimes commis. Certains de ceux-ci, comme le parricide, jugé particulièrement scandaleux, sont punis d’une mise à mort entourée d’un cérémonial particulier : avant l’exécution proprement dite, le supplicié se voit le poignet droit tranché. Les artistes du XIXème, Géricault en particulier dessinent des exécutions, ainsi de cette « scène de pendaison à Londres » où l’existence de trois condamnés permet à l’artiste de raconter les différents moments qui précèdent la pendaison : le pasteur qui donne les derniers sacrements à celui qui a encore la face libre de tout voile, que le dessinateur représente comme ayant des yeux immenses, fixes et hagards, l’aide qui enfile des cagoules sur les têtes des deux autres pendant qu’un troisième personnage, perché probablement sur un tabouret, vérifie que la corde est bien fixée. Georges Rouault illustrera aussi le supplice (Homo Homini Lupus), lui qui écrivait :

Le condamné s’en est allé
Indifférent et fatigué
Son avocat en phrases creuses
Et imposantes
A clamé son innocence
Un homme rouge tonitruant
Et se dressant
A disculpé la Société
Et chargé l’accusé
Sous un Jésus en croix
Oublié là

Car en effet, au XIXème, la croix ornait les prétoires, ce qui permit d’ailleurs à Hugo, lors du procès de son fils, qui, justement s’était opposé à la peine de mort, de prendre à témoin, face aux juges, l’image même du plus célèbre des condamnés à mort exécutés.

Géricault, pour revenir à lui, fit de nombreuses… « natures mortes », l’expression ici fait grincer des dents, natures on ne peut plus mortes puisque tombées de l’échafaud. Membres coupés, pieds, lui servirent d’ébauches pour son grand « Radeau de la Méduse ». Dans les célèbres crimes de l’histoire, apparaît immédiatement l’assassinat de Marat, tellement glorifié par l’histoire de l’art, jusqu’à Munch et à Picasso qui s’y sont essayés, mais il est vrai en extrayant le sujet de son contexte.

Chez Picasso, il ne reste qu’une forme monstrueuse et féminine se jetant sur un homme ratatiné qui perd déjà son sang. Est-ce que Picasso avait moins de compassion pour Charlotte Corday que n’en eurent Paul Baudry (qui dresse une image majestueuse de la meurtrière) et surtout, André Chénier (et aujourd’hui notre démagosophe national Michel Onfray) ? La femme criminelle en tout cas a fasciné les artistes, comme il se doit, songeons aux multiples versions de Judith et Holopherne, notamment celle, surprenante, offerte par Klimt.

Elle est l’envers de cet autre crime scandaleux que constitue le viol, et qui lui aussi, inspira les peintres.

Le tableau de Degas portant ce titre est ici bien mis en valeur : la symbolique y est explicite. Le viol lui-même n’est pas représenté, mais ce que l’on nous donne à voir c’est ce coffret ouvert, rouge, au centre de la toile, comme source de lumière sanglante, métaphore du crime. On apprend à cette occasion combien le réalisme de Degas a pu paraître déplacé à son époque : il s’est beaucoup inspiré des prisonniers et des brigands. Cette statuette si fameuse représentant une jeune danseuse en tutu, que l’on présente souvent comme un chef d’œuvre de grâce et d’innocence, ses traits ne sont-ils pas copiés de ceux d’une « fille dépravée » comme on disait alors ?

L’exposition se poursuit avec les nombreuses tentatives de mesurer le crime : les premières mesures anthropométriques sont dues à Bertillon. On se met à croire à la phrénologie pour « prévenir » le crime et identifier par des moyens objectifs les criminels potentiels… ce qui nous ramène, mais ça, l’exposition ne le dit pas, à nos temps modernes où certains politiciens verraient bien que l’on identifie les futurs délinquants dès l’âge de cinq ans à partir de leur comportement scolaire…. Mais ce que l’on apprend surtout c’est que tous ces projets sont vains et que le déterminisme faillit en la matière.

La dernière salle évoque plutôt la glorification du crime… mais le crime « littéraire » comme intégré au texte en tant qu’évènement de rupture : Sade, le Surréalisme. Lautréamont aurait pu être là aussi, mais je ne me souviens pas l’avoir vu cité

Lautréamont?

Il est dit fréquemment que le crime et le sexe sont les deux éléments les plus puissants à susciter l’impulsion artistique et/ou littéraire. Cette exposition explore magnifiquement le volet du crime.